L'avait qu'à bien travailler à l'école

Publié le 13 mai 2022 par Gee dans La fourche

Allez, ça faisait longtemps que j'avais pas fait une petit BD politique (hors dessins de presse), voici donc ce que je pense des arguments comme « l'avait qu'à bien travailler à l'école » pour justifier de la précarité de certaines classes sociales…

L'avait qu'à bien travailler à l'école

Avec l'ambition de Macron de relever l'âge de la retraite à 65 ans, vous avez peut-être entendu ou lu ce genre d'argument :

Dans un studio de radio, un homme s'exclame : « Et le pauvre type qui se pète le dos en bossant à la chaîne à l'usine, vous trouvez ça humain de le faire bosser jusqu'à 65 piges ?! » La présentatrice répond : « Ah bah il n'avait qu'à avoir son bac et faire des études, au bout d'un moment, hein.  J'vous choque parce que j'dis la vérité, c'est tout. »

C'est un mécanisme qui revient souvent : naturaliser les inégalités sociales en les justifiant par le mérite à l'école, dans les études, etc.

Autour d'un verre, une femme dit tristement : « Tu sais, j'ai pas une vie facile… un boulot crevant et payé au lance-pierre… » Un homme lui répond, fataliste : « Bah ouais mais en même temps, t'avais qu'à bien travailler à l'école, hein.  J'dis ça, j'ai tout dit. »

Pas mal de gens semblent trouver normal – et même acceptable – que nos qualités de vies respectives soient déterminées par ce que nous faisions quand nous avions 14 ans.

Alors déjà, heureusement qu'on fait pas pareil pour l'intégralité de nos vies…

Gee représenté avec d'immenses cheveux en piques, un skateboard à la main et habillé d'un jean baggy : « J'suis vraiment obligé de porter des baggies, de me vider un pot de gel dans les cheveux tous les matins et d'aller bosser en skate ? » La Geekette : « Ah bah t'avais qu'à écouter autre chose que Sum 41 quand t'étais au collège. C'est ta vie maintenant.  Fais avec. »

Mais le pire, c'est qu'on sait, sociologiquement, que l'école reproduit assez mécaniquement les rapports sociaux, et que le contexte familial et économique d'un ou une élève a bien plus d'influence sur ses résultats scolaires que ses efforts ou son mérite.

La même image que précédemment, avec la femme et l'homme en train de boire un verre. La femme : « Tu sais, j'ai pas une vie facile… un boulot crevant et payé au lance-pierre… » L'homme : « Bah ouais mais en même temps, t'avais qu'à naître dans une famille qui t'aurais permis de bien travailler à l'école, hein.  Forcément, si tu fais pas d'efforts… »

Histoire de laver tout soupçon d'aigreur dans mon propos, je précise ici que moi, en l'occurrence, je travaillais bien à l'école : j'ai eu mon bac S avec mention « très bien » et j'ai poursuivi mes études supérieures jusqu'au doctorat.

La Geekette : « Rooooh, tu te la pètes ! » Gee : « Bah non, justement : j'explique que je n'y suis pas arrivé par mon mérite… mais bien plus parce que je suis né dans une famille de profs qui m'a donné le goût d'apprendre, qui m'emmenait faire des vacances toujours “culturelles” et me payait des cours de musique. » La Geekette : « Ouais d'accord, mais Jean-Kevin, le cancre de ta classe de CM2… d'accord, il était pauvre, mais est-ce qu'il était pas un peu con quand même ? »

On pourrait aussi évoquer le fait que l'école ne convienne pas forcément à tout le monde, ou encore que la notion de « mérite » puisse largement s'inverser APRÈS l'école, justement.

Autour d'un bureau, une femme dit : « Vous savez, j'ai pas une vie aussi tranquille que la vôtre : j'suis aide-soignante, et c'est pas facile tous les jours… » Un homme encravaté, les mains derrière la tête, détendu, souriant : « Bah ouais mais moi j'ai fait de longues études pour être banquier, je mérite ma place. » La femme : « Admettons, mais est-ce que AUJOURD'HUI, ce n'est pas moi qui ai plus de mérite que vous, en allant torcher le cul de la misère pendant que vous avez le vôtre posé derrière un bureau toute la journée ? » L'homme : « Non mais le mérite, ça s'arrête quand la vie active commence, voyons… »

Sauf que voilà : pas mal de gens semblent d'accord avec le fait qu'une situation professionnelle difficile soit une sorte de punition par rapport à des agissements passés. Et que la société repose entièrement sur des postes dont la précarité est complètement assumée comme le lot des personnes perdantes d'une juste compétition.

Agnès Pannier-Runacher : « Mais non-han. C'est pas une punition-han. C'est pour ton pays-han, c'est pour la magie-han. » Gee, blasé : « Ouais, après il faut une certaine souplesse intellectuelle pour, dans le même temps, essayer de faire aimer la précarité aux précaires… »

Même en mettant de côté l'énorme mépris constitutif de ces raisonnements, d'un pur point de vue d'organisation de la société, cette façon de justifier un monde injuste par « l'avait qu'à bien travailler à l'école » ne tient pas…

Imaginons un monde parfait où 100 % des gens travailleraient bien à l'école et feraient des études supérieures… qui irait bosser à la chaîne ou faire le ménage ?

Un bureau « France Travail ». Le conseiller dit : « Alors, je peux vous proposer un poste de serveuse au stand de gaufres de la foire du village. » Une demandeuse d'emploi : « Mais j'ai un master de mathématiques ! » Le conseiller : « Super, vous serez pas dépaysée, le cuistot a fait l'ENS ! » Le smiley : « Toute ressemblance avec des situations déjà existantes est bien sûr fortuite. »

Parce que vouloir lutter contre la précarité en « améliorant la formation », comme ils disent, ça ne peut pas marcher, parce que ça ne peut mener qu'à ça : le déplacement de la compétition vers des sur-qualifications à tous les étages.

En gros, « l'avait qu'à bien travailler à l'école », ça passe pas à l'échelle macroéconomique…

Un politicien borné : « Euuuh, bah… l'avait qu'à MIEUX travailler à l'école, alors ! » Une femme paniquée : « Mais j'ai un bac+3 en droit constitutionnel ! » Le politicien : « Ah mais nous on n'engage des secrétaires qu'à bac+5, désolé.  À bac+3, vous ne pouvez pas espérer mieux que femme de ménage… »

Le seul moyen d'améliorer les conditions de vie des personnes « qui n'ont pas fait d'études », c'est pas de leur permettre de faire autre chose…

… c'est d'améliorer leurs conditions de vie, c'est tout.

La femme face au mec encravaté : « Augmentation des salaires, réduction du temps de travail, retraite anticipée… » Le mec, scandalisé : « Quoi ? Mais c'est dégueulasse ! Et moi, alors, j'ai pas mérité autant avec mon bac+5 en management ?! » La femme : « Bah va faire mon boulot, gros, on t'regarde. »

Pour conclure : s'il y a des travaux lourds, pénibles et fatigants dont la société a besoin, arrêtons de nous satisfaire de la précarité qui en découle en la justifiant par cette connerie du « l'avait qu'à bien travailler à l'école ». Répartissons ces travaux de manière à réduire leur pénibilité et donnons aux personnes qui les font une juste rétribution et des conditions de vie digne.

Gee, taquin : « Répartition qui pourrait aussi consister, pour les cadres de bureau, à faire le ménage régulièrement dans leurs locaux… au lieu de compter sur une équipe d'entretien qu'on fait lever à 4 h du mat' pour laver la merde des autres. » Un cadre encravaté tient un balai dans la main : « Mais quelle est donc cette étrange chose avec des poils ? » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 11 mai 2022 par Gee.

Publié le 13 mai 2022 par Gee dans La fourche

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