Critique : Harry Potter et l’enfant maudit

Publié le 3 août 2016 par Gee dans Le reste

Bon, c’est l’été, y’a pas grand monde sur le blog, alors après le test du Fairphone, je me permets encore une petite digression. Ceux qui me connaissent savent que je suis un immense fan de Harry Potter (les livres seulement, j’ai beaucoup beaucoup de mal avec les films, mais j’en parlerai une autre fois). Du coup, je pouvais difficilement passer à côté du nouveau tome (qui n’en est pas vraiment un puisque c’est le script d’une double pièce de théâtre, mais quand même). Je me suis donc jeté sur le bouquin que j’ai fini assez rapidement (il est court puisque, encore une fois, c’est un script et non un roman).

Je vous propose donc une petite « critique » GARANTIE SANS SPOILER (pour ceux qui veulent avoir un avis sans avoir de révélation sur l’intrigue). Il y aura aussi une partie avec spoiler tout à la fin (mais ce sera indiqué clairement, vous pourrez arrêter de lire si vous ne voulez pas de révélation).

Un mec dit en rigolant : « Haha, Star Wars au ciné, un nouvel album de Radiohead, un nouveau livre Harry Potter, bienvenue en mille neuf centre quatre-vingt-dix-se… » Il est coupé par Gee qui lui met un gros pain dans la face en criant : « MAIS TU VAS LA FERMER, TA GUEULE ?! Commencent à me gonfler, tous, avec cette blague ! » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 2 août 2016 par Gee.

I. Critique sans spoiler

Pour résumer : j’ai beaucoup aimé. Même si elle ne l’a techniquement pas écrit (elle a juste écrit le scénario si je ne m’abuse), on retrouve bien la patte de J. K. Rowling. Cette façon d’établir un mystère, de bien poser chaque pièce du puzzle avant les révélations finales qui connectent toutes les pièces entre elles. Le scénario est osé, ça va très loin et il va clairement y avoir des polémiques chez les fans (notamment à cause de quelques incohérences avec l’univers établi dans les romans), mais personnellement j’ai bien accroché. Et puis comme d’habitude, des personnages attachants, des très bons dialogues (un peu plus « vivants » et animés que dans les romans, c’est bien une pièce de théâtre). Je m’attendais à quelque chose de beaucoup plus statique que les romans vu le contexte théâtral, mais pas du tout, ça bouge, ça explose, ça jette des sorts dans tous les sens.

Le rythme

C’est la première surprise : ça n’arrête pas ! Le scénario est très dense, il se passe énormément de choses. Les deux pièces de théâtre durent près de 5 heures au total, et on comprend pourquoi. C’est assez déstabilisant quand on est habitués aux romans qui sont typiquement très posés et calmes, décrivant une année scolaire en détail (il n’y a souvent qu’à la fin que ça s’accélère). Là, pas le temps de souffler, les péripéties s’enchaînent à toute vitesse. L’effet script joue sans aucun doute (à peu près uniquement des dialogues et quelques didascalies pour expliquer l’action sans fioriture).

Mais comment font-ils ?!

La deuxième chose qui m’a énormément surpris : j’ai eu l’impression de lire un script de film. Ça regorge de scènes d’actions et d’événements qui nécessiteraient typiquement plein d’effets numériques au cinéma. Je suis trèèèèès curieux de voir ce que ça donne au théâtre (je croise les doigts pour une captation vidéo). Ça doit vraiment être quelque chose, parce qu’il y a une foule de séquences dont je suis bien incapable de deviner la mise en scène. Sans rien révéler, imaginez un peu les habituelles péripéties des bouquins : des combats à la baguette, des gens qui volent, des gens qui nagent, des gens qui changent d’apparence, des objets magiques qui bougent et interagissent avec les personnages partout, des scènes dans d’énormes lieux avec des foules de personnages… eh bien il y a tout ça dans les pièces. En direct, sur scène. Ça doit être assez spectaculaire. D’ailleurs, à la fin du script, il y a la liste des acteurs et de l’équipe technique, et on retrouve pas mal de postes comme « responsable des effets spéciaux ». Je suis très curieux de voir ce que ça peut donner, et un peu jaloux des gens qui ont vu la pièce 🙂

Un metteur en scène dit, en lisant son script : « Bon coco, pour la prochaine scène, faudrait que tu transplanes de côté jardin à côté cour. Et tu mets de l'émotion dans le transplanage, hein. » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 2 août 2016 par Gee.

Un peu frustrant

C’est en grande partie le résultat des deux points précédents, mais… c’est un peu frustrant de lire un script. L’histoire est dense, bien foutue, du calibre des sept premières (même si on sort du cadre habituel et de la temporalité aussi – ça ne se passe pas sur une année scolaire). Pendant toute la lecture, je n’arrêtais pas de me dire « mais pourquoi Rowling n’en a-t-elle pas fait une version romancée ?! ». Il y a le contenu qu’il faut pour faire un bouquin aussi long que les derniers tomes, en ajoutant ce qu’il faut de descriptions, en donnant un rythme posé plus proche des romans. La pièce de théâtre est assurément une bonne idée (surtout si la mise en scène est à la hauteur – voir point précédent – ce dont je ne doute pas), mais il y avait matière à en faire aussi un roman. J’imagine que Rowling est déjà passée à autre chose et que ce serait hors de propos de refaire un « vrai » tome, ce qui est compréhensible. Mais quand même…

Les personnages

On suit les aventures de la nouvelle génération, principalement du fils de Harry Potter (Albus, qu’on avait vaguement rencontré dans l’épilogue du dernier tome), mais pas mal de personnages des romans sont présents (maintenant adultes). Les personnages sont en général bien exploités, même si on sent parfois une simple volonté de « remontrer » des anciens personnages qui n’ont pas forcément une grande utilité dans la pièce. Un peu déçu par exemple que Ron ne soit visiblement là que pour servir de ressort comique. D’un côté, ça fonctionne assurément bien (pas mal de répliques très drôles), de l’autre, c’est un peu dommage pour un personnage qui était un peu plus que ça dans les romans. Un point très positif par contre : la façon dont évolue la famille Malfoy (le fils de Draco, Scorpius, est probablement le meilleur personnage de la pièce – apparemment l’acteur qui le joue a aussi été acclamé) et ses relations avec les autres. Très intéressant, et c’est typiquement quelque chose qui manquait un peu dans les romans (surtout sur la fin de la série où on aurait pu s’attendre à plus de choses de ce côté-là). D’ailleurs, c’est un autre très bon point par rapport au roman : beaucoup moins de manichéisme entre les méchants et les gentils, entre les Serpentard et les Gryffondor, etc.

Des parodies des blasons des maisons de Poudlard. Gryffondor devient « Les Gentils », Serdaigle « Les Intellos, alias OSEF team », Poufsouffle « Les Nullos, alias OSEF team » et Serpentard « Les Fumiers ». Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 2 août 2016 par Gee.

Conclusion générale

Ce n’est pas le huitième tome des aventures d’Harry Potter, mais pas loin. Je me suis retrouvé comme un gamin à dévorer le bouquin en quelques heures (je n’ai pas refait le coup de me coucher à 7h du matin pour le finir en une fois comme je l’avais fait avec le tome 7, mais c’était tentant). Il y a des points négatifs, mais c’est difficile d’en parler sans rien révéler, j’en parlerai donc dans la section avec spoilers 🙂

Bref, si vous aimez Harry Potter et si vous avez un bon niveau d’anglais, foncez ! Ça se lit bien, c’est de l’anglais parlé donc les tournures restent assez simples, pas besoin d’avoir vécu en pays anglophone 10 ans pour comprendre (il faudra jeter un œil dans le dico pour certains termes de vocabulaire, rien de bloquant, et sur une bonne liseuse ça se fait très vite). Si vous n’avez jamais lu d’autre tome de Harry Potter en anglais, pensez à vous trouver un petit lexique pour traduire les termes de l’univers (Hogwarts en Poudlard, Snape en Rogue, etc.).

Sinon il faudra patienter jusqu’en octobre pour la traduction officielle (ou peut-être plus tôt si la communauté s’y met plus vite, que ce soit pour traduire le livre ou pour sous-titrer une éventuelle future captation vidéo – j’en salive d’avance).

II. Critique AVEC SPOILERS

Voilà, vous êtes prévenus, le reste de la critique contient des spoilers : si vous ne voulez pas connaître l’histoire, c’est le moment d’arrêter de lire.

Un énorme panneau lumineux dit « SPOILER ALERT », avec des flammes, des torches et des panneaux « attention ». Le smiley dit : « Je m'demande si c'est assez clair comme ça. » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 2 août 2016 par Gee.

C’est bon ? Alors allons-y.

L’histoire

Je n’ai lu aucune critique pour l’instant, mais j’imagine que c’est ce qui va le plus faire couler d’encre (ou de pixels). L’idée de faire intervenir la descendance d’un méchant mort n’a rien d’original, mais il faut admettre qu’on n’imaginait pas Voldemort… eh bien, on ne l’imaginait pas s’envoyer en l’air, c’est vrai. Mais l’introduction du personnage de Delphi est bien faite et le mystère est géré avec brio jusqu’à la fin (même si le lecteur méfiant sentira assez vite qu’elle n’est pas nette). La fin où elle expose sa simple tristesse d’être une orpheline est touchante, c’est parfaitement amené vu que tout le bouquin tourne autour de ça.

Albus est un peu trop prompt à aller foutre le bazar dans le passé en suivant une parfaite inconnue, mais bon, z’ont jamais été très malins dans la famille Potter 😀

Ensuite, l’idée de retourner dans le passé va être le sujet de controverses, c’est certain, mais en même temps c’est tellement génial de pouvoir retourner dans des événements déjà connus d’un autre point de vue (comme dans Retour vers le futur 2). Le seul truc qui me gène un peu avec ça, c’est que ça casse la continuité avec le principe du voyage dans le temps des romans.

Petit problème de continuité

Je m’explique : dans les romans, le principe du voyage dans le temps, c’est que tout est déjà arrivé quoi qu’il advienne. Les personnages ne peuvent pas « changer » le passé, les actions qu’ils effectuent dans le passé sont vécues dès le départ de cette manière pas les protagonistes du présent (par exemple, Harry voit son lui du futur le sauver des Détraqueurs sur l’autre rive du lac, à aucun « moment » il n’existe une réalité où Harry ne voit pas son lui du futur). C’est le même principe qui est utilisé dans Terminator par exemple (Kyle Reese ne change pas le passé, les événements se sont produits comme ça de toute façon puisqu’il était le père de John Connor).

Là, la pièce change complètement ce principe pour se rapprocher justement de Retour vers le futur, avec ses lignes de temps multiples et ses univers parallèles (réalité chrono-événementielle comme dirait Doc). D’ailleurs la façon dont est mis en scène le retour dans la réalité où Voldemort est tout puissant n’est pas sans rappeler le 1985 alternatif où Biff est tout puissant. Alors certes, ça ouvre de nombreuses possibilités et ça permet de faire une intrigue plus complexe, mais c’est un peu dommage de casser les règles établies d’un univers comme ça.

Quelques incohérences

Il y en a plein et je ne vais pas revenir sur toutes. Déjà, le voyage dans le temps dont je parlais qui implique nécessairement plein de paradoxes : pourquoi Scorpius garde ses souvenirs de l’ancienne réalité? Comment est-ce que l’absence de romance entre Ron et Hermione a pu ne pas influencer d’autres événements ? La réussite de la chasse aux Horcruxes par exemple ? Le clou du spectacle étant quand Harry en 2015 s’inquiète pour son fils qui se trouve « au même moment » en 1981 et qu’il doit se dépêcher de retrouver, ce qui n’a aucun sens (comme s’il y avait deux lignes temporelles 1981 et 2015 se déroulant « au même moment »).

Mais bon, le voyage dans le temps, c’est toujours un peu le bordel. Le seul récit de voyage dans le temps avec une solide cohérence que j’ai lu, c’est La fin de l’éternité d’Asimov (lisez-le, il est cool) avec cette excellente idée d’introduire une réalité « hors du temps ».

Alors bon, disons qu’on pardonne ces quelques trucs un peu bancals (comptez un peu les incohérences dans Retour vers le futur, pour voir, ça reste un chef-d’œuvre).

Dark Vador lève le poing en disant : « Harry ! Kyle Reese est ton père ! » Harry, blasé, dit : « Ça devient vraiment n'importe quoi, là… » Vador répond : « Nom de Zeus ! » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 2 août 2016 par Gee.

Sinon, moins important, mais certaines choses m’ont un peu dérangé, comme le fait que les gamins s’adressent aux adultes par leurs prénoms. Ça ferait peut-être drôle de dire « M. Weasley » en parlant de Ron parce qu’on l’a découvert à 11 ans, mais ce serait logique. Albus qui interpelle Draco en disant Draco… euh, M. Malfoy, si ça ne te dérange pas, petit con ? 😀

Ou le fait que pas une seule fois n’apparaisse l’expression « You-Know-Who ». Certes, on peut imaginer que 20 ans après sa mort, les gens aient cessé d’avoir peur du nom, mais au début du tome 1, 11 après sa première disparition, ce n’était pas le cas. Et dans la réalité alternative où il est tout puissant, c’est étrange de voir son nom utilisé comme un salut par tout le monde (alors qu’il en avait fait un tabou officiel lorsqu’il était au pouvoir dans le tome 7). Bref, c’est pas grand-chose, ne chipotons pas.

C’est quand même vachement bien

J’ai passé en revu quelques points négatifs, mais je me répète, dans l’ensemble, c’est très très bien. Nombreuses péripéties et retournements de situations, des bons dialogues, de l’humour… Beaucoup de scènes émouvantes aussi, la relation entre Albus et Scorpius est très touchante (j’ai cru que ça allait se conclure en relation amoureuse mais Rowling a peut-être été refroidie par le shitstorm qu’avait provoqué son outing de Dumbledore), tout comme Harry qui assiste à la mort de ses parents en direct, ou encore la réunion de Ron et Hermione dans le monde apocalyptique et leur sacrifice commun…

Et puis retourner à Poudlard, voir les différentes destinées des personnages qui m’ont suivi pendant toute mon adolescence, ça fait un petit quelque chose. Sans compter qu’on a le bonus de voir plusieurs destinées possibles ! Ron marié à Padma, Hermione en prof acariâtre dans la première réalité alternative… Puis Hermione en guerrière bad-ass dans le monde apocalyptique, Rogue encore en vie et toujours résistant…

Et avec tout ça, les dialogues se permettent d’être drôles à pas mal de reprises. Outre les répliques de Ron, les dialogues des ados sont bien ciselés, ils ont de la répartie, les mômes !

Bref, Rowling a peut-être été un peu loin sur certains points avec le voyage dans le temps, mais c’est vraiment une histoire sympa à lire. J’espère que j’aurai l’occasion de la voir jouée un jour, que ce soit en direct, en vidéo voire dans une éventuelle adaptation française un de ces jours, qui sait ?

For Voldemort and Valor.

Publié le 3 août 2016 par Gee dans Le reste

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