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LHDG11. (Encore) un nouveau Fairphone ?

Publié le 28 septembre 2023 par Gee dans Jukebox

Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.

Logo de l'émission Libre à vous !

Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.

Note : cette chronique a également été déclinée dans un format BD. La BD et la chronique ne reprennent pas exactement les mêmes éléments mais en partagent certains, elles sont complémentaires.

Texte de la chronique

Salut à toi public de Libre à vous et bonne rentrée !

Me voici donc de retour pour une deuxième année de chroniques qui parlent de numérique. Si je fais le bilan de la 1re année, j'ai parlé de plein de trucs : de la pub sur Internet, des fracturés du numérique, des batailles sémantiques entre digital et numérique, de ChatGPT (et ça schlingue) – petite blague de prout pour bien démarrer l'année – et puis de pleins d'autres trucs comme le chiffrement ou GNU/Linux.

En gros, des sujets de société et des choses plus techniques très axées sur le logiciel, le software. Par contre je n'ai quasiment jamais abordé l'aspect hardware, le matériel, qui est pourtant littéralement la base du numérique. Un élément de hardware qui est sans doute le plus répandu aujourd'hui, probablement plus que l'ordinateur personnel maintenant, c'est le smartphone.

Ou plutôt l'ordiphone, parce que « smart », ça sous-entend que le téléphone est intelligent, alors qu'un téléphone comme un ordinateur, c'est complétement con, hein, ne l'oubliez pas. L'intelligence artificiel, ça n'est pas intelligent. Ni même artificiel en général vu que ça repose sur de la main d'œuvre exploitée dans des pays pauvres. Mais j'vais pas vous refaire ma chronique sur ChatGPT (et ça fouette).

Bref, le hardware en numérique, pour ne rien vous cacher, c'est souvent crade. Et je ne parle pas de votre écran de téléphone dégueulasse, tapissé de vos grosses traces de doigts bien grasses et de vos bactéries d'oreille. Non, le matériel numérique est malheureusement souvent un désastre sur deux points : écologiques et humains.

Écologique évidemment, avec en premier lieu l'extraction de terres rares et la consommation d'énergie nécessaire à la fabrication des terminaux. Terminaux à la durée de vie de plus en plus limitée. J'insiste sur la fabrication, car c'est surtout ça qui a un coût écologique non-négligeable, bien au-dessus des cas d'usage. Et c'est d'autant plus vrai que l'écran est gros.

J'en parlerai peut⁻être plus en détail une autre fois, mais « supprimer vos mails pour la planète », en vrai ça sert pas à grand-chose : c'est surtout du greenwashing de la part des grosses entreprises du numérique qui, à part ça, ne voient aucun problème à vous faire racheter un téléphone neuf et des télé 4K tous les 2 ans, ce qui est plusieurs ordres de grandeurs au-dessus du stockage des mails en terme de coût écologique, hein.

Et bien sûr, l'autre côté « crade » du numérique, c'est l'aspect humain. Comment vous dire… l'extraction des terres rares, elle est pas faite par des salarié⋅es en CDI avec le droit du travail français, en gros. La fabrication, pareil. Non, vive la mondialisation heureuse, et quand on est un fabricant de téléphone, on peut laisser libre cours à sa fantaisie : travail des enfants dans les mines, usines d'assemblages avec dortoirs sur place, couches-culottes, bouteilles à pisse, filets anti-suicide, et j'en passe. On est sur du crade CRADE.

Comme dans toutes les mécaniques bien huilées, y'a toujours un type pour venir mettre son grain de sable qui va tout faire capoter, en général un gugusse un peu illuminé qui va dire « euh, mais quand même, euh, ce serait bien, de genre, euh, j'sais pas… traiter correctement les êtres humains ? ». Pfffff, utopiste ! Le genre a vouloir faire du commerce « équitable », pfff, nan mais j'te jure, y'en a qui plane à 300 mètres.

Mais bon, même dans le numérique, on a des tentatives dans ce sens, et la plus connue est sans doute le Fairphone, « fair » comme dans « fair trade », le fameux « commerce équitable ». Ce « téléphone équitable », donc, est commercialisé par la société du même nom, Fairphone, depuis janvier 2013.

Change is in your hand, c'est ainsi que nous accueille le site internet de la marque : le changement est entre vos mains. Waouw. Puis le site nous dit « des smartphones et des produits électroniques construits pour durer, bénéfiques pour les personnes et la planète ». Ben ça a l'air super !

Le tout dernier modèle, le Fairphone 5, est sorti il y a moins de 3 semaines. Et on nous indique qu'il est conçu avec plus de 70 % de matériaux équitables ou recyclés, garanti 5 ans et facile à réparer (rien n'étant scellé à la colle comme sur beaucoup de téléphone).

Pour avoir été moi-même propriétaire d'un Fairphone, le Fairphone 2 en l'occurrence, je confirme que démonter son téléphone et séparer chaque pièce se fait avec un simple tournevis, et le tout se remonte tout aussi facilement. Ce n'est pas pour rien que tous les modèles de Fairphone ont un score de réparabilité de 10/10 sur iFixit, un site qui documente la réparation de tout un tas d'appareils.

Alors, tout ça c'est très chouette, et heureusement qu'une boîte comme Fairphone existe pour nous montrer qu'on peut faire mieux et construire des objets technologiques sans reposer sur de l'escalavage moderne, même si évidemment y'a encore des progrès à faire.

Par contre, côté écologique, moi y'a quand même un truc qui me chiffonne. Je vous ai dit que le Fairphone existait depuis 2013 et que le Fairphone 5 venait de sortir. Faites le calcul, on est à un modèle tous les deux ans. Vous allez me dire, ça reste deux fois moins que l'iPhone d'Apple, m'enfin on reste quand même dans ce dogme du nouveau matériel de très haute technologie régulièrement reproduit en grandes quantités pour remplacer très vite l'ancien.

On me fera peut-être remarquer que Fairphone ne vous pousse pas à changer de téléphone puisque, comme je l'ai dit, les téléphones Fairphone sont remarquablement réparables. Mais pareil, ça a ses limites : quand j'ai dit que j'avais été moi-même propriétaire d'un Fairphone 2, je n'ai pas utilisé un verbe au passé par hasard. Il se trouve que mon Fairphone 2 s'est lentement mais sûrement dégradé, et que la question a fini par se poser : continuer à mettre des ronds pour le réparer, ou bien prendre acte de son décès et passer à autre chose.

Le truc, c'est que pas mal de pièces de rechanges avaient déjà commencé à être indisponibles sur le site de Fairphone depuis quelques années, et ils ont annoncé cet année l'arrêt du support logiciel du Fairphone 2, 8 ans après sa sortie : alors c'est pas mal, 8 ans c'est mieux que 2 ans, mais ça reste à mon sens très insuffisant. Et je trouve ça assez rageant de voir tant d'efforts déployés pour les Fairphone 3, 4 et maintenant 5, quand on aurait besoin de mettre des efforts dans la conservation et la consolidation de téléphones déjà construits.

Avec le recul, je me dis que le Fairphone est vraiment symptomatique de « l'écologie pour les riches . Oui parce que le Fairphone 5 coûte quand même 700 €, hein, faut déjà pouvoir les sortir. Mais surtout, je parle d'écologie pour les riches, parce que ça participe à cette idée qu'on va pouvoir continuer à tout faire comme avant, à surconsommer dans tous les sens, juste en payant nos gros joujous technologiques plus cher pour les payer au juste coût écologique et humain. Évidemment, c'est pratique, parce que quand t'as de la thune, bah ça t'inquiète pas plus que ça.

J'le dis avec d'autant plus d'assurance que moi-même, quand j'ai acheté mon Fairphone 2, à l'époque à « seulement » 500 €, j'avais un salaire de développeur de 3000 balles net par mois. Alors oui, c'était confortable pour moi d'acheter un Fairphone et de me dire, dans un coin de ma tête : bon bah c'est bon, là, j'ai fait le job.

Alors qu'en vrai, on a besoin de réduire drastiquement les émissions de CO2, sans même parler de la consommation de ressources non-renouvelables. Et pour ça, un nouveau téléphone tous les 2 ans, même équitable, même gentil, ça sera pas possible. C'est comme la voiture électrique, c'est sympa pour donner bonne conscience à la minorité de la population qui pourra se la payer, mais si doit remplacer toutes les bagnoles thermiques par de l'électrique, désolé mais ça passera pas à l'échelle.

C'est marrant d'ailleurs, parce que ce côté « écologie pour les riches » versus « écologie pour les pauvres », je l'ai aussi expérimentée quand j'ai dû remplacer mon Fairphone 2. Bon, je me considère pas comme pauvre, parce que j'ai pas mal d'épargne, mais maintenant je ne suis plus ingé à 3000 € par mois mais auteur indépendant à 900 € par mois. Autant dire que foutre 500 € dans un téléphone neuf, même équitable, je le fais plus aussi facilement.

Alors qu'est-ce que j'ai fait ? Bah j'ai pris du reconditionné. Alors c'est du Huawei, hein, pas du tout équitable ni que dalle, c'est d'la daube à tout point de vue. Mais, bah quelque part, j'me dis qu'écologiquement, ça a plus de sens de réutiliser quelque chose de déjà produit, plutôt que de continuer à faire tourner la machine à construire de nouveaux trucs.

Bien sûr ça a ses limites, le reconditionné ne marche que parce que des gens ont acheté des trucs neufs avant, et en général quand ces mêmes gens reconditionnent leurs objets, c'est pour en racheter des neufs derrière.

N'empêche que pour avoir un vrai impact écologique et social, comme d'habitude, en définitive, ça ne peut pas venir de gestes isolés, comme de s'acheter un petit Fairphone pour se sentir bien dans ses pompes. Et, euh, attention hein, c'est très bien de vouloir se sentir bien dans ses pompes. À condition de ne pas surestimer l'impact global.

Le vrai impact écologique et social, il ne peut venir que d'une transformation du fonctionnement de l'économie, où l'on minimiserait collectivement la production dans l'optique de tout faire durer beaucoup plus longtemps. Un fonctionnement qui serait conditionné aux capacités écologiques et humaines et non plus dicté par le besoin croissance infinie, bref, un fonctionnement qui ne serait plus… j'ai tenu TOUTE la chronique sans dire le mot, remarquez l'effort : capitaliste, voilà.

Oui, bah désolé, c'est le mode de fonctionnement qui domine le monde, au bout d'un moment quand on creuse un peu, on y trouve la source d'un sacré paquet de problèmes.

Voilà, sur ce je souhaite quand même du succès au Fairphone, parce que vu la merde dans laquelle on est, on prend toutes les bonnes initiatives, on n'est pas en position de faire les difficiles : mais si vous avez le choix, faites durer vos appareils, achetez du reconditionné… et surtout saisissez les moyens de production, évidemment.

Allez, salut camarades !

Publié le 28 septembre 2023 par Gee dans Jukebox

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