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LHDG18. IA partout (justice nulle part)

Publié le 3 juin 2024 par Gee dans Jukebox

Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.

Logo de l'émission Libre à vous !

Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.

Texte de la chronique

Salut à toi, public de Libre à vous,

Allez, ça y est, là, je crois qu'on y est : cette fois, l'IA, j'en ai officiellement PLEIN LE CUL. Oui, pardon pour le langage, mais fallait que ça sorte. Non là, je… je n'en PEUX PLUS d'entendre parler d'IA dix fois par jour. Sérieux. J'en suis presque à regretter la mode des NFT… ou même le Métavers, tiens.

Qu'est-ce qu'ils ont tous là ? C'est le printemps, c'est ça ? La nature se réveille, les abeilles se replongent dans les fleurs et les startuppers dans la coke ? Oh nan mais y'en a marre.

Alors, je connais pas l'avenir hein. Peut-être qu'on est au début d'une nouvelle ère et que l'IA va devenir aussi omniprésente et incontournable que les ordinateurs ou Internet ; et que moi, là, en vieux paumé, je suis peut-être comme Pascal Nègre, qui déclarait en 2001, « Internet, pfff, on s'en fout, ça marchera jamais ».

N'empêche que l'IA, en tout cas, celle d'aujourd'hui, l'IA générative, celle qu'on nous vend à longueur de journée, ça ressemble quand même de plus en plus à une très grosse bulle. Tout le monde en parle, tout le monde essaie d'en intégrer partout très vite, et comme ça coûte une blinde, c'est pour l'instant un gouffre à pognon : quand il va être l'heure de rentabiliser tout ça, à mon avis, ça va faire mal.

Tu connais l'histoire : lors de la ruée vers l'or, ce sont surtout les marchands de pelles qui se sont enrichis. Et là, à part Nvidia et ses cartes graphiques, j'ai du mal à piger qui va ressortir gagnant de tout ça. Jusqu'à Google, qui, pris de panique, veut sortir très vite une version IA de son moteur de recherche : alors ça faisait quelques années que les gens remarquaient que les résultats de Google étaient de moins en moins bons, car tellement tournés vers la pub qu'ils en devenaient gangrénés par des sites d'e-commerces bidons, reléguant les résultats pertinents – mais non-lucratifs – bien loin derrière.

Eh bien il y a fort à parier que tu regretteras bientôt ces résultats déjà pas folichons : Google utilise désormais par défaut Gemini, son intelligence artificielle qui, au lieu de te retourner juste une liste de site, répond directement à ta requête via IA, en assimilant et en recrachant de façon plus ou moins exacte – mais plutôt moins – les informations glanées sur Internet… enfin les informations volées sur Internet, hein.

Ah oui, parce que le droit auteur, quand c'est pour emmerder ton ado de 14 ans qui a piraté le dernier Taylor Swift, les pouvoirs politiques sont main dans la main avec les multinationales pour te pondre des Hadopis et bloquer des domaines comme The Pirate Bay à tour de bras ; mais alors le droit d'auteur, quand c'est Google ou Microsoft qui pillent tranquillement l'intégralité de ce qui est publié sur Internet… pfffff, alors là, on s'en fout, mais on s'en fout !

Naaan, bravo ! Bravo Microsoft ! Bravo Google ! C'est bien, les gars ! Continuez ! Pillez, pillez ! Non mais tu comprends c'est de l'innovation, c'est l'avenir ! On va quand même se laisser enquiquiner par des trucs désuets comme euh… le respect des artistes ou des journalistes, pfff… T'es tellement « ancien monde ».

Oh et puis là, je parle juste du côté humain, social : parlons même pas du côté écologique, hein, on se fâcherait. Ah oui parce que ça, soudainement, tout le monde s'en fout aussi, hein. Microsoft s'était fixé comme objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2030, et d'ailleurs leurs émissions de carbone avaient commencé à décroître… mais ça c'était avant, hein. Avec le boum de l'IA, les émissions de carbone de Microsoft ont bondi de 30 % depuis 2020, oui, bah allez hein, foutu pour foutu, qu'est-ce qu'on en a à secouer : c'est juste la survie à court terme de l'espèce humaine qui est jeu.

Alors l'argument pour défendre ça, je le connais : « oui mais ça se trouve, l'IA va nous aider à infléchir le changement climatique ». Oui c'est ça, et mon cul c'est du pingouin. Non mais pardon, ça c'est comme la croissance verte ou « l'écologie qui est chance pour l'économie » : c'est s'imaginer que la cause d'un problème va aussi en être la solution. Comme si on éteignait un incendie avec du kérosène.

Enfin bon, voyons le positif : au moins, avant de crever, on aura pu générer des images d'humains à 13 doigts, des longs textes insipides de marketeux pour répondre mal à des recherches Internet, et puis du code informatique généré automatiquement et incorrect dans 50 % des cas, c’est le résultat de la dernière étude sur ChatGPT.

De toute façon, comme l'IA utilise ce qu'elle trouve en ligne pour s'alimenter, et que ce qui se trouve en ligne devient de plus en plus le résultat de génération automatique par l'IA, il y a fort à parier que l'IA va finir par se dissoudre dans elle-même, régurgitant et recrachant son propre vomi en boucle. Essaie donc de compresser la même image en JPEG 1500 fois de suite, et tu verras ce que je veux dire. À la fin, t'as plus qu'une bouillie de pixel. On peut facilement imaginer qu'après que le web aura été digéré et recraché 1500 fois de suite par l'IA, il n'en restera qu'une bouillie d'information. Déjà que certaines IA intègrent des sites parodiques comme The Onion ou le Gorafi dans leurs sources sans les distinguer de sites non-parodiques, ça nous promet une belle dégringolade dans la qualité du web…

Je crois que ce qui me gonfle le plus, dans tout ça, c'est que finalement, on en arrive à la négation même de l'informatique. Je m'explique : le gros intérêt de l'informatique, outre la rapidité, c'était d'être fiable. Un programme informatique, à la base, ça part souvent d'un algorithme déterministe, donc de quelque chose qui te garantit d'offrir toujours la même réponse à une même question. Alors oui, c'est pas très fun, mais quand je fais passer un correcteur d'orthographe, il me retournera toujours invariablement les mêmes fautes. C'est presque chiant hein. Mais c'est pratique, c'est utile.

Alors que le principe même des IA génératives qui ont le vent en poupe actuellement, c'est d'imiter l'être humain, et pour imiter l'être humain, bah il faut avoir des réponses variées, avec son cortège d'erreurs : on a donc maintenant des algos non-déterministes, avec des tas de biais intégrés au passage, dont très peu de gens pigent réellement le fonctionnement, qui mâchonnent des quantités délirantes de données pour en déduire des moyennes statistiques à la pertinence très variable… et qui consomment trois forêts amazoniennes par an, mais ça je l'ai déjà dit.

Et on s'interroge avec gourmandise, « mais est-ce que l'IA va bientôt dépasser l'être humain » ? Question débile à mon sens, car ça fait belle lurette que les ordinateurs ont dépassé l'être humain sur tout un tas d'aspect, et notamment sur la rapidité, comme je le disais.

Exemple : si je te demande de me trier un million de documents selon leur date, ça va te prendre des heures, sans doute des jours voire des semaines (j'ai pas fait le calcul, mais ça doit être dans ces eaux-là). Alors que si tu lances un programme de tri pour ce million de documents, au moment où ton doigt se relève de la touche « Entrée », ton million d'éléments est déjà trié. Et ça, c'était déjà le cas il y a 20 ans, et sans IA, juste avec des algorithmes bien foutus. Et c'est ÇA, qui est cool avec le numérique. Pas d'avoir des chatbots qui arrivent à imiter Jean-Michel de la compta pour passer le test de Turing.

Je vais pas te refaire ma vieille BD qui s'appelait « Les ordinateurs sont cons », mais l'intérêt de l'informatique, au départ, c'est de faire très vite et avec beaucoup d'efficacité tous les trucs chiants et répétitifs que les êtres humains font mal et lentement. Pourquoi ? Bah pour nous libérer du temps pour des tâches plus épanouissantes.

Au lieu de ça, l'IA nous pique les tâches épanouissantes, en les faisant mal une fois sur deux mais beaucoup plus rapidement que nous, tandis que les boulots précaires se multiplient. On voulait des robots qui fassent le ménage pendant qu'on apprenait la musique, on se retrouve avec des robots qui peuvent composer 15 000 chansons à la minute pendant que des travailleurs et travailleuses sont sous-payés à corriger leurs erreurs en boucle. Super !

Après, soyons aussi honnêtes… IA ou pas, la culture de masse est déjà produite à la chaîne par des algorithmes : évidemment, les scénaristes Netflix qui ont un manuel hyper-détaillé avec les bonnes ficelles, les bonnes recettes, les bonnes intrigues à dérouler en boucle série après série, est-ce qu'on verra vraiment la différence si on les remplace par des IA ? L'IA fait exactement ce que Netflix veut : produire le résultat statistiquement le plus attendu, celui qui satisfera en moyenne le plus de monde, à la chaîne, de plus en plus vite.

Et l'art, dans tout ça ? Baaah… Je crois qu'on sait très bien comment ça va finir : l'IA, ça ne va pas remplacer tous les artistes, ça va devenir le low-cost de l'art, du journalisme, de tout ça. Des trucs passables, statistiquement moyens, produits à la chaîne pour de la consommation de masse, comme on produit de la malbouffe industrielle pour les pauvres, tandis que les riches continueront à avoir les moyens de se payer des artistes et des journalistes pour avoir accès à du contenu de qualité, garanti sans IA… comme on achète de la bouffe bio garantie sans pesticide et additif.

Bon, on va me dire que cette chronique est quand même vachement manichéenne et sans doute caricaturale. Oui, c'est vrai, et y'a probablement du positif dans l'IA. Allez, je vais être honnête, j'ai moi-même récemment utilisé un traducteur automatique basé sur de l'IA pour communiquer avec une personne qui ne parlait ni français, ni anglais, les deux langues que je maîtrise, et oui, c'était vachement pratique et incroyablement efficace.

Ceci étant dit, j'ai quand même hâte que cette bulle de l'IA éclate, et je nous souhaite à toutes à tous qu'elle ne fasse pas trop de dégâts. Car en attendant, c'est une grande part de nos espaces numériques qui risquent d'être colonisés et pourris par des IA mal finies, au nom du fameux « move fast and break things », l'ancienne devise de Facebook. « Allez vite et tout casser », en gros, un joyeux programme.

Allez, sur ce, je te laisse et je m'en retourne à mes petits dessins garantis sans IA, mais qui iront sans doute nourrir les IA des GAFAM, parce que licence libre ou pas, de toute façon les GAFAM se torchent avec le droit d'auteur. Je vais peut-être commencer à dessiner des personnages à 13 doigts du coup, juste pour les emmerder. Allez, salut !

Publié le 3 juin 2024 par Gee dans Jukebox

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