En marche (ou crève)

Publié le 27 avril 2016 par Gee dans La fourche
Inclus dans le livre Grise Bouille, Tome II

On a parfois un peu l’impression de se répéter quand on parle de déconnexion entre la classe politique et le reste de la population. Mais il faut avouer que nos non-représentants s’appliquent si régulièrement à enfoncer le clou qu’on n’en voit plus la tête. Par exemple, prenez Emmanuel Macron, banquier d’affaire et membre d’un gouvernement estampillé « socialiste », un mot qui ferait hurler n’importe quel banquier dans un paysage politique où les mots auraient encore un sens.

Bah vous voyez, quand ce type là nous sort En Marche ! (avec un point d’exclamation, oui, comme Yahoo!), un énième mouvement ni de gauche ni de gauche qui nous promet de réinventer la politique en faisant exactement la même chose qu’avant, ça me fascine. Et le cortège de médias qui en fait ses gros titres alors que tout le monde s’en bat les reins… oui, pardon aux familles, tout ça, mais Macron et ses manachronismes, TOUT LE MONDE S’EN TAPE. Mais les médias ont décidé que Macron, c’était maintenant l’homme de la gauche, l’homme avec le vent en poupe que c’est pour lui qu’tu dois voter si qu’t’es à gauche (d’ailleurs ils ont choisi Alain « Emplois Fictifs » Jupé pour la droite, si vous n’aviez pas suivi). Macron. Le type avec un sourire Colgate qui nous balance une vidéo façon publicité pour serviette hygiénique avec voix off d’hôtesse de l’air :

« Quand on écoute les Français, on entend partout la même chose. Il faudrait que ça bouge. Il faudrait essayer des idées neuves, aller plus loin, oser, en finir avec l’immobilisme. […] Alors on fait quoi ? On se met en marche. Car on ne fera pas la France de demain sans faire place aux idées neuves, sans audace, sans esprit d’invention. On ne fera pas la France de demain, en restant isolé de ce nouveau monde à la fois inquiétant et plein d’opportunités. On ne fera pas la France de demain sans faire place à une génération nouvelle, combative, entreprenante, audacieuse et belle. Oui… Il est temps de se mettre en marche. »

Ou comment broder de la parfaite communication de marketeux décérébré sur du vide, du bon gros vide bien enrobé d’une grosse couche de verni à gerber. Et pour les quelques vagues concepts qui ressortent (au-delà du concept de « mouvement » qui est une constante de la politique — d’ailleurs le changement, n’était-ce pas hier ?), rien de nouveau sous le soleil : flexibilité, réformes NÉ-CE-SSAIRES et mondialisation heureuse. Nous sommes sauvés. Le système représentatif va fonctionner et l’abstention va baisser grâce à l’énorme reprise de confiance envers la classe politique qu’un mouvement comme En Marche ! ne va pas manquer de générer.

Une photo d'un policier en train de mettre un violent coup de pied à une manifestante, avec le logo « En Marche ! » par dessus, et « (ou crève) » ajouté en bas.

Oui, la relève est assurée. De nouveaux guignols en costumes, bien peignés, plus lisses qu’une plaque de verglas, qui font des mouvements, des contre-mouvements, des think tanks et autres concepts foireux pour ne pas dire qu’on se paluche joyeusement le poireau en réfléchissant à la couleur des chaînes. Qui se matent le nombril en comité fermé avec leurs potes journalistes à la télé en étant persuadés de représenter « les Français ». Ça me rappelle une chanson de Pink Floyd, The Fletcher Memorial Home. Si vous ne la connaissez pas (et ce serait compréhensible, elle vient du peu connu The Final Cut qui est presque un album solo de Roger Waters en réalité), je vous livre une traduction personnelle du premier couplet :

Éloignez tous vos enfants attardés

Et construisez leur une maison

Un petit endroit rien que pour eux

Le Mémorial Fletcher pour tyrans et rois incurables

Et ils pourront s’y voir tous les jours

Sur un réseau télé en circuit fermé

Pour s’assurer qu’ils existent toujours

C’est bien la seule connexion qu’ils puissent ressentir

À chaque fois que j’entends ce couplet, j’ai les portraits de nos politiciens et de nos leurs journalistes en tête. Et je me demande si, un jour, on ne pourrait pas faire ça. Puisqu’il semble difficile de les déloger du pouvoir, les laisser entre eux, les laisser jouer. « Oh, tiens, j’vais faire un mouvement. » « Pour faire joli sur ton CV, tu préfères un poste de Haut Commissaire de mon Cul ou de Conseiller de mes Couilles ? » « Oh, c’est moi que j’ai le plus gros parti. » « Bisque bisque rage. »

Il est pour ma part de plus en plus clair que nous n’avons pas besoin d’eux (ou, dans une moindre mesure, que nous ne serions en tout cas pas moins bien lotis sans eux). Mais là, je me rends compte qu’ils n’ont peut-être pas besoin de nous non plus. Ils ne se rendraient même pas compte si nous n’étions plus là. Macron continuera à se passer la brosse à reluire qu’on soit derrière lui ou pas. D’ailleurs, pour ce que ça vaut, on n’y est pas, derrière lui, et il n’a même pas fait gaffe.

Oui, peut-être qu’il faudrait acter la séparation du peuple et des pseudo-élites. Et essayer autre chose de notre côté. Sans eux. C’est un peu ce que Nuit Debout essaie de faire, j’imagine. Bien emmerdant pour les politiciens qui auront du mal à récupérer ce mouvement puisqu’il s’est précisément construit contre eux. Alors il vaudra mieux pour eux s’appliquer à le salir, le détruire. Ça a commencé.

À ce titre, quand j’entends Jean-François « Profondément choqué » Copé dire de la Nuit Debout « ils sont tellement coupés de la réalité », ça me fait pisser de rire. Le mec qui passe ses vacances dans des villas luxueuses de marchands d’armes, touche un salaire mensuel à 5 chiffres (et estime que seuls les minables acceptent des boulots à moins de 5000 euros par mois) sans parler des privilèges octroyés par ses nombreux mandats à nos frais va t’expliquer que t’es coupé de la réalité, jeune con révolutionnaire. Et je veux bien entendre toutes les critiques du monde à l’encontre de la Nuit Debout, hein. Mais simplement, pas de la part d’un professionnel de la politique. Pas de la part de Copé. Sérieusement, c’est comme si Nabilla reprochait à Frédéric Lordon de manquer de culture économique.

Et puis à côté de ça, les journaux qui titrent, scandalisés, « la Nuit Debout révèle son vrai visage ! » suite à l’expulsion d’Alain « Taisez-vous » Finkielkraut de la Place de la République. Son vrai visage ? Parce qu’il vous a fallu ce non-événement pour comprendre que Nuit Debout se positionnait (entre autres) contre tous les défenseurs de l’ordre établi qui monopolisent les plateaux télé pour dicter unilatéralement ce qui est bon pour nous depuis 30 ans ?

« S’attendaient-ils vraiment à ce que nous les traitions avec le moindre respect ? » s’interroge Waters dans la suite de la chanson. Je ne défends pas spécialement la méthode qui consiste à hurler sur quelqu’un jusqu’à ce qu’il s’en aille. Mais pitié, ne faites comme si ça sortait de nulle part, comme si c’était gratuit. Lordon l’explique bien mieux que je ne saurais le faire :

« Nous ne sommes pas ici pour faire de l’animation citoyenne “all inclusive” comme le voudraient Laurent Joffrin et Najat Vallaud-Belkacem. Nous sommes ici pour faire de la politique. Nous ne sommes pas amis avec tout le monde. Et nous n’apportons pas la paix. Nous n’avons aucun projet d’unanimité démocratique. Nous avons même celui de contrarier sérieusement une ou deux personnes. »

Pauvre Finkielkraut qu’on ne veut même pas entendre, quelle atteinte à la démocratie. C’est vrai qu’on a tellement peu l’habitude de l’entendre, sa douce voix. Si on était taquins, on remarquerait que pour que toutes les personnages présentes Place de la République à Paris rattrapent leur écart de temps de parole publique avec Finkielkraut, celui-ci devrait probablement la boucler pendant les 2 prochains siècles (ça nous ferait des vacances, notez).

Fort heureusement, tous les grand médias pourront à l’unisson s’en offusquer et corriger cette honteuse injustice. Jusqu’à l’apothéose avec Michel « En roue libre » Onfray qui nous sort l’accusation d’antisémitisme et de nazisme du chapeau (car il n’y a tellement rien à reprocher à Finkielkraut dans ses paroles et ses actes que toute action à son encontre ne peut qu’être motivée par un racisme latent). Mais quand Finkielkraut loupera une marche, il se trouvera bien un Onfray pour accuser l’escalier d’antisémitisme. Pendant que le reste de la population (Nuit Debout incluse), comme d’habitude, ignorera un énième non-événement monté en épingle et passera à autre chose.

Parce que les Macron, les Finkielkraut, les Copé, les Onfray et tous les autres, ce sont des bourdonnements dans nos oreilles, une nuisance permanente avec laquelle nous avons appris à vivre faute de mieux. On peut cesser d’y prêter attention, mais on ne peut pas cesser de les subir car ce sont toujours eux qui tiennent les rênes, sans relâche. Et au bout du compte, c’est bien à cela que Nuit Debout (et d’autres) cherchent tant bien que mal une solution. Faire en sorte que ces élites auto-proclamées continuent de jouer dans leur coin si cela les amuse, mais qu’elles cessent de nous nuire.

Alors je ne sais pas ce qu’il adviendra de Nuit Debout. Peut-être que ça finira en eau de boudin. Que tout le monde rentrera chez soi et que le monde continuera de (mal) tourner. Mais il en restera de toute manière une expérience mille fois plus enrichissante et porteuse d’espoir que tous les En Marche ! de tous les Macron du monde. « On ne fera pas la France de demain sans faire place à une génération nouvelle, combative, entreprenante, audacieuse et belle » nous disait l’hôtesse de l’air dans son insipide vidéo.

Rassurez-vous, une génération combative arrive. L’ennui, c’est que l’ennemi à combattre, c’est vous.

Publié le 27 avril 2016 par Gee dans La fourche

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