La planète éteinte

Publié le 30 janvier 2015 par Gee dans La plume
Inclus dans le livre L'Enfant sans bouche

Nouvelle illustrée publiée le 22 août 2014 sous licence CC-By-Sa.

Vous pouvez également lire une auto-analyse de la nouvelle sur mon blog.

Couverture

Introduction

Cette nouvelle a été publiée à l’occasion du Ray’s Day organisé le 22 août 2014 afin de célébrer la lecture, les auteurs et les lecteurs.

Lorsque j’ai eu vent du Ray’s Day, je me suis demandé ce que je pouvais bien faire pour l’occasion : beaucoup d’auteurs offraient certaines de leurs œuvres. Mais mes œuvres à moi sont gratuites (au format numérique) toute l’année, alors à quoi bon ?

Je me suis alors dit que cet événement était l’occasion de m’essayer à l’écriture littéraire : j’ai un bon paquet d’histoires, de synopsis et d’intrigues de science-fiction qui trainent dans un coin de ma tête depuis très longtemps… Mais si j’ai débuté la rédaction de bon nombre d’entre elles, je n’avais jamais réussi à aller au bout. Peut-être à cause de l’absence de contrainte qui finissait par saper ma motivation. Ou peut-être à cause de l’ambition trop grande d’en faire directement des romans.

Alors pourquoi ne pas commencer modestement, par une nouvelle par exemple ? J’ai lu des dizaines de nouvelles excellentes, celles de Philip K. Dick (dont de nombreuses ont été adaptées en film) ou d’Isaac Asimov en particulier. Certaines n’avaient rien à envier aux romans des mêmes auteurs.

J’ai donc repensé à toutes ces histoires qui dormaient sagement dans ma tête. Et j’en ai choisi une : La planète éteinte. Une dont je n’avais pas énormément fouillé l’intrigue et qui n’avait donc, dans mon esprit, pas encore la forme d’un roman. Un synopsis simple, résumé par le titre, un développement court et un twist final qu’il me fallait encore peaufiner.

En refouillant dans mes vieux dossiers, j’ai eu la surprise de tomber sur un début de texte appelé La planète éteinte : j’avais complétement oublié que j’avais commencé à en rédiger un petit quelque chose. Le document au format Open Document date de début 2009, avant même la création du Geektionnerd. L’idée de l’histoire en question doit dater de bien avant, probablement de mes années au lycée.

Sensation très bizarre de replonger dans un texte qu’on a écrit soi-même et oublié. Un peu comme lire le texte de quelqu’un d’autre. Le style légèrement différent, les références que l’on avait une demi-décennie en arrière et qui ont bien changé aujourd’hui…

J’ai donc repris ce début de texte — qui correspond au premier tiers de la nouvelle complète — et l’ai remodelé et réécrit en grande partie, ayant un peu gagné en plume pendant les cinq années où ce document a dormi sur mon disque. J’en ai profité pour changer les noms, féminiser un personnage masculin et changer tout un tas d’autres choses qui ont une importance dans les deux tiers restants.

Quelques jours plus tard, la nouvelle était complète et je posais un point final très fier sur ce premier travail d’écriture littéraire achevé. Mais il restait encore plus de deux semaines avant le Ray’s Day. De quoi prendre le temps de lire, relire, réécrire, jeter des passages, en inventer d’autres, mettre un peu de verni sur la nouvelle pour la rendre la plus aboutie possible.

Un grand merci à kinou et à Goofy pour leurs relectures et leurs corrections bienveillantes. Merci encore à kinou pour la création du livre électronique au format ePub.

En vous souhaitant une bonne lecture et un bon Ray’s Day !

— Gee

1. Oniria

Le vaisseau dérivait lentement dans l’espace. Élisa Ly, son pilote et unique occupante, avait coupé tous les moteurs et laissait son appareil dériver au gré de l’attraction des corps célestes. Elle était Agente de Reconnaissance Spatiale. Elle veillait, restait en vol et attendait d’éventuelles instructions. Et elles étaient rares.

Ces astreintes étaient un synonyme d’ennui, des périodes mornes où les jours et les nuits s’écoulaient lentement, sans que l’on puisse les différencier les uns des autres, noyés dans les ténèbres de l’espace. Après avoir passé beaucoup de temps dans des missions à risque, il était d’usage de laisser les agents se reposer en les affectant à la surveillance de zones très urbanisées de la galaxie, peu fréquentées par les fauteurs de troubles et les vaisseaux pirates. C’est pour cela qu’Élisa se retrouvait à proximité d’Oniria, la planète la plus active de la galaxie. Hyperactive, même. À friser l’hystérie collective.

Vers la fin du troisième millénaire, l’humanité avait colonisé un grand nombre de planètes dans la galaxie. La rapidité des vols interplanétaires avait permis le développement d’une communauté humaine gigantesque organisée autour de différentes planètes-pôles, à l’image des anciennes capitales de l’Époque Terrestre. Ainsi y avait-il Marleen, le centre économique et financier, où se décidaient le quotidien et l’avenir des dizaines de milliards de travailleurs de la galaxie. Ou encore Sys, la capitale politique où siégeaient les dirigeants des différentes nations et alliances qui morcelaient encore l’humanité.

Oniria était quant à elle un pôle artistique et culturel : c’était là qu’étaient concentrés la plupart des organismes médiatiques et les Grandes Bibliothèques. L’immense majorité des chaînes audiovisuelles, des œuvres d’arts, des livres, des films, des musiques et des émissions de tout genre étaient produits sur Oniria.

C’était avant tout son originalité qui avait attiré les artistes et les grands acteurs du milieu culturel : il s’agissait d’une planète errante, une planète orpheline, sans étoile, sans système. Elle dérivait au fil des attractions, des astres, des étoiles qu’elle approchait parfois, tout comme le vaisseau d’Élisa le faisait à cet instant. Une planète vagabonde, voilà qui ne pouvait que susciter le rêve et stimuler l’imagination…

Élisa avait l’avantage, en naviguant dans le secteur de cette planète, de capter l’intégralité des émissions en provenance d’Oniria en temps réel. En effet, dans les régions plus reculées de la galaxie, la durée de transmission d’un signal depuis Oniria pouvait s’élever à plusieurs heures, voire plusieurs jours. Et cela pouvait bien sûr varier en fonction de la localisation d’Oniria qui bougeait constamment. Certes, cela constituait une énorme amélioration par rapport aux années nécessaires pour transmettre le moindre signal sur de si longues distances avec du matériel de l’Époque Terrestre. Mais dans un monde où rien n’avait de sens s’il n’était accompagné d’une communication tonitruante, l’éloignement d’Oniria signifiait l’éloignement de la vie, de l’activité humaine.

Dans la chambre d’Élisa, un mur entier affichait l’une des centaines de chaînes musicales d’Oniria. C’était ainsi qu’elle tuait le temps, en regardant et en écoutant les programmes et en y participant lorsqu’ils étaient interactifs. L’ennui et la solitude étaient omniprésents malgré tout. Et Élisa souffrait bien plus de l’inaction que de l’isolement.

Parfois, il arrivait qu’un de ses supérieurs la contacte, et elle priait alors pour être affectée à une mission un peu plus palpitante que de la surveillance de routine. Mais les seules missions qu’on lui confiait ces derniers temps consistaient à établir des rapports sur l’activité spatiale locale — qui était nulle, bien souvent. À l’occasion, lorsque que les Douanes n’avaient pas de personnel à proximité, elle était chargée d’identifier des vaisseaux non répertoriés et de vérifier si la situation de leurs voyageurs n’était pas irrégulière. Ce qui n’était, au final, pas beaucoup plus gratifiant que de taper des pages et des pages d’un rapport que personne ne lirait…

Pourtant, lorsqu’elle avait été affectée à de réelles missions de reconnaissance, elle s’était toujours montrée très douée. Elle avait récemment participé à l’exploration d’une nouvelle planète dans le but de déterminer si elle était habitable. La fulgurante augmentation du nombre d’êtres humains dans la galaxie faisait de la colonisation de nouvelles planètes un objectif prioritaire pour les Agents de Reconnaissance Spatiale. Celle-ci s’avéra compatible avec la vie humaine. Et le nom d’Élisa Ly serait gravé à jamais dans l’Histoire future de la planète comme celui du premier être humain à y avoir posé le pied. De quoi relativiser le maigre salaire offert par le job…

Mais la surveillance des routes spatiales était aussi l’une des grandes missions des agents, aussi y avait-il des rotations de postes, afin qu’aucun ne soit mis au placard indéfiniment.

De plus, Élisa avait choisi d’occuper un poste autonome, ce qui faisait d’elle une agente facilement mobile. Certains vaisseaux abritaient des équipes pouvant compter jusque plusieurs dizaines de passagers. Son vaisseau avait quant à lui été conçu pour accueillir trois personnes au maximum, avec un espace habitable à peine plus grand qu’un petit studio de ville.

Ainsi continuait-elle à dériver depuis huit semaines déjà, avec peu d’espoir de changement avant quelques longues semaines supplémentaires. Elle regardait des extraits d’un festival qui avait lieu tous les ans près de Thalie, la plus importante métropole d’Oniria. Des groupes venaient des quatre coins de la galaxie pour y présenter leur musique. Jouer sur Oniria signifiait médiatisation, gloire et fortune. Rares étaient les élus.

La caméra survolait les têtes des centaines de milliers de personnes amassées devant les scènes du festival. Des écrans géants plus hauts que les bâtiments alentours se dressaient un peu partout. Les dizaines de milliers de spectateurs s’amassaient devant les scènes, s’unissant en de grandes foules passionnées.

Élisa fit légèrement glisser ses doigts sur la surface active de son fauteuil, effectuant un petit mouvement reconnu par son écran géant et put ainsi parcourir les différentes scènes du festival et choisir la musique qui lui convenait le mieux.

Et soudain, le noir complet.

L’écran n’affichait plus la moindre image, et plus aucun son ne sortait des enceintes disposées un peu partout dans la chambre. Élisa se redressa doucement dans son fauteuil, pensant avoir réalisé un mouvement mal interprété par l’écran. Elle répéta la commande pour changer de plan. Rien. L’écran s’était-il éteint ? En quelques glissements de doigts, elle demanda à l’écran de s’allumer. Toujours rien.

— Allumer, dit-elle en utilisant la commande vocale au cas où ce serait la commande manuelle qui ne marchait plus.

Le mur restait désespérément noir. Élisa se leva vraiment cette fois, et se dirigea vers le boîtier de commande dissimulé dans un renfoncement du mur. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de l’ouvrir, un signal se mit à résonner dans tout le vaisseau. Une petite mélodie qui avait été pensée douce, mais qui devenait rapidement irritante lorsqu’elle était répétée inlassablement. La sonnerie d’un appel.

Élisa rejoint son bureau où étaient installés la console de pilotage ainsi que tous les moyens de communication. Une pression sur la surface active de la console, et la mélodie agaçante s’interrompit.

— Élisa Ly, s’annonça-t-elle.

La voix familière de son supérieur retentit dans les enceintes du vaisseau.

— Mademoiselle Ly, ici Gabriel Clegg.

— Monsieur, je suis contente de vous entendre…

— Je ne vous en demande pas tant… Je vous appelle au sujet de ce qui vient de se passer. Vous avez une explication ?

Élisa ne répondit pas mais sentit un léger picotement le long de sa nuque. Elle haïssait ce genre de phrase au demeurant innocente et qui lui signifiait assez clairement qu’elle avait raté quelque chose d’important.

— Ne me dites pas que vous n’avez rien vu.

— Il va falloir être plus précis, monsieur Clegg. Vu quoi ?

— C’est intolérable, Ly ! N’êtes-vous pas censée surveiller la zone ?

Élisa commençait à perdre patience. Son ennui abyssal des derniers jours couplé aux remontrances n’avaient pas un bon effet sur son humeur.

— Si. Mais j’imagine que vous n’attendez pas de moi que je scrute le vide interstellaire en continu pendant plusieurs semaines, n’est-ce pas ? Le vaisseau est bourré de capteurs. Lorsque quelque chose d’inhabituel apparaît dans les environs, je le sais bien avant que cette chose ne puisse me voir.

— Oui… Et si quelque chose disparaît, de quelle baguette magique dispose votre merveille technologique ?

Elle essayait de garder son calme. La hiérarchie n’avait rien de militaire, mais Gabriel Clegg restait son supérieur et elle se devait de lui parler avec un certain respect malgré tout le ressentiment qu’elle pouvait avoir à son égard.

— Écoutez, j’ai visiblement raté quelque chose et je n’ai pas franchement envie de jouer aux devinettes. Alors si vous m’expliquiez la situation, nous pourrions peut-être avancer…

— Oniria a disparu.

Clegg avait lancé cela d’une voix grave. Il y eut un long silence, uniquement troublé par le ronronnement des nombreux appareils du vaisseau.

— Je vous demande pardon ? dit Élisa avec précaution.

— Vous m’avez très bien entendu. Vous devriez constater par vous-même.

Élisa déclencha l’ouverture du volet qui masquait l’énorme vitre surplombant le poste de pilotage. Elle alluma également ses écrans de contrôle et fit pointer les caméras externe du véhicule vers la zone d’Oniria.

— A 4h02 Heure Galactique Standard exactement, poursuivit Clegg, la planète Oniria a totalement disparu de nos écrans. Plus une trace. Le vide. Et sans aucun avertissement, aucun signal, aucune perturbation.

— Les émissions se sont arrêtées, se rendit-elle compte. J’étais en train de regarder une chaîne d’Oniria, la diffusion s’est brutalement coupée. J’ai cru que mon écran avait un problème.

— Ce qui signifie que la source principale d’informations et de communication de la galaxie est coupée, dit Clegg avec un frisson dans la voix. Est-ce que vous vous rendez compte de ce que cela veut dire ?

Élisa sentit un poids tomber dans son estomac. En effet, si plus aucun signal n’était émis depuis Oniria, il était difficile de prévoir l’ampleur des conséquences dans le reste de la galaxie : les médias d’Oniria étaient le moteur principal de pratiquement toutes les activités humaines.

— Les pôles importants sont assez éloignés, remarqua Élisa, ils ont un décalage de plusieurs heures avec l’émission d’Oniria, ce qui nous laisse un peu de temps pour réagir.

— C’est une avance assez maigre pour réagir à la disparition d’une planète entière ! Je vous rappelle que Marleen ne reçoit les programmes d’Oniria qu’avec trois heures de retard. Je vous laisse imaginer l’impact sur l’économie si tous les écrans de la planète boursière s’arrêtent pour ne pas se rallumer rapidement.

— N’y a-t-il aucun moyen de prendre le relais des émissions d’Oniria depuis une planète plus proche ? dit Élisa. Le temps de comprendre et de pouvoir communiquer sur le sujet… sans déclencher de panique.

Clegg eut un léger rire dénué de joie.

— Une deuxième Oniria ? Non, désolé, toutes les autres planètes habitées de la galaxie combinées ne suffiraient pas à engendrer autant de flux audiovisuels qu’Oniria seule.

Élisa regardait pensivement ses écrans et le vide étoilé qui s’étalait devant elle. En effet, là où aurait dû resplendir Oniria, avec ses milliers de milliards de lumières chatoyantes, il n’y avait plus rien.

— A-t-on des images de l’instant précis où la planète a disparu ? demanda Élisa.

— Je vous les transmets.

Quelques secondes plus tard, une vidéo se lança sur le tableau de bord du vaisseau. On y voyait Oniria telle qu’Élisa avait l’habitude de la voir, une planète jaune orangée, brillant du vertigineux nombre de lumières installées là par ses milliards de colons. Puis, d’un coup, de manière tout aussi soudaine que son écran s’était éteint, l’espace occupé à l’écran par la planète devint aussi noir que le vide environnant.

— D’un coup, murmura Élisa.

— Oui, dit Clegg, d’un coup, et je ne vois aucune explication plausible. Une collision avec un corps céleste aurait immanquablement été prévue de longue date et aurait provoqué une explosion spectaculaire. On pourrait aussi penser à ces fameuses armes capables de faire sauter toutes les installations électriques d’un certain périmètre, mais aucune n’a une portée suffisante pour affecter une planète entière… Vous voyez d’autres hypothèses ?

— J’en ai des dizaines qui me viennent à l’esprit, plus invraisemblables les unes que les autres. Attendez, attendez…

Un détail avait attiré l’attention d’Élisa. Le disque précédemment occupé par la planète à l’écran ne semblait pas exactement coloré du même noir que le reste de l’espace. Elle augmenta aussi fort que possible les contrastes de l’image. Une masse sphérique sombre et morte se détacha alors du reste de l’image.

Aquarelle représentant Élisa dans son vaisseau, face à la planète

— Monsieur, dit Élisa lentement, la planète n’a pas disparu… Elle s’est éteinte.

— Éteinte ?

— Oui… Oui ! La planète est toujours là ! Regardez, poursuivit-elle en envoyant l’image à son supérieur. La masse de la planète est toujours présente, il n’y a juste plus aucune lumière qui en sort, ce qui la confond avec l’espace. Il semble que tous les éclairages de la planète se soient éteints simultanément.

— Cela me paraît impossible à cette échelle.

— Ça l’est probablement. Mais une coupure d’électricité généralisée à toute la planète expliquerait l’absence de tout signal émis.

— Une coupure généralisée à toute la planète, répéta Clegg, hébété. Comment voulez-vous expliquer une chose pareille ?

— Plus facilement que la disparition d’un objet de plusieurs milliards de milliards de tonnes.

— Certes…

Élisa continua d’observer les différentes images qu’elle pouvait obtenir de la planète sous toutes les coutures.

— Ceci dit, poursuivit-elle, cela n’explique pas pourquoi les systèmes autonomes ne marchent plus. En admettant que l’infrastructure d’alimentation électrique de la planète soit en panne, ce qui est déjà difficile à avaler, il n’y a pas de raison pour que les satellites soient touchés également. Sans parler de tous les émetteurs et récepteurs fonctionnant sur batterie présents à la surface de la planète.

— Je ne vous le fais pas dire. Vous êtes certaine de votre diagnostic ?

— Dans une situation comme celle-ci, j’aurais du mal à employer le mot « certitude », monsieur. Néanmoins…

Élisa tapa quelques commandes sur son tableau de bord, et après quelques instants plusieurs rapports défilèrent sur les écrans.

— Je peux vous confirmer que la planète est toujours là. J’ai contacté les divers appareils dotés de capteurs gravitationnels dans les environs d’Oniria.

— Astucieux, dit Clegg.

— Je vous remercie, dit Élisa d’un ton qu’elle aurait voulu moins sarcastique. Le résultat est formel : il n’y a pas eu la moindre variation de champ d’attraction gravitationnelle au cours des dernières minutes. Si l’on accepte le fait qu’une planète puisse disparaître en un éclair, on peut supposer que la perte d’une masse si importante engendrerait d’énormes variations dans le champ d’attraction environnant, non ?

— Cela me semble évident, oui. Nos yeux et nos caméras peuvent aisément nous tromper, mais les capteurs gravitationnels sont sensibles à la moindre météorite passant à proximité. Comme vous l’avez dit, l’absence soudaine d’une planète entière serait immanquablement détectée.

— Nous sommes donc d’accord.

Elle gardait les yeux fixés sur cette image ridiculement contrastée, sur ce disque noir qui transperçait le noir de l’espace. Elle devait en avoir le cœur net.

— Puisqu’il n’y a plus moyen de communiquer, il ne me reste qu’une chose à faire… Aller voir ce qu’il se passe directement sur le sol.

— Mademoiselle Ly, commença Clegg.

Elle pouvait percevoir le malaise dans la voix de son supérieur. Elle se doutait déjà de ce qu’il allait dire…

— Vous vous rendez bien compte qu’un événement de cette ampleur est parfaitement inédit. Nous n’avons aucune idée de ce qui a pu se passer, mais…

Il déglutit avec difficulté avant d’achever sa phrase.

— Il y a peu de chance que ce soit d’origine naturelle. Cela ne peut être qu’un acte criminel.

Elle en était arrivée à la même conclusion mais avait du mal à se résoudre à cette éventualité. Ce qu’un acte criminel de cette ampleur pouvait impliquer était terrifiant.

— La planète est toujours là, murmura-t-elle. Elle est comme morte, mais elle n’a pas bougé. Il faut que je m’y pose si nous voulons en savoir plus.

— Non, dit-il sans aucune conviction. Nous pourrions envoyer des sondes. Des vaisseaux de reconnaissance inhabités.

— Monsieur Clegg, vous savez aussi bien que moi qu’il faudra des heures au plus proche de ces engins pour atteindre Oniria. Probablement plusieurs jours. Je peux être au sol dans moins de deux heures s’il le faut. Et vous l’avez dit, Marleen recevra la coupure médiatique d’Oniria dans à peine trois heures maintenant.

C’était là la pire conséquence qu’elle pouvait imaginer. L’extinction totale d’une planète était inquiétante. Mais si aucune explication n’y était donnée, combien de temps avant que les rumeurs n’enflent dans les autres systèmes de la galaxie ? Avant que l’on ne parle de terrorisme à échelle planétaire ? Que la panique ne gagne la galaxie entière ?

— Vous l’avez dit vous même, dit-elle, les médias d’Oniria sont le moteur de notre civilisation à tous les niveaux. Les petites planètes environnantes ont déjà dû constater l’arrêt des diffusions des programmes. Que se passera-t-il quand les bourses et les marchés de Marleen ne recevront plus rien ? Quand les gouvernements sur Sys verront leurs moyens d’information coupés ? Il faut agir au plus vite. Savoir ce qui se passe. En informer rapidement les autres systèmes.

« Et rallumer la lumière sur Oniria, si cela est possible » pensa-t-elle, concluant sa phrase intérieurement.

— Vous avez raison, admit Clegg à contrecœur. Vous avez mon aval. Rendez-vous à proximité de la planète et tâchez de comprendre ce qui s’y passe. Posez-vous si besoin et… et si vous le pouvez.

— Bien, monsieur, dit Élisa. Y atterrir ne devrait pas poser de problème.

— Vous oubliez qu’il n’y a plus aucun éclairage sur la planète. Ce qui veut dire plus aucun terrain d’atterrissage opérationnel et plus aucun spatioport en marche.

— Je trouverai bien un terrain désert pour atterrir sans danger. Ça ne peut pas être plus dangereux qu’une planète encore inexplorée. J’aviserai sur le moment.

Élisa éteignit les caméras externes et mit en marche les appareils de vol. Les moteurs se réveillèrent dans un léger vrombissement à peine perceptible depuis l’intérieur de la cabine.

— Contactez-moi lorsque vous serez arrivée à proximité de la planète. Et faites attention à vous…

La communication s’interrompit. Élisa s’enfonça confortablement dans son fauteuil et copia les coordonnées d’Oniria dans le gestionnaire de pilotage à grande échelle. « Au moins, l’ennui est terminé, maintenant » songea-t-elle avec un mélange d’excitation et d’appréhension.

Le système de pilotage à grande échelle se mit en route, et le vaisseau traversa le voile noir de l’espace dans un éclair fulgurant.

2. Thalie

Élisa profita du temps que prenait le trajet vers Oniria pour rassembler ses affaires. Elle attrapa son vieux sac à dos et y fourra sans ménagement son équipement de base : ordinateur, lampe-torche, balises de détresse, et un vieux pistolet électrique de service. Élisa n’aimait pas particulièrement devoir emporter une arme avec elle, mais cela était recommandé en cas de mission à risque. Et cette mission semblait suffisamment risquée pour la faire redoubler de prudence.

Un signal sonore lui indiqua que le vaisseau serait bientôt arrivé à destination. Elle regagna le poste de pilotage et s’installa à nouveau face à la grande vitre qui offrait une vue imprenable sur le vide spatial. Le vaisseau perdait rapidement de la vitesse à mesure que la distance avec Oniria diminuait.

Enfin, la planète éteinte apparut brutalement devant le vaisseau qui allait encore, à cet instant, à une vitesse de voyage interplanétaire. La planète se rapprocha encore, de moins en moins vite, et finit par recouvrir tout le champ de vision. Une énorme masse ronde, un trou noir dans l’espace.

La nuit régnait sur l’ensemble de la planète. Oniria étant une planète isolée, elle ne profitait de la lumière d’aucun soleil et n’avait donc pas de jour naturel. Sa température était malgré tout vivable grâce à une très forte activité géothermique. Il était courant de blaguer sur les oniriens à propos des leur « chauffage au sol global », une petite curiosité qui avait permis un climat tempéré et, de fait, la colonisation de la planète.

Il était dit que les premiers colons avaient eu du mal à supporter de ne jamais voir de jour. Mais les générations suivantes qui naquirent et grandirent sur la planète s’en accommodèrent très bien puisqu’elles n’avaient jamais rien connu d’autre. C’est ainsi qu’Oniria avait acquis sa réputation de « planète qui ne dort pas » : dépourvue de cycle journalier, elle n’imposait aucun rythme de vie à ses habitants.

Deux voisins de palier pouvaient vivre de manière complétement décalée et ne jamais se croiser, l’un travaillant tandis que l’autre dormait, et vice versa. De la même manière, il n’était pas nécessairement problématique de dialoguer numériquement avec quelqu’un à l’autre bout de la planète : la notion même de décalage horaire n’avait plus aucun sens.

Élisa regardait la planète avec appréhension. Jamais elle n’avait vu pareil spectacle. La sur-urbanisation de la surface était déjà visible, mais l’absence totale de lumière donnait l’effet d’un astre mort… Comme si une catastrophe à l’échelle planétaire avait anéanti la totalité de ses habitants. Élisa pensa que cela devait ressembler à ce que les historiens de l’Époque Terrestre appelaient « l’hiver nucléaire », ce grand vide gris et hostile dont les livres d’Histoire n’offraient que des vues d’artiste.

Le vaisseau se stabilisa, sa vitesse de poussée tendant vers zéro, tandis que la planète l’entrainait doucement en orbite.

Élisa pianota sur la surface de son tableau de bord et demanda une communication avec Gabriel Clegg. La voix de son supérieur se fit entendre après quelques courtes secondes. Il se passa des formules de politesse.

— Ly, quelle est la situation ?

— Je suis en orbite d’Oniria. La situation n’a pas évolué et nos capteurs ne nous ont pas trompés. La planète est éteinte. Il n’y a pas d’autre mot.

— Pouvez-vous entrer en contact avec une station orbitale ?

— J’en doute. Si nous n’avons pas réussi à les contacter auparavant, il n’y a pas de raison pour que cela fonctionne mieux maintenant. Et sans moyen de communication, je me vois difficilement accoster une station spatiale à l’aveuglette.

Elle fut soudain prise d’un vertige… Les habitants des stations spatiales pouvaient-ils seulement survivre sans électricité ? Combien de morts en orbite ? Et combien d’avions avaient pu chuter dans l’atmosphère si tous les systèmes s’étaient coupés en plein vol ? Elle refoula ces pensées au fond de son esprit.

— Allez-vous atterrir ? Il est encore temps de reculer.

— Je ne vais pas rester indéfiniment en orbite. Sans liaison avec les habitants de la planète, nous n’avancerons pas. Il faut que je me rende sur place pour comprendre la situation.

— Très bien, fit Clegg. Atterrissez, c’est la seule chose à faire.

— Oui. J’atterris, et je contacte les autorités les plus proches.

— En espérant que la planète n’ait pas sombré dans le chaos. Imaginez ce qui peut se passer en bas, dans l’obscurité la plus totale, et sans aucun appareil en état de marche.

Élisa ne lui fit pas part de ses propres réflexions sur les problèmes qu’une panne globale pouvait entrainer. Il y avait un million de conséquences auxquelles ils n’avaient tout simplement pas le temps de réfléchir. Il était trop tard pour s’en inquiéter.

— Nous verrons. Je vous tiens au courant.

Elle coupa la communication et commença à étudier la possibilité d’un atterrissage. Elle s’était débrouillée pour se placer au-dessus du secteur de Thalie, le cœur battant d’Oniria. Si la planète avait connu une urbanisation folle et incontrôlée, elle offrait tout de même encore de nombreuses étendues à l’état sauvage. Élisa observa les alentours de Thalie sur une de ses cartes numériques. La métropole s’étendait sur des kilomètres carrés puis était cernée de banlieues tout aussi urbanisées. Pas la moindre prairie, pas la moindre clairière. Il fallait regarder bien plus loin pour que le paysage commence à vaguement ressembler à une campagne, parsemée de villages.

Élisa ne pouvait se résoudre à atterrir si loin. Elle voulait maximiser ses chances de trouver l’origine du problème et rencontrer rapidement des autorités locales qui, peut-être, sauraient ce qui était arrivé à leur planète.

Elle finit par trouver la solution : un énorme stade à ciel ouvert se dressait à quelques rues du centre-ville de Thalie. Bien plus large que le vaisseau, et éloigné des immenses immeubles qui hérissaient la ville.

Elle renseigna la position du site d’atterrissage au vaisseau, lança la procédure et attacha fermement ses ceintures de sécurité. Le vaisseau se cambra et entama sa descente vers le sol sombre d’Oniria. Élisa restait solidement attachée et gardait un œil sur les appareils de mesure. Dans l’immense majorité des cas, les vaisseaux actuels pouvaient gérer un atterrissage de A à Z sans aucune intervention humaine, mais une avarie pouvait toujours se produire.

La couche haute de l’atmosphère enveloppa le vaisseau d’un voile de feu vibrant et dansant sous les yeux d’Élisa. L’habitacle tremblait de plus en plus fort à mesure que l’air se densifiait autour du vaisseau. Après quelques minutes seulement, elle distinguait déjà les constructions mégalomanes de la planète, faiblement éclairées par la seule lumière du ciel étoilé. Quand enfin le stade fut à portée de vue, le vaisseau de redressa en position horizontale et ralentit.

Il finit par se stabiliser parfaitement dans les airs. Élisa pouvait voir le stade vide en contrebas grâce à une des caméras placées sous le vaisseau. Le vaisseau relâcha légèrement son réacteur inférieur et descendit lentement vers le sol. Le terrain était couvert d’une herbe d’un bleu très pâle, presque blanc. Élisa se demandait quelle forme de vie végétale pouvait se développer sans aucun rayonnement solaire. Une autre curiosité de la planète, sans doute…

Le vaisseau se posa en une légère secousse. Élisa défit ses ceintures et se pencha en avant, scrutant à travers la vitre le terrain de sport faiblement éclairé par les quelques projecteurs du vaisseau. Il était vide, vide comme il avait rarement dû l’être, si l’on considérait le nombre de matchs qui s’y jouaient habituellement, à peine espacés de quelques heures les uns des autres.

Aquarelle représentant Élisa debout avec sa lampe à la main, l'air peu rassurée

Elle enfila une veste en simili-cuir et mit son sac sur ses épaules. Elle effleura la plaque sur le bord du sas qui s’ouvrit en grinçant faiblement. L’air d’Oniria se mêla à celui du vaisseau dans un souffle. Elle fut surprise de sentir un vent assez chaud, plus chaud que l’air climatisé de sa cabine. Une chaleur sans soleil, une chaleur issue des profondeurs de la planète.

Elle descendit les quelques marches qui la séparaient du sol et posa le pied sur l’herbe bleutée. Le terrain était tendre et chaud, ce qui était bizarrement agréable après de si longues semaines passées à arpenter le sol métallique du vaisseau. Elle verrouilla le sas de l’extérieur et avança. Il ne lui fallut parcourir que quelques mètres pour sortir du halo des projecteurs du vaisseau, aussi alluma-t-elle sa lampe.

Le silence était étonnant. Pas un bruit à l’horizon, aucun ronronnement de machine, pas même l’écho du brouhaha dont les grandes villes résonnaient toujours. Si elle fermait les yeux, elle aurait pu se croire perdue dans le désert d’une planète inhabitée. Elle était pourtant dans le centre de la ville la plus animée de la planète la plus animée de la galaxie.

Tout en marchant vers une sortie, elle braquait sa lampe-torche vers les gradins, à la recherche d’une éventuelle âme qui vive. Tout était d’un vide désolant, presque inquiétant dans cette pénombre omniprésente. Le petit vent chaud faisait doucement trembler l’herbe au sol. Elle pouvait entendre le bruissement des brins sous ses pieds.

Elle sortit du stade, traversa un long parking désespérément vide et rejoignit enfin la route. Elle se trouvait sur une route à six voies qu’elle avait identifiée comme l’une des artères principales de la ville. Elle se dirigea vers le centre, arpentant le large trottoir. Des voitures étaient arrêtées un peu partout. Certaines étaient stationnées, mais un grand nombre étaient juste plantées là, en plein milieu de la route. Comme figées dans leur mouvement. Une circulation d’heure de pointe que l’on aurait subitement mise sur pause. Mais il n’y avait personne dans les véhicules.

Le paysage était stupéfiant. Les lampadaires au design rétro jalonnaient la route, éteints. Les feux de circulation ponctuaient les carrefours et ne brillaient plus d’aucune couleur. Les gratte-ciel s’enfonçaient dans les ténèbres du ciel sans que l’on puisse en distinguer les sommets. Au-dessus, la voie lactée brillait de mille feux, débarrassée de la pollution lumineuse de la ville.

Élisa scrutait avec attention les bâtiments qui cernaient la route. Elle braquait sa lampe un peu partout, dans l’espoir de distinguer un mouvement, une forme, quelque chose de vivant. Un sentiment de malaise lui serrait le ventre, une sensation désagréable d’être observée…

Le mystère s’épaississait dans son esprit. Où était passé tout le monde ? Si une catastrophe avait détruit les appareils électriques, comment se faisait-il que toutes les voitures aient été laissées en plan, là, et que tout le monde soit parti ? Et parti où ?

Élisa essayait d’ouvrir les portes de chaque bâtiment qu’elle croisait, mais toutes étaient fermées. À son grand désarroi, elle trouva un Poste de Police tout aussi clos et désert. L’espoir de rencontrer quelqu’un, de contacter les autorités locales pour en apprendre plus s’amenuisait. Si une attaque terroriste avait fait sauter toutes les machines de la planète, elle en avait également vaporisé tous les êtres vivants.

Malgré la chaleur ambiante, Élisa frissonna. Personne en vue, et pourtant ce sentiment de malaise persistait. On l’observait, elle en était persuadée. C’était même pire que ça : elle avait la sensation d’être observée par la planète toute entière. Comme si les quatre milliards d’oniriens s’étaient concentrés dans les grands immeubles qui la toisaient de tous côtés et la fixaient intensément, silencieusement.

Élisa pressa le pas, sans trop savoir pourquoi. Si quelqu’un l’observait effectivement, il le faisait en tout cas sans aucun bruit et sans aucun mouvement. Elle était tentée de défoncer une porte et de parcourir les étages d’un immeuble pour tenter d’y trouver quelqu’un. Mais la plupart des bâtiments de la ville devaient être prévus contre les cambriolages, et son pauvre pistolet électrique n’y pourrait pas grand chose. Par ailleurs, elle avait l’intuition que son angoisse ne s’améliorerait pas dans un milieu fermé…

Elle finit par atteindre une grande place circulaire à laquelle se connectaient d’autres artères de la ville. De très larges panneaux lumineux — ou plutôt, habituellement lumineux — recouvraient les murs des bâtiments alentours. Au bout de la place, Élisa pouvait distinguer une grille de fer qui hachurait le faisceau de sa lampe-torche. Derrière, des formes dansaient gracieusement dans le vent. Des arbres !

Elle traversa la place d’un pas rapide et atteignit l’entrée du parc. Les grands arbres qui oscillaient légèrement étaient du même bleu clair que l’herbe qui recouvrait le sol. Élisa s’avança dans l’allée principale. Elle pensa avec tristesse à quel point ce parc devait être magnifique lorsqu’il était illuminé et que l’on pouvait le voir en entier…

La forêt était dense près de l’entrée, sans doute pour créer une séparation nette avec la ville. Puis la concentration d’arbres diminuait petit à petit à mesure qu’elle s’avançait. Elle distinguait au loin un édifice de taille moyenne. Une fontaine, devina-t-elle.

Aquarelle représentant la silhouette d'ÉLia dans le parc plongé dans la nuit

En s’approchant, elle aperçut alors des formes inhabituelles. Des petits sacs allongés semblaient disposés à même le sol, tout autour de la fontaine. Elle fit quelques pas de plus, braquant sa lampe sur les petits sacs.

L’horreur la glaça de l’intérieur : ce n’était pas des sacs. Sous de fines couvertures, des corps étaient allongés.. Leurs visages étaient d’un blanc morbide, leurs yeux clos. Des cadavres !

Ils étaient tous morts, réalisa Élisa alors que le sang lui battait aux oreilles. Tous morts. Oniria était morte. Le faisceau de sa lampe-torche parcourait un à un les visages des pauvres personnes étendues là, sur l’herbe. Tous étaient immobiles, morts, avec cette même teinte blanche cadavérique.

Ils étaient tous morts.

Les pensées se bousculaient dans la tête d’Élisa. Comment cela était-il arrivé ? Pourquoi les cadavres étaient-ils rassemblés ici ? Et si tout le monde était mort, qui donc les avait amenés ?

La panique s’emparait d’elle. Son esprit cartésien était étouffé par la peur, laissant le champ libre aux terreurs que son imagination pouvait produire. Elle pensait à des catastrophes, des malédictions, des maladies… Elle songeait avec effroi qu’elle-même était peut-être condamnée : si une pandémie avait ravagé tous les êtres vivants, peut-être avait-elle été contaminée ? Elle avait respiré l’air de la planète et se trouvait maintenant à proximité de dizaines de cadavres.

Elle continuait d’observer l’un après l’autre les visages des victimes. Quand tout à coup, elle tomba les yeux dans les yeux avec une femme. La peau blanche, immobile, les yeux grand ouverts. Fixes. Braqués en direction d’Élisa.

Ce fut plus qu’elle ne pouvait en supporter. Elle tourna les talons et se mit à courir aussi vite que possible vers la sortie du parc, les larmes aux yeux.

3. Zoé

Les façades des bâtiments se mélangeaient en un flou de grilles vitrées autour d’elle. Les voitures, panneaux et lampadaires clignotaient du faisceau de sa lampe-torche agitée par les mouvements frénétiques de ses bras. Élisa courait, aussi vite qu’elle le pouvait. Fuir. Fuir cet endroit de mort, regagner le cocon du vaisseau, son fauteuil, son confort. Sa sécurité.

La sueur coulait le long de son front, ses bras, son dos. Ses jambes, affaiblies par la longue période passée assise dans le vaisseau, la faisaient terriblement souffrir. Mais l’adrénaline masquait cette douleur et la poussait vers l’avant, vers le stade, vers le vaisseau. Loin de cette planète de malheur.

Fuir.

Toute vie anéantie. Plus de quatre milliards de morts. Elle n’en avait vu que quelques dizaines, mais elle ne se faisait aucune illusion : cela ne pouvait être sans rapport avec l’extinction des lumières de la planète. Et l’extinction était globale. Non, il n’y avait pas d’alternative : ils étaient tous morts.

Elle courait, les poumons en feu, les battements de son cœur résonnant dans chaque cellule de son corps. Elle était incapable de réfléchir, incapable d’analyser froidement la situation. Un monde entier venait de s’écrouler, elle en était la première spectactrice. Si seulement elle avait pu s’ennuyer un peu plus sur son vaisseau…

Soudain, les jambes d’Élisa cédèrent sous son poids. Elle s’écroula sur le sol, les bras en avant pour amortir sa chute. La fatigue de ses jambes, la gravité de la planète subtilement différente de celle du vaisseau… et un trottoir un peu déformé avaient eu raison d’elle.

Elle encaissa le choc, le souffle coupé. Ses paumes étaient en sang mais cette douleur n’était qu’une information de plus, perdue dans les nuées de pensées terrifiantes qui bataillaient dans son esprit. Elle se redressa tant bien que mal, à genoux, les mains à terre. Ses cuisses et ses mollets lui hurlaient leur fatigue. Elle se passa les mains sur les jambes, comme pour s’assurer qu’elles étaient toujours fonctionnelles.

Enfin elle se releva, reprit ses esprits et respira à plein poumons. Un semblant de calme revint en elle. La peur était toujours là mais la panique se temporisait. Elle respira encore, diminuant son rythme cardiaque autant qu’elle le pouvait. Le stade était tout proche, elle serait bientôt en sécurité.

Elle reprit sa route en marchant cette fois, réfléchissant à ce qui allait pouvoir arriver par la suite. Elle contacterait Gabriel Clegg dès son arrivée au vaisseau. Lui ferait son rapport à ses supérieurs, qui à leur tour se tourneraient vers des autorités compétentes.

Compétentes… Qui pouvait bien avoir la compétence pour gérer ce genre de situation ?

Elle arriva au stade d’où s’échappait un halo jaunâtre. La seule source de lumière encore visible sur la planète : son vaisseau. Elle avait laissé les projecteurs allumés, par réflexe, comme pour laisser une balise, un phare à suivre si d’aventure elle se perdait dans Thalie. Elle ne put réprimer un soupire de soulagement. Et puis…

Un bruit. Comme un miaulement.

Elle pencha la tête sur sa gauche pour découvrir un petit chat qui s’était glissé à côté d’elle silencieusement. Il la regardait d’un air curieux et se mit à miauler de plus belle. Elle l’observa elle aussi et une partie de sa peur s’envola, pour une raison qu’elle ne s’expliqua pas immédiatement.

Puis, après quelques secondes les yeux plongés dans ceux, étincelants, du chat, elle comprit ce que la vision du petit être avait provoqué en son for intérieur. « Il est vivant » pensa-t-elle. Un espoir. Des animaux avaient survécu sur la planète. Peut-être d’autres avaient-ils également été épargnés. Peut-être des humains.

Elle s’accroupit et le chat, peu farouche, vint directement se coller sous sa main en attendant des caresses…

— Hé bien, mon petit, lui murmura-t-elle, tu es tout seul ici ?

— En fait il est avec moi.

Élisa se retourna en un bond, ce qui provoqua une belle frayeur au chat qui détala dans un miaulement plaintif pour se cacher sous une voiture. Elle sentit l’air se bloquer dans ses poumons. Elle voulut hurler mais sa bouche ne produisit aucun son. Devant elle se tenait, debout, la femme du parc. Celle avec les yeux ouverts. Celle qui l’avait fait fuir. Toujours aussi pâle.

— Je suis désolée, dit la femme blanche, je crois que je vous ai fait un peu peur tout à l’heure. J’ai essayé de vous rattraper, mais vous courez sacrément vite !

Élisa était stupéfaite. La blancheur de cette femme lui semblait toujours cadavérique, mais elle était bien vivante, elle la regardait de ses grands yeux bleus et lui souriait.

— Vous avez l’air épuisé, poursuivit-elle, vous devriez vous asseoir un peu. C’est vous qui avez atterri tout à l’heure, n’est-ce pas ?

Élisa était toujours incapable de répondre et fixait la jeune femme comme si elle avait vu un fantôme. Elle avait du mal à la considérer autrement, à ne voir qu’un être humain bien vivant et non un cadavre ambulant. La jeune femme semblait embarrassée et affichait un sourire gêné.

— Je m’appelle Zoé, continua-t-elle d’un air enjoué pour rompre le silence. Et vous ?

Élisa parvint enfin à déglutir et à ordonner à ses poumons de se remettre en marche.

— Élisa, dit-elle d’une voix anormalement grave. Qu’est-ce que… Comment…

La jeune Zoé se mit à rire avec une insouciance non dissimulée.

— Si vous n’êtes pas d’ici, vous devez sans doute avoir une foule de questions à poser… Essayez de vous calmer, tout va bien. Vous devriez vous asseoir.

Elle indiquait de la main un banc à deux pas d’Élisa. Celle-ci finit par s’y asseoir, sans vraiment s’en rendre compte, fascinée par la présence si inattendue de celle qu’elle avait cru morte dans le parc. Elle allait peut-être avoir des réponses, et l’attitude joviale et détendue de la jeune fille avait un effet apaisant.

— Qu’est-ce qui se passe ici ? demanda Élisa en murmurant toujours, incapable de briser le silence plus fortement.

— Je pense que j’aurais du mal à tout vous expliquer de but en blanc, dit Zoé en s’asseyant à son tour. Que voulez-vous savoir ?

— Pourquoi la planète s’est-elle éteinte ?

— Éteinte ? C’est joliment dit. Hé bien… C’est nous qui l’avons éteinte.

— Vous ?

— Les oniriens, oui.

Élisa resta bouche bée. Ils avaient pensé à la catastrophe naturelle. Ils avaient pensé à l’attaque terroriste. Jamais ils n’auraient pensé que les oniriens s’infligeraient cela à eux-mêmes.

— Mais pourquoi ?

— Ah, soupira Zoé, c’est une longue histoire… Vous connaissez sans doute la réputation d’Oniria, j’imagine. « La planète qui ne dort pas » dit-on. La planète folle, la planète de l’extravagance, le centre de la galaxie… Vous savez que ce qui paraît excitant de l’extérieur peut parfois devenir insupportable à l’intérieur ?

Élisa ne répondit pas. Son travail à elle, Agente de Reconnaissance Spatiale, véhiculait de nombreux fantasmes faits d’aventures plus incroyables les unes que les autres. Elle passait pourtant le plus clair de son temps à s’ennuyer ferme dans son vaisseau.

— Nous avons décidé de reprendre nos vies en main, continua Zoé. Nous vivons tous par les médias, pour les médias. Il n’y a rien qui ne soit médiatisé, et ce qui n’est pas médiatisé n’est rien. Cette frénésie permanente a fini par tuer tous nos maigres liens sociaux et par interdire toute relation saine entre les humains. Nous avons décidé d’y mettre un terme. Oniria avait été colonisée par des artistes, des créatifs, des idéalistes qui pensaient avoir trouvé un monde où il n’y aurait plus de barrière pour s’exprimer, librement et paisiblement.

— Paisiblement, dit Élisa avec un petit rire en pensant à la réputation d’Oniria.

— Exactement, dit Zoé. Aujourd’hui le seul « art » qu’Oniria exporte est un flot d’émissions plus stupides les unes que les autres, destinées à vider le cerveau des spectateurs. Nous avons échoué à réaliser le rêve. « Oniria », c’était tout un symbole. Mais c’est devenu une machine à vomir de l’art en boîte, des produits de consommation faciles à exporter et à vendre. Alors nous avons décidé d’arrêter les frais. Nous coupons tout. Et nous allons tout revoir, posément. Prendre un nouveau départ.

— Mais pourquoi avoir tout éteint d’un coup, comme ça ? Et pourquoi ne pas l’avoir annoncé ?

— Notre sens du spectacle, j’imagine, dit Zoé avec une petite lueur de fierté dans les yeux. Nous avons peut-être échoué à faire d’Oniria un paradis culturel, mais nous n’en restons pas moins des artistes. Et comment aurions-nous pu l’annoncer ? Le peuple onirien n’a pas voix à l’antenne. Les élites et les stars de la planète vivent dans un monde tellement différent du nôtre qu’elles n’étaient même pas au courant de ce projet, alors que la quasi-totalité des oniriens ne parlait que de cela depuis des mois. Je me demande quelles ont été leurs réactions lorsque leurs plateaux se sont éteints subitement et que tous les techniciens sont rentrés chez eux tranquillement, sans dire un mot.

— Rentrés… Et c’est tout ? Les lumières s’éteignent, et plus rien ? Mais qu’allez-vous donc faire maintenant ?

— Hé bien, je pense que nous allons commencer par dormir.

Zoé pouffa en voyant les yeux ronds qu’Élisa avait ouverts en entendant cette réponse.

Aquralle représentant Zoé

— Hé oui. C’est ironique, non ? La planète qui ne dort pas voudrait simplement dormir… Vous l’ignorez sans doute, mais les habitants d’Oniria supportent en fait assez mal de vivre sans horaire, sans jour, sans nuit. Et seules les classes populaires sont obligées de vivre ainsi, à cause du travail, vous voyez… On raconte un peu partout que nous adorons cela, mais c’est faux. C’est original, atypique, et nous aimons en parler comme si cela faisait tout le sel de notre vie mondaine. Mais ça n’a rien d’amusant. Imaginez la difficulté d’avoir des amis, de se retrouver en communauté lorsque personne ne vit au même moment. Imaginez la difficulté d’avoir une famille…

Zoé soupira à nouveau, une certaine lassitude teintant son sourire. Élisa resta silencieuse un instant, pensive. Elle était bien sûr soulagée d’apprendre qu’il ne s’agissait pas d’un acte criminel, mais tout de même…

— Vous n’êtes donc pas tous morts ? Pourquoi y avait-il tous ces corps dans le parc ?

Zoé éclata d’un rire franc et joyeux.

— Des corps ? Mais je viens de vous le dire, Élisa, nous dormions ! Nous avons célébré le calme et la nuit enfin retrouvés partout sur la planète. Et nous avons dormi à la belle étoile, tous ensemble pour une fois…

— Mais vous étiez tous si… blancs.

— Ah, mais c’est une planète sans soleil ! Vous attendiez-vous vraiment à trouver des personnes au bronzage doré ? Tout le monde est blanc, ici ! Et nous sommes aussi les seuls blonds naturels de toute la galaxie, pour tout vous dire. Vous saviez que cette couleur avait pratiquement disparu avant la colonisation d’Oniria ?

Élisa se rappela alors un détail qui aurait dû également lui sauter aux yeux : pour autant qu’elle pouvait s’en souvenir, toutes les personnes allongées dans le parc avaient des cheveux dorés, à peine moins clairs que leurs peaux.

— Mais les oniriens que nous voyons sur les diffusions…

— Vous ne voyez qu’un pourcentage infime de la population onirienne sur vos écrans, fit remarquer Élisa. La plupart des grandes stars sont issues d’autres systèmes, et les rares oniriens qui sont diffusés font tout pour leur ressembler… Les UV et les teintures, ça vous change un homme. Et si ça n’est pas suffisant, une augmentation de contrastes et quelques filtres colorés font des merveilles sur une vidéo. Il paraît que notre teint trop blanc évoque la maladie et la mort aux autres systèmes… Ça n’est pas très « bankable », si vous voyez ce que je veux dire.

— Vous voulez dire que la population d’Oniria est discriminée sur sa propre planète ?

— Discriminée… Pas officiellement. Il n’est besoin d’aucune loi et d’aucun complot lorsque les différentes puissances trouvent un intérêt commun à écraser le peuple. Médias, politiques… La grande messe médiatique fonctionnait pour eux, il leur suffisait de se renvoyer la balle indéfiniment. Les célébrités et les dirigeants des grandes entreprises audiovisuelles diffusaient leur pensée aseptisée en masse pendant que le peuple onirien faisait tourner la machine dans l’ombre… jusqu’à ce que l’écœurement prenne le dessus. Jusqu’à ce que nous nous rendions compte que nous avions le pouvoir. Le pouvoir de tout changer…

— Et les autres planètes…

— Les autres planètes nous suivront, peut-être, la coupa Zoé. Si elles en ont le courage. Si elles sont prêtes à franchir le pas. Sinon, eh bien, elles devront apprendre à vivre sans la frénésie médiatique d’Oniria. Et alors, à force de désintoxication, elles finiront par être prêtes… elles finiront par avoir le courage. Et elles aussi, elles s’arrêteront un instant, un instant seulement. Elles aussi, elles dormiront. Elles réfléchiront. Et peut-être alors trouveront-elles aussi qu’il y a des choses à changer dans leurs propres fonctionnements…

Élisa n’en croyait pas ses oreilles. Elle avait pensé que les oniriens n’avaient tout simplement pas réfléchi aux autres planètes, qu’il s’agissait d’une décision isolée et que les conséquences ne leur importaient pas. Mais sous des airs de petit mouvement joyeux et bon enfant, ces idéalistes avaient lancé sciemment les germes d’une véritable révolution à échelle galactique ! Elle se leva brusquement.

— Il faut que je retourne à mon vaisseau, dit-elle. Je dois contacter mes supérieurs. Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous avez fait… Comment imaginer les conséquences à l’échelle de la galaxie ?

— Je ne le peux pas, reconnut Zoé. Pas plus que vous. Pas plus que toutes les élites de la galaxie réunies. Et les conséquences du statu quo, qu’en pensez-vous ? Nous voulons juste agiter un peu les choses… Ce que les peuples en feront ne dépendra que d’eux.

— Plus de communication ? Plus d’informations ? Les bourses vont s’effondrer ! Des gouvernements autoritaires vont se former un peu partout pour contenir le chaos ! Les peuples n’auront pas voix au chapitre !

— Peut-être, dit Zoé. Et peut-être pas.

« Elle est folle » pensa Élisa. Et sans ajouter un mot, elle se dirigea vivement vers son vaisseau, ce qui prit Zoé par surprise. Elle resta interdite un instant, puis se leva et suivit Élisa de près.

— Vous êtes très tendue, fit-elle remarquer en marchant à ses côtés. Vous savez, vous n’êtes pas obligée de marcher si vite : avec l’arrêt des émissions d’Oniria, le temps va se ralentir… Enfin, pas littéralement, ajouta-t-elle avec un petit rire.

Élisa ne répondit pas. Elle ne savait plus vraiment où elle en était. Tout était inconnu, l’humanité allait voir sa réalité basculer en quelques heures. Folie ! Et pourtant…

— En l’absence d’Oniria comme moteur des communications, le temps nécessaire pour dialoguer entre les systèmes va redevenir beaucoup plus lent, poursuivit Zoé. La galaxie ne s’arrêtera pas de tourner si vous attendez quelques heures avant de contacter vos supérieurs. La nouvelle se répandra en son temps. Partout, on va prendre le temps. D’analyser les choses. De se parler. De réfléchir. La politique spectacle va s’éteindre tout doucement. Les débats vont se dépassionner. Les tensions vont s’apaiser. De quoi avez-vous peur ?

Élisa avait presque atteint le vaisseau mais ralentit.

— Comment pouvez-vous êtes si confiante que quarante milliards d’êtres humains réagiront positivement à une déconnexion nette et totale…

— Regardez Oniria, dit Zoé en souriant. Nous avions prévu et planifié tout cela de longue date, en consensus. Incroyable, non ? Et pourtant, je peux vous assurer qu’aucun d’entre nous n’a les mêmes opinions politiques, les mêmes centres d’intérêt ou les mêmes buts dans la vie. Mais nous avons choisi de faire une pause et de recommencer à réfléchir ensemble. Oui, il y aura des frictions. Oui, il va y avoir un nombre incalculable de problèmes à régler. La tâche est incommensurable. Est-ce qu’Oniria va rester éteinte à tout jamais ? Probablement pas. Est-ce que nous relancerons la machine médiatique ? Peut-être. Différemment. Nous avons tout le temps pour y penser, maintenant. Et nous offrons cette occasion aux autres systèmes. Affranchis de la manipulation de masse. De la prison mentale des médias. Libre à eux de saisir cette chance. S’ils le souhaitent.

Les projecteurs du vaisseau illuminaient toujours le terrain. Zoé, toujours souriante, luisait étrangement avec son teint si pâle, ses yeux bleus et ses cheveux blonds. Élisa la regarda un long moment. Puis elle se dirigea vers le vaisseau et Zoé baissa les bras tristement.

— C’est comme vous le sentez, dit-elle simplement.

Élisa effleura la surface active sur le bord du sas… et les projecteurs s’éteignirent en emportant avec eux le léger ronronnement de l’alimentation électrique. Le stade était à nouveau plongé dans l’obscurité. Élisa éteignit également sa lampe. La dernière lumière active sur Oniria, sans doute…

Zoé avait retrouvé son air joyeux quand Élisa se détourna du vaisseau et la rejoignit sur la pelouse chaude du stade. Elles quittèrent toutes deux le stade sans rien dire. Élisa n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait et de ce qui allait se passer. Mais elle avait décidé que pour l’heure, elle s’en fichait.

Zoé l’accompagna dans les rues de la ville. Élisa s’étonna de les trouver si rassurantes après les avoir traversées terrorisée si peu de temps auparavant.

Dans le parc, elles s’allongèrent dans l’herbe, l’une à côté de l’autre. Au loin, d’autres personnes dormaient. Ou peut-être se reposaient-elles juste, somnolentes. D’autres étaient éveillées et semblaient dialoguer, chuchotant. Seul le bruit du vent dans les grands arbres azurés troublait le silence de la nuit permanente.

La voie lactée scintillait toujours au-dessus d’elles, où les nombreuses autres planètes allaient bientôt devoir faire face à l’extinction d’Oniria… et choisir à leur tour leur voie.

Allongée dans l’herbe au bleu si pâle, Élisa regardait paisiblement la ville. Dans la pénombre, dans le silence, des milliards d’hommes et de femmes réfléchissaient sereinement à un avenir aux possibilités infinies.

La planète n’avait jamais été aussi vivante.

Publié le 30 janvier 2015 par Gee dans La plume

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