LHDG14. Les campagnes de dons

Publié le 4 janvier 2024 par Gee dans Jukebox

Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.

Logo de l'émission Libre à vous !

Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne, tout au long de laquelle je suis également intervenu, d'ailleurs :)

Texte de la chronique

Salut à toi, public de Libre à vous,

Ça y est, c'est la fin de l'année. On a attaqué la dernière quinzaine de décembre, ce qui signifie le retour de pas mal de choses : d'abord, les bonnets, les doudounes et la goutte au nez, option Covid bien sûr, ça devient une tradition ; ensuite, les décos de Noël – même si cette année elles sont apparues tellement tôt que je m'en suis presque étouffé avec ma soupe au potiron d'Halloween ; et évidemment, les campagnes de dons.

Oui parce qu'à Noël, les gens claquent tellement de thunes dans des conneries qu'on se dit qu'on peut bien leur en faire claquer dans des trucs intéressants, sur un malentendu, ça peut marcher.

Bon, alors je sens qu'on va vite me soupçonner de faire cette chronique à cause de la présence de notre invité Pouhiou, co-directeur de Framasoft, asso dont je fais moi-même partie et qui est en ce moment en pleine de campagne de dons. Mais ce n'est qu'une partie de la réalité. En vérité, en bon agent double, je suis aussi membre de l'April, l'asso qui gère cette émission de radio, et qui ne crache pas non plus sur les dons même si elle est plutôt financée par les cotisations ; et notons enfin que cette même radio, Cause Commune, est aussi en pleine campagne de dons pour faire face à des difficultés financières, ce qui fait de moi un agent triple. Façon un peu classe d'exprimer le fait que je bouffe à tous les râteliers.

La campagne de dons, donc, c'est un rendez-vous incontournable pour pas mal d'assos, que ce soit dans le milieu du numérique et du logiciel libre ou pas d'ailleurs. C'est souvent d'abord l'occasion de faire le bilan, calmement, en se remémorant chaque instant (et oui, maintenant vous avez la chanson dans la tête). Parce qu'un bilan bien foutu, c'est une bonne façon de montrer tout ce qu'on a fait de cool et qui mérite donc qu'on le finance d'une manière ou d'une autre : « Allez viens, on est bien, regarde tout ce qu'on peut faire… si on a de la thune. »

Oui, parce que la campagne de dons, ça soulève quand même l'épineuse question du pognon. Alors je ne souscris pas du tout à ce cliché à deux ronds qui dit « oui l'argent c'est tabou en France ». Non, ça c'est ce que disent les riches pour pouvoir taire pudiquement leurs salaires indécents. L'argent, quand tu touches et que tu dépenses des sommes raisonnables, c'est pas tabou du tout. Moi par exemple, j'ai aucune problème à vous le dire hein : depuis début septembre, avec mes activités d'auteur, j'ai gagné dans les 4500 balles. Au passage, je suis ni une asso ni en campagne, mais je signale que j'accepte les dons aussi, les liens seront dans la page de la chronique.

L'argent, donc, n'est pas non plus tabou pour les assos car leurs rapports financiers sont en général publics. Je dis « en général » parce que bon des fois, ils sont publics… mais trois ans après. Pas par malveillance, hein, mais surtout parce qu'un rapport financier, c'est pas le truc le plus fun à faire, et que souvent long et chiant.

Le truc avec l'argent, c'est que pas mal d'assos reposent principalement sur du bénévolat et, de fait, sur du travail « gratuit », entre guillemets. Et nous, dans le milieu du Libre, on dit souvent : « attention, si c'est gratuit, c'est toi le produit ». Ce qui, en fait, n'est pas toujours le cas. C'est une façon un peu réductrice de dire que quand c'est gratuit, c'est financé par autre chose.

Alors effectivement, quand c'est Google, Amazon et cie, les GAFAM, c'est financé par l'exploitation sans scrupule du temps, des informations et du contenu qu'on leur donne, mais quand c'est des assos à but non lucratif, c'est souvent bien différent : outre le bénévolat, on a donc des systèmes de cotisations ou de dons, c'est-à-dire qu'une minorité paie pour que tout le monde en profite.

Tout le but des campagnes de dons est donc d'élargir au maximum cette petite minorité, car bien sûr, plus de gens donnent, moins chacun·e a besoin de donner. Imaginez un peu qu'on généralise le processus, on pourrait avoir des services publics gratos et performants financés par un impôt juste et redistributif, mais je n'ose même pas y penser, ce serait du communisme et du coup PAF 100 millions de morts, vas-y ressers-moi un canon, Roger.

Excusez-moi, je diverge, et dix verges, c'est énorme comme disait Desproges. Oui, Desproges c'est la caution intellectuelle pour faire classe même avec une blague de teub.

Bref, pour en revenir au sujet, une asso a besoin de pognon, et ce d'autant plus si elle commence à avoir des salarié⋅es, parce qu'on le sait, le coût du travail est délirant en France… non ok, j'arrête avec les réflexions de droite, c'est promis.

Bon, quand on a besoin de thunes, on peut, comme je le disais, y aller en mode « optimiste », on montre qu'on a fait des trucs cools avec les thunes de l'année passée en promettant de faire d'autres trucs cools avec les thunes de l'année prochaine.

On a aussi le mode « moraliste », qui appuie bien sur le fait que c'est une minorité qui donne, et que toi, TOI là, t'en fais pas partie. Ouuuh, c'est pas bien. C'était le mode qu'avait choisi Wikipédia y'a quelques années, avec son fameux « c'est peut-être gênant, mais s'il vous plaît, n'ignorez pas ce message. 99 % de nos lecteurs nous ignorent quand nous leur demandons de faire un don. Si Wikipédia vous a transmis l'équivalent de 2 € de connaissances cette année, prenez vous aussi un instant pour faire un don ». Alors le principe se tient, mais c'est un poil agressif.

Alors, parfois, quand ça commence à sentir le sapin, on est un peu obligé⋅es de sortir le mode « alarmiste ». Alors, c'est fini les bilans choupinous et les joyeux appels au don : on prend un ton grave, on lance la marche funèbre et on annonce « l'asso va mourir. La situation est dramatique, et nous sommes à deux doigts du dépôt de bilan. Cette belle aventure sera bientôt terminée. SAUF ! Si vous donnez un peu de pognon ! » Aaaah, oufff, j'ai presque eu peur au début.

Bon le problème avec le mode alarmiste, c'est quand tu le fais tous les ans, au bout d'un moment, c'est comme crier au loup, tu perds en crédibilité.

Après, quel que soit le mode choisit, on a aussi de la latitude sur le niveau d'affichage de la campagne de dons : en général c'est quand même aussi un peu corrélé au niveau d'urgence dans le besoin de pognon. Si t'es large, tu peux te contenter d'un petit message sur ton blog et une petite ligne en haut de ta page d'accueil, tranquille ; si la situation est normale/moyenne, tu vas plutôt mettre un message visible partout et communiquer régulièrement dessus, que ce soit avec des billets de blogs, des messages sur les médias sociaux, etc. ; et quand c'est la dèche, tu vas sortir les grands moyens.

C'est le mode qu'avait choisi… Wikipédia y'a quelques années. Non pardon, je veux pas toujours taper sur les mêmes et j'aime beaucoup Wikipédia hein, c'est pas le problème, mais quand même… l'énorme bandeau bleu fluo qui prend les 3/4 de la page en HAUT de chaque article. Bon. Et je passe sur les deux seules réponses possible à l'appel au don : « oui » ou… « plus tard ». C'est moi ou il manque une réponse ? Ah bah le coup du « c'est oui, ou c'est oui plus tard », je vous déconseille de le tenter dans votre vie privée, ça peut vite finir au pénal, cette histoire.

Ceci étant dit, en termes de forçage, on ne fera jamais pire que les assos qui envoient leurs bénévoles se cailler les miches directement dans les rues pour acoster le chaland. Faut être honnête, c'est pas le sommet des relations humaines que, d'un côté, aller emmerder des gens qui ne font que passer, qui n'ont rien demandé et qui voudraient peut-être juste pouvoir se balader tranquille ; et de l'autre, de zigzaguer en marchant le plus vite possible quand on aperçoit un groupe avec des vestes au logo d'un asso connue et des prospectus à la main.

Ça me rappelle cette scène très drôle de Brooklyn Nine Nine, une série humoristique sur la police de New York : une équipe cherche une couverture discrète pour pouvoir surveiller un lieu où des activités criminelles sont suspectées, et décide donc de se déguiser en activiste cherchant à alpaguer les gens dans la rue, parce que là, clairement, il n'y a aucune chance que qui que ce soit les regarde dans les yeux ou ne fasse pas tout son possible pour les ignorer. Au passage, une petite pensée pour Andre Braugher, l'acteur qui jouait le Capitaine Holt dans Brooklyn Nine Nine et qui est malheureusement décédé la semaine dernière à seulement 61 ans.

Allez, sur ce, je ne peux que vous inviter à donner aux assos que vous trouvez utiles à la société, même si elles forcent parfois un peu trop sur les campagnes de dons : le monde associatif, en France, c'est un truc précieux qui est de plus en plus attaqué par le modèle néolibéral parce que ça se place en dehors du marché, et il faut le protéger. Et si vous n'en avez pas les moyens, comme d'hab : parlez-en autour de vous, envoyez-nous des mots gentils, bref, faites ce que vous pouvez.

Je vous souhaite de joyeuses fêtes de fin d'année, et on se retrouve en janvier avec, on l'espère, une visibilité financière confortable pour nos assos.

Allez salut !

Publié le 4 janvier 2024 par Gee dans Jukebox

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