Collapsologie & psychohistoire

Publié le 27 septembre 2018 par Gee dans La fourche
Inclus dans le livre Grise Bouille, Tome IV

Attention, ceci est officiellement la BD la plus longue jamais publiée sur ce blog. Elle n’est pas forcément très drôle, mais je pense qu’elle a son importance. En tout cas, c’était quelque chose dont je voulais parler depuis pas mal de temps. C’est parti !

Collapsologie & psychohistoire

Parlons d'effondrement. Pour qu'on comprenne bien le sens que je donne ici à ce mot, je peux vous résumer le concept ainsi :

Gee explique : « Il y a deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La bonne, c'est que le capitalisme ne va pas tarder à crever. La mauvaise, c'est qu'on risque fort de crever avec lui. » Le smiley : « Ah mais c'est sans échauffement aujourd'hui. Même pas un jeu de mots pourri pour faire passer la pillule… »

C'est donc d'effondrement imminent de civilisation que nous parlons, de la civilisation industrielle en l'occurrence.

Pour faire simple, l'humanité fait face – ou va faire face de manière imminente (quelques années, quelques décennies au mieux) – à plusieurs crises majeures.

Le déréglement climatique.

Un paysan dit : « Cette fois, nos cultures sont vraiment mortes. Tu sais ce qu'on peut faire pousser, maintenant, avec 3 °C de plus ? » Sa collègue : « Nan. Et toi ? » Un autre mec, l'air mal en point, répond : « Moi, j'suis un réfugié climatique. Perso, j'ai fait une croix sur la bouffe. Si vous aviez déjà de la flotte, ça m'arrangerait. »

L'épuisement des énergies fossiles.

Un mec confiant : « Roooh, mais la fin du pétrole*, c'est pas si grave ! On trouvera autre chose ! D'ailleurs j'suis sûr que les scientifiques ont déjà un moteur à eau non-polluant qui est juste bloqué par les lobbyistes du pétrole ! Mais ça va venir ! » Gee commente : « Alors ça, c'est du scientisme. C'est-à-dire que vous pouvez bien y adhérer si ça vous chante, mais soyez bien conscient que c'est une religion. » Le smiley, blasé : « Pour info, pour l'instant, y'a peau d'zob pour remplacer le pétrole. Et rien de bien engageant à l'horizon. »

Et du charbon, et de l'uranium, etc.

L'épuisement des matières premières.

Le même mec confiant poursuit : « De toute façon, on fera des voitures électriques, alimentées par des énergies renouvelables genre solaire, éolien, et tadaaaa ! » Gee fait semblant d'être confiant aussi : « Le carnet de commande actuel pour les batteries de Tesla dépasse notre capacité d'extraction annuelle de lithium, mais ouais, ça va sans doute passer à l'échelle sans problème. » Le smiley rigole : « Et quand on aura épuisé les terres rares, bon courage pour recycler celles des milliards de microcircuits de notre matériel numérique… »

L'extinction massive des espèces.

Einstein devant un tableau montrant le symbole d'intégration sur un gros caca : « Les populations d'insectes ont chuté de 80 % en 10 ans en Europe, celles des vertébrés sauvages de 60 % en 40 ans. Alors certes, contrairement à une croyance répandue, je n'ai jamais dit que si les abeilles disparaissaient, l'humanité n'aurait plus que 4 ans à vivre*, mais faut quand même pas être un génie pour voir que c'est la merde intégrale**. »

Voir l'article « Citations apocryphes ».

Gee recycle aussi ses blagues pour le bien de la planète.

La crise financière.

Un connard cravaté dit en souriant de toutes ses dents : « Alors en fait, on va baser l'économie sur la dette, dont les intérêts seront remboursés par les dettes suivantes. Tant qu'il y aura de la croissance, ça fonctionnera ! » Gee, atterré, répond : « De la croissance permanente, donc un accroissement des richesses sans limite dans un monde aux ressources finies ? Je m'trompe, ou vous n'êtes pas hyper fute-fute ? Et au fait, vous avez corrigé le tir depuis la débâcle de 2008, ou pas ? » Le smiley commente : « Ponzi et Baizé sont sur un bateau. Ponzi tombe à l'eau. Les Baizés, c'est nous. »

Chacune de ces crises prises indépendamment pourrait provoquer un effondrement de civilisation.

Un gamin est représenté avec une fronde devant un gros géant balaise qui tient une énorme épée. Il dit, pas rassuré : « Maiheu, David est vainqueur face à Goliath, non ? »

Là, elles sont interdépendantes façon spaghetti (ou domino, selon la métaphore que vous préférez) et nous nous les prenons toutes à la fois dans la figure.

La même image, mais avec cinq géants. Un des géants demande : « Et David, face à Goliath + Goliath + Goliath + (…), il fait toujours pas dans son froc ? » David transpire à grosses gouttes.

La principale réaction face à cet état de fait est le déni.

À gauche, le mec confiant dit : « Naaaaaan, mais ça va aller. Ça fait 30 ans qu'on nous prédit le pic pétrolier, tout ça, mais bon, c'est du catastrophisme. Vous voyez bien qu'il ne s'est toujours rien passé. TOUT. VA. BIEN. » À droite, le même mec en train de chuter dans le vide : « Naaaaaan, mais ça va aller. Ça fait 5 secondes qu'on me prédit que je vais m'écraser la gueule par terre, tout ça, mais bon, c'est du catastrophisme. Vous voyez bien qu'il ne s'est toujours rien passé. TOUT. VA. BIEN. »

Même lorsqu'un Ministre de l'Environnement

(dont nous préserverons l'anonymat par respect pour l'environnement)

profite de sa démission brutale pour évoquer assez clairement la perspective d'une catastrophe globale…

Le fameux Ministre au micro de la radio, l'air dépité : « Je ne comprends pas que nous assistions globalement les uns et les autres à la gestation d'une tragédie bien annoncée dans une forme d'indifférence. La planète est en train de devenir une étuve, nos ressources naturelles s'épuisent, la biodiversité fond comme la neige au soleil et ça n'est pas toujours appréhendé comme un enjeu prioritaire. Et, surtout, pour être très sincère, ce que je dis vaut pour la communauté internationale, on s'évertue à entretenir voir à réanimer un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres. » Le smiley, avec des lunettes de soleil, demande : « T'es sérieux, là, ma couille ? »

…tous les mécanismes de déni généralisé (comme se focaliser sur un détail futile pour oublier l'important) se mettent en place.

Un commentateur de radio est hystérique : « Alors, vous avez vu ?! C'est dingue ! Il n'avait prévenu personne qu'il démissionnait ! MÊME SA FEMME N'ÉTAIT PAS AU COURANT ! » La présentatrice répond : « Non, mais il avait pas les épaules pour le job. C'était un bon gars, mais dépassé. » Le smiley demande : « Euuuh, et le moment où il dit qu'on va tous crever à cause du fonctionnement même du capitalisme, on en parle ou pas ? »

À côté de ça, aucun des pouvoirs nationaux ou internationaux ne prend le chemin d'un changement de société (abandon de la croissance, réduction drastique de l'activité humaine, organisation du partage des ressources, etc.).

Macron, à la télé, dit : « La consommation des ménages est en berne, ça ne va pas du tout. Pour retrouver le chemin de la croissance, je propose… » Gee, atterré devant l'écran : « Punaise, mais on les arrête quand, les conneries ? »

Il faut dire que le problème a de quoi rendre fou tant ce chemin est parfaitement incompatible avec le fonctionnement économique actuel.

Si on prend des mesures concrètes pour limiter la catastrophe et s'y préparer, la société se casse la gueule dans la minute : si on ne le fait pas, elle finira quand même par se casser la gueule, mais en plongeant de plus haut et donc plus violemment.

Deux personnages dans une montgolfière. Le premier : « La montgolfière est hors de contrôle ! Il faut sauter maintenant ! » Le second : « Mais on va se faire super-mal ! » Le premier : « La montgolfière ne peut plus redescendre doucement ! Plus on attend, plus la chute sera rude ! »

La question n'est donc plus de savoir « si » le capitalisme (qui est le mode de fonctionnement des sociétés industrialisées) va se casser la gueule, mais « quand ».

Cette BD est synthétique et assez simplifiée : pour approfondir le sujet, je ne saurais trop vous conseiller d'aller lire « Comment tout peut s'effondrer » de Pablo Servigne et Raphaël Stevens. Un bouquin facile d'accès et qui pose le problème de manière détaillée et sourcée.

Gee, le livre à la main, précise : « Prévoyez quand même le lexomil avant de le lire. » La Geekette, mains sur les hanches : « Ah parce que tu crois qu'avec ta BD, on dansait la chenille, là ? »

En fait, non, j'exagère.

Le constat du livre est implacable et pas simple à avaler, et pourtant il porte aussi une sorte d'espoir : les choses VONT changer. Enfin !

Les doux rêveurs écologistes/altermondialistes (j'en suis) ont essayé de les changer « de gré » : la conjonction des crises systémiques le fera « de force ».

Gee, très incertain, les bras en l'air, mais tremblant un peu, fait : « Euuuh… OUUAAAAAaiiiiss……… ? » Le smiley le regarde en remarquant : « C'est pas simple, comme sentiment, ce mélange de panique et d'espoir… »

Le boulot de cette nouvelle discipline que l'on appelle la collapsologie (de « collapse », « s'effondrer ») consiste non seulement à analyser les causes de l'effondrement, tenter d'en prévoir les effets concrets sur les populations humaines… mais aussi imaginer un après, car construire un autre monde (que nous espérons meilleur) sera non seulement enfin possible, mais carrément impératif !

Que ferons-nous quand la société industrielle se sera effondrée ?

Gee, pensif et inquiet : « Vous voulez dire, à quoi serai-je utile quand on n'aura plus d'ordinateur ? Plus d'Internet ? Gloups. » Le smiley, blasé : « Le type, on lui explique qu'on aura du mal à se nourrir, il flippe à cause de ses jouets… »

Ce qui est porteur d'espoir, c'est que pas mal de gens (conscients ou non de la catastrophe qui vient) cherchent déjà des alternatives. Il n'y a qu'à voir la multiplication des initiatives comme Alternatiba, les jardins partagés, les initiatives pour relocaliser l'économie, AMAP, etc.

Ce n'est rien à l'échelle de l'économie mondialisée sur le point de craquer, mais je suis persuadé que ce seront par la suite des initiatives capitales pour ne pas sombrer dans le chaos.

Le Geek vient voir une militante et lui demande : « Bonjour, on est 8 milliards à crever la dalle. Ça fait trop pour votre ferme d'aquaponie autogérée, ou pas ? J'me rends pas compte… » La militante, devant son bassin d'aquaponie, est stupéfaite.

Et c'est en cela que les mouvements autour du logiciel libre et des communs (comme Framasoft dont je fais partie) sont aussi importants : pas tant pour le « logiciel » – qui n'existera peut-être plus dans un futur proche – que pour le « libre » !

Les « qualités » valorisées par le capitalisme (esprit de compétition, réalisation individuelle, « que le meilleur gagne ») seront inutiles et même contre-productives dans une société post-effondrement ou la recherche de l'abondance sera définitivement enterrée. Celles du partage, de l'entraide, de la collaboration, de la contribution, seront vitales !

Le Geek et le Nerd réfléchissent, le Geek dit : « Bon. Les winnerz de la start-up nation se sont terrés dans leurs bunkers avec des fusils et des réserves pour que leurs proches survivent – les autres peuvent crever. On fait quoi, nous ? » La Geekette, combattive : « Bah on fait ce qu'on a appris à faire depuis de longues années : on collabore et on se sert les coudes pour s'en sortir ensemble. » Le smiley, bras en l'air : « Le logiciel est mort, vive le Libre ! »

D'une certaine manière, la collapsologie me rappelle pas mal la psychohistoire, science fictive développée par Isaac Asimov dans sa série de livres Fondation.

Les deux personnages se rencontrent : « Hari Seldon, psychohistorien. » « Euuuuh, Pablo Servigne, collapsologue. » « On a deux trois trucs à se dire, je crois. »

Certes, la psychohistoire était capable de prédire l'avenir global de l'humanité (et donc de l'influencer), quand la collapsologie ne fait qu'étudier les conséquences catastrophiques d'un modèle de société insoutenable et ainsi tenter de s'y préparer.

Mais les deux se rejoignent sur pas mal de points. Tout d'abord, la situation initiale de Fondation rappelle beaucoup la nôtre.

Seldon parle à l'Empereur et dit : « L'Empire Galactique est sur le point de s'effondrer. » L'Empereur rigole : « Mon pauvre, vous nagez en pleine science-fiction. L'humanité n'a jamais été aussi florissante ni aussi riche ! » Seldon : « Jusqu'au jour où la tempête le fend en deux, le tronc d'arbre pourri a toutes les apparences de la santé.* »

Citation originale de Fondation, d'Isaac Asimov.

Les conséquences dramatiques décrites – et le déni qui les accompagne – rejoignent pas mal les nôtres.

Seldon poursuit : « Après l'effondrement de l'Empire suivra une période de chaos de 30000 ans. » L'Empereur, les mains sur les oreilles : « Lalalalalaaaaaa ! Tout va bien ! Tout va bien ! » Le smiley, mécontent : « Bon, c'est vachement pessimiste, mais c'est un Empire Galactique de 25 millions de planètes habitées, si on réduit ça à notre unique planète, on peut espérer que ce soit moins. »

Et le but de la psychohistoire ressemble à s'y méprendre à celui de la collapsologie.

Seldon explique en souriant : « L'effondrement est inévitable, mais nous allons faire notre possible pour réduire au maximum le chaos qui s'ensuivra. Nous allons créer une encyclopédie rassemblant tous les savoirs humains pour réduire la période de chaos à « seulement » 1000 ans. » Le smiley : « Ramené à notre échelle : les générations présentes vont vivre l'effondrement, c'est inévitable, mais on va essayer d'éviter de tous crever dans le processus. Si possible, hein. »

Affronter l'effondrement ne se fera pas sans des récits, des histoires, un imaginaire pour continuer à rêver, à espérer un mieux même dans la tempête.

Une scène post-effondrement. Un paysage dévasté, Gee et une petite fille sont allongés autour d'un feu de camp. La petite fille lit GKND, de Gee, et demande : « Papa, c'était quoi Internet ? » Gee répond, pensif : « C'était un truc vachement sympa d'avant ta naissance. C'est entre autres grâce à ça qu'on a imaginé la Société Contributive Autogérée Post-Effondrement. C'est grâce à ça qu'on a survécu. »

Et même si nous devons faire le deuil de nos ambitions spatiales – non, nous ne coloniserons pas la galaxie –, Fondation est déjà, en quelque sorte, un conte de l'effondrement de civilisation à grande échelle.

Nous n'avons pas de psychohistoire, mais il est urgent de semer des graines pour préparer l'après, dans les esprits et dans les actes, pour éviter des décennies de chaos. Pour ne pas se retrouver les bras ballants quand la question ne sera plus uniquement théorique :

Que ferons-nous quand la société industrielle se sera effondrée ?

Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 26 septembre 2018 par Gee.

Publié le 27 septembre 2018 par Gee dans La fourche

🛈 Si vous avez aimé cet article, vous pouvez le retrouver dans le livre Grise Bouille, Tome IV.

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