LHDG21. L'April a 28 ans
Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.
Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.
Texte de la chronique
Salut à toi, public de Libre à Vous,
Bon, il paraît que ça porte malheur de souhaiter les anniversaires en avance, mais comme il y a des chances que tu écoutes cette chronique en podcast, quelque part, toi tu l'entendras peut-être plutôt en retard.
Et donc, oui, c'est demain, le 20 novembre 2024, que l'April fêtera ses 28 ans. Alors j'aurais bien refait des vannes sur les différents systèmes de comptage comme lors de la 200e émission de Libre à Vous, mais 28, ce n'est un chiffre rond ni en décimal, ni en hexadécimal… ni en binaire, m'enfin tout dépend de ce qu'on appelle rond, parce qu'évidemment, en binaire, statistiquement, un chiffre sur deux est un zéro, hein.
Bon, alors 28 ans, dans la vraie vie, ça vous fout un petit coup de vieux, car on sent les 30 ans qui approchent. Alors, amis jeunes qui ont la vingtaine et qui s'inquiètent de voir les 30 ans approcher, je vous rassure : c'est pire quand ils s'éloignent.
Mais revenons à nos manchots… L'April voit le jour en 1996, sous Jacques Chirac donc, de l'initiative de plusieurs étudiants du laboratoire d'informatique de l'université Paris 8 de Saint-Denis. À l'époque, on écrit APRIL en majuscules parce que ça veut dire « Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre ».
Alors moi en 1996, je suis pas du tout dans le logiciel libre, hein. Non, à la maison, je pense qu'on a un ordinateur Packard Bell avec MS-DOS et Windows 3.1. Et moi je l'utilise principalement pour jouer aux Lemmings, à Prince of Persia ou à Day of the Tentacle, et ma culture libriste est tout simplement inexistante. Pour ma défense, j'ai alors 7 ans et demi.
Bon, on va se replonger un peu dans l'ambiance de l'époque, celles des années 90, parenthèse bénie après la fin de la Guerre Froide mais avant le 11 septembre 2001 — et non, je ne dis pas juste ça par nostalgie parce qu'à l'époque je suis gamin et que mes seules préoccupations sont de savoir si j'aurai un œuf Kinder pour le goûter ou pas.
À cette époque, la télévision française ne dispose que de 6 chaînes — avec évidemment les Minikeums sur France 3 —, les numéros de téléphone viennent tout juste d'être étendus à 10 chiffres avec l'introduction des 01, 02, 03, etc. On a des processeurs Intel Pentium qui tournent à 150 MHz : alors si tu as pas les échelles en tête, en gros, c'est entre 15 et 100 fois plus lent que les processeurs actuels, selon que tu considères un cœur tout seul ou pas. Côté stockage, on a évidemment encore des disquettes même si les CD-ROM commencent à s'imposer — oui on précise bien CD-ROM à l'époque pour les distinguer des CD audios.
Et les disques durs, quant à eux, pèsent quelques centaines de mégaoctets, soit quelques milliers de fois moins que les dispositifs de stockage actuels. J'ai d'ailleurs souvenir de m'être fait enguirlander par mon papa, à l'époque, parce que j'avais essayé de copier un CD-ROM sur le disque dur, alors que soyons un peu sérieux, la capacité du disque dur est largement inférieure à celle du CD. Oui, c'est un peu dur à imaginer aujourd'hui.
Évidemment, en 96, la diffusion d'internet au grand public n'est encore que balbutiante, mais c'est quand même aussi l'année où le nombre de personnes utilisant le Web dans le monde, 36 millions, surpasse le nombre de gens utilisant le Minitel en France, soit 30 millions. Web auquel on accède par Netscape Navigator 2.0, ancêtre de Firefox, et premier navigateur à supporter JavaScript. En France, les foyers connectés à Internet sont autour de 100 000, et utilisent les tout nouveaux modems 56K.
Côté logiciel libre, la première version de Debian vient d'être publiée, elle embarque la nouvelle version du noyau Linux, la 2.0, et il faudra encore attendre quelques années pour voir les premières versions stables des environnements de bureaux Gnome et KDE. On ne parle pas encore d'open source, l'Open Source Initiative ne verra d'ailleurs le jour que deux ans plus tard, en 98. En revanche, on parle de logiciel libre depuis déjà plus de 10 ans, la fameuse Free Software Foundation ayant été quant à elle fondée en 1985.
Et l'April, donc, voit le jour en cette fameuse année 96, et j'ai même retrouvé la page du journal officiel qui nous dit : déclaration à la préfecture de la Seine-Saint-Denis, Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre, objet : engager toute action susceptible d'assurer la promotion, le développement, la recherche et la démocratisation de l'informatique libre. Et même si l'acronyme a été abandonné tout comme la référence à la recherche par la suite, reconnaissons qu'en 28 années d'existence, l'April n'a jamais dévié de ce cap avec pour boussole le logiciel libre.
Car si les années 90 étaient la décennie de l'essor de l'informatique grand public et du grossissement de la bulle internet qui éclatera la décennie suivante, force est de constater que le paysage a bien changé par la suite. L'hégémonie du mobile ; l'apparition des géants du numérique comme Google, qui contrairement aux microsoftien anti-linuxiens primaire, n'ont rien contre l'open source mais n'ont rien de libriste pour autant ; les attaques contre nos libertés qui se multiplient ; l'apparition de nouvelles menaces comme les brevets logiciels… autant dire qu'en 28 ans, l'April a dû s'adapter et a donc bien changé également : née comme une association de promotion du logiciel libre, l'April s'est petit à petit transformée en une association de lutte pour la défense du logiciel libre et de son monde, de tout ce qui va avec. Libertés numériques et libertés tout court, finalement.
En 28 ans, ce sont des milliers de personnes et quelques centaines de personnes morales qui sont venues grossir les rends des adhérents et adhérentes ; l'asso a depuis engagé 4 salarié⋅es et s'est imposée comme une des associations majeures dans le paysage du logiciel libre français. Et je ne dis pas juste ça parce que je fais moi-même parti du Conseil d'Administration depuis cette année ou pour fayotter parce que Fred Couchet, fondateur de l'April et lui-même salarié, est présent sur ce plateau, sans parler de Bookynette, présidente de l'April, qui est à la régie. C'est vous dire si j'ai pas intérêt à dire de connerie. C'est… c'est super, l'April, hein. Bravo, les gens.
Enfin, 28 ans plus tard, le combat est loin d'être terminé, bien au contraire. Si le logiciel libre est largement sorti de l'ombre et a cessé d'être confidentiel, la merdification du numérique par les logiques de rentabilité à court terme ne cesse de s'intensifier, et avec elle la merdification de nos vies : je vais pas vous refaire l'historique, on y passerait la journée, je vous renvoie donc à mes différentes chroniques sur la fracture numérique, le métavers, l'intelligence artificielle, etc.
Alors plus que jamais, souhaitons longue vie à l'April, et profitons-en pour rappeler que l'asso est en pleine campagne d'adhésion : rejoignez-nous, parce que la fameuse nostalgie des années 90 ne doit pas nous faire oublier que c'est ensemble, là, maintenant, aujourd'hui, même dans un monde autrement plus sombre, que nos luttes permettront peut-être, demain, à un monde meilleur d'advenir.
Oui, ça a l'air un peu bateau, béat d'optimisme comme phrase, pourtant vous savez que c'est pas mon genre. Mais j'vais vous dire : même si j'étais persuadé qu'on allait échouer, eh bah je pense que j'essaierais quand même.
Alors bon anniversaire à l'April, continuons la lutte, et salut !