LHDG02. Fin de l'open bar pour Microsoft au Ministère des Armées

Publié le 25 octobre 2022 par Gee dans Jukebox

Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.

Logo de l'émission Libre à vous !

Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.

Texte de la chronique

Salut à toi, public de Libre à Vous,

Si tu me suis sur les Internets, tu sais sans doute que je suis parfois d'humeur ronchonne et que j'ai une certaine tendance à m'énerver, notamment quand on parle du traitement du numérique par l'État en France.

Eh bien pour une fois que j'ai quelque chose de positif à en dire, ne boudons notre plaisir : oui, c'est vrai, on l'a appris il y a peu, c'est la fin de l'accord dit « Open Bar » entre Microsoft et le Ministère des Armées. Une nouvelle qui me donne envie de citer le groupe Blur : WOOHOO ! Pardon, je sais que la chanson n'est pas sous licence libre, mais disons que j'utilise mon droit de courte citation.

Bon, alors cher public de Libre à Vous, si tu ignores ce qu'était cet accord « Open Bar », je vais te l'expliquer. En temps normal, je ne saute pas de joie quand on m'annonce la fin de l'open bar, mais c'est sans doute un reste des années d'étudiants. Non, là, ce qui me fait plaisir, c'est que c'est la fin d'un accord open bar entre Microsoft et notre Ministère de la Défense. Enfin des Armées, oui moi j'étais resté à la Défense, mais il paraît que c'est le Ministère des Armées maintenant.

Bref. Cet accord, en gros, ça faisait de Microsoft le fournisseur de logiciel principal de la défense nationale française. Microsoft étant une multinationale étasunienne soumise aux lois étasuniennes ça pose quand même quelques questions en termes d'indépendance technologique, et même de sécurité sur la confidentialité de nos données : si on a inventé l'expression « secret défense », c'est bien que c'est un sujet un poil sensible, hein.

Personnellement, j'avais découvert cet accord, comme pas mal d'autres gens je pense, grâce à une émission Cash Investigation en octobre 2016. Émission au cours de laquelle Élise Lucet avait interviewé le vice-amiral Arnaud Coustillière sur les problèmes évidents que posait cet accord en termes de sécurité.

Accroche-toi, je te lis sa réponse :

En termes de sécurité, moi, personnellement, ça ne m'inquiète pas plus que ça. J'm'en fous de ce débat-là. Pour moi, ça, c'est un débat d'informaticiens.

Ahem. Cette réponse, en gros, on pourrait la traduire par : « cette question, c'est une question de gens qui connaissent le sujet, moi qui n'y connais rien, je n'vois vraiment pas le problème. » Eh bah c'est super ! Voilà, quand t'entends ça, tu comprends pourquoi on préfère quand l'armée s'appelle « la grande muette », hein.

Après, soyons indulgents avec monsieur le vice-amiral, cette déclaration date de 2016, seulement 3 ans après les révélations d'Edward Snowden sur le programme de surveillance globale de la NSA : laissons-lui le temps d'intégrer la nouvelle.

Oui parce que je disais que Microsoft était une multinationale étasunienne. Petit aparté d'ailleurs : je dis étasunienne et pas américaine, parce que j'ai une pote brésilienne qui aime pas trop qu'on confonde Amérique et États-Unis. Mais bon. Quand je remarquais que Microsoft était une multinationale étasunienne, c'était pas pour le plaisir de cracher sur les États-Unis gratuitement. Même si, euh, ça m'arrive hein.

Non, si les gens comme moi s'indignaient de cet accord, c'est parce qu'on SAIT que les services de renseignement étasuniens espionnent absolument tout ce qu'ils peuvent notamment en s'appuyant sur des logiciels privateurs comme ceux de Microsoft ! On ne le soupçonne pas, on ne le devine pas, on le SAIT. J'veux dire, refuser d'utiliser du Microsoft dans des domaines aussi sensibles que l'armée, c'est pas de la paranoïa, ça devrait juste être du bon sens.

Je sais je sais, j'avais dit que j'allais être de bonne humeur et j'ai quand même fini par grogner. Pardon. C'est vrai, la fin de cet accord entre Microsoft et le Ministère des Armées, c'est plutôt une bonne nouvelle. Bon, après, ne tombons pas les excès d'optimisme non plus. On n'en est pas encore à voir le Ministre des Armées venir danser en sarouel sur de la musique Creative Commons aux apéros de l'April. Non, la seule chose que ça veut dire, c'est que pour acquérir des logiciels, le Ministère devra passer par l'UGAP, l'Union des groupements d'achats publics. L'UGAP, qui n'est pas spécialement pro-logiciel propriétaire… mais pas spécialement pro-logiciel libre non plus.

Rien ne s'oppose donc à ce qu'on continue à avoir, au Ministère des Armées, du logiciel fermé avec porte d'accès privilégiée pour la NSA. Car c'est là que le bât blesse : en mettant en concurrence logiciel libre et logiciel propriétaire sur un pied d'égalité, en se mettant dans la position du simple consommateur, il y a de fortes chances que le logiciel propriétaire gagne. Pas qu'il soit intrinsèquement meilleur, encore qu'on n'est quand même plus à la grande époque de Windows 95 et de ses écrans bleus de la mort…

Simplement, de grosses boîtes comme Microsoft ont un pouvoir immense, avec des budgets de communication et de lobbying colossaux, face auxquels même des boîtes comme Red Hat ou Canonical – boîtes qui fournissent des distributions GNU/Linux professionnelles –, face auxquels ces boîtes donc, ont du mal à rivaliser.

C'est que pour avoir du sens, le choix du logiciel libre devrait se faire non pas comme simple consommateur, mais comme acteur parti prenant de son développement ! Ainsi, en embauchant des équipes de développement, les ministères français pourraient adapter et améliorer les logiciels libres existants, en profitant d'un code propre et sans logiciel espion. Ils pourraient ainsi contribuer à ces mêmes logiciels, stimulant ainsi leur activité, provoquant d'autres contributions dans un grand cercle vertueux. Le tout, en payant des gens qui travailleraient et paieraient leurs impôts en France, ce qui ne gâcherait rien.

Ah, mais on me fait signe dans l'oreillette que ces gens s'appelleraient alors des fonctionnaires, et que ça, malheureusement, c'est le mal incarné : non non non, les fonctionnaires, c'est un coût, une dépense à réduire, alors qu'un logiciel étasunien payé à prix d'or avec de l'argent public, c'est bien, c'est flexible, c'est moderne. Vous ne pouvez pas comprendre.

Bref. Bifurquer vers du logiciel libre pour les outils numériques des différents ministères, ça ne reviendrait pas à simplement changer de rayon à la Fnac : ça impliquerait une politique qui verrait un peu plus loin que le bout du libre marché, et qui arrêterait de considérer que la puissance publique doit tout externaliser et ne surtout posséder aucune compétence.

Autant dire qu'avec un gouvernement néolibéral aux manettes, on aura plus vite fait de monter nos propres alternatives libres à ces différents ministères… mais je vais m'arrêter là car on va finir par me soupçonner de séditions, et ce serait quand même dommage de me faire interdire d'antenne après seulement deux chroniques.

Alors je vous laisse, je souhaite une bonne émission et je vous dis salut !

Publié le 25 octobre 2022 par Gee dans Jukebox

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