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LHDG23. Les abandonwares

Publié le 7 février 2025 par Gee dans Jukebox

Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.

Logo de l'émission Libre à vous !

Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.

Texte de la chronique

Salut à toi, public de Libre à vous,

Dans l'informatique, on utilise beaucoup de noms en « ware ». On a le « software », le logiciel et le « hardware », le matériel ; à mi-chemin on a même le « firmware », oui car « firm / ferme » c'est entre « soft / mou » et « hard / dur ». Le « firmware » donc, c'est un microcode intégré dans du matériel.

On peut aussi parler de « bloatware » pour toutes les applicationss inutiles préinstallées dans vos smartphones et que vous ne pouvez pas virer : moi y'a quelques années, j'avais une app pour suivre les cours de la bourse sur mon téléphone, app que je ne pouvais pas désinstaller, c'est dire si les vendeurs de téléphones me connaissaient mal.

Et puis, quand j'étais petit, j'avais pas mal de jeux qui s'appelaient des « shareware », un mot qui désignait en gros une démo jouable à l'issue de laquelle on pouvait payer pour avoir accès au jeu complet. Ça se partageait sur des CD-ROM dans des magazines, voir des disquettes, et on y trouvait de chouettes trucs comme Jazz Jackrabbit, une sorte d'alternative à Sonic pour PC où le hérisson bleu est remplacé par un lièvre vert avec un gros bazooka ; ou encore Whacky Wheels, un clone de Mario Kart où on jouait de petits animaux qui se balançaient des hérissons au lieu des carapaces de Mario Kart… Y'avait même des versions spéciales Noël de ces sharewares avec des niveaux dans la neige avec une petite musique de Noël, c'était super mignon.

Bon, en vrai, j'ai jamais payé pour les versions complètes, donc j'ai énormément joué aux quelques niveaux de démonstration de ces fameux « sharewares », mais comme j'avais 5 ans et que j'étais pas très très doué en jeux, ça me suffisait largement.

Alors tous ces jeux qu'on avait souvent en shareware dans les années 90, que ce soit les fameux Jazz Jackrabbit, Whacky Wheels, ou encore les Lemmings, Doom, Duke Nukem, Abuse, Commander Keen, Epic Pinball, Raptor, Jill of the Jungle, et j'en passe… tous ces jeux, que sont-ils devenus ?

Eh bien pas mal d'entre eux sont passés de « shareware » à « abandonware ». Abandonware, c'est un terme inventé à la fin des années 90 pour désigner des logiciels, souvent des jeux, abandonnés, c'est-à-dire qu'ils ne sont plus édités et plus maintenus. Et avec l'émergence de l'internet grand public, un regain d'intérêt s'est manifesté pour ces petits jeux rétro au détour des années 2000 et 2010.

L'idée, c'est que comme ces jeux ne sont plus édités et que parfois, leurs éditeurs n'existent même plus, on peut se permettre de se les partager gratuitement, comme ça, par des sites Internet spécialisés comme Abandonware France. Évidemment, ce principe n'a aucune base légale, le droit d'auteur s'appliquant techniquement même en l'absence de nouvelle édition.

Mais bon, pendant pas mal d'années, y'a eu une sorte de tolérance, ça a plutôt bien fonctionné, puisqu'encore une fois, en l'absence de nouvelle édition, il n'y a aucun manque à gagner pour les éditeurs quand ils existent encore. En plus, on parle de vieux jeux qui sortaient souvent sur disquette et pesaient donc tout au plus quelques méga-octets, le poids d'une petite chanson en MP3, en gros. Donc même pas besoin d'avoir de gros serveurs avec des débits de malade pour profiter de ces abandonwares, bref, le bonheur.

Et autour de ces abandonwares se sont développés pas mal de nouveaux logiciels pour les faire fonctionner, souvent des logiciels libres d'ailleurs. Bah oui parce qu'un jeu fait dans les années 90, ça tournait souvent sur MS-DOS ou éventuellement sur Windows 3.1 ou à la rigueur Windows 95.

Alors je sais que dans Independence Day, ils arrivent à créer un virus informatique compatible avec une technologie extraterrestre, mais dans le monde réel, assurer la compatibilité d'un logiciel entre ne serait-ce que deux versions consécutives de Windows, c'est déjà pas forcément de la tarte. Et puis les jeux de l'époque, t'en avais certain qui utilisaient la fréquence du processeur pour cadencer l'horloge du jeu : avec les processeurs actuels qui vont mille fois plus vite, ce genre de jeu devient un chouïa trop rapide pour être joué.

On a donc vu l'arrivée de logiciels libres comme Dosbox, qui est un émulateur de MS-DOS dans lequel on peut faire tourner la majorité des jeux de l'époque. Je pourrais aussi vous parler de ScummVM, un autre logiciel libre quant à lui dédié aux point and clicks comme Monkey Island, Day of the Tentacle ou Indiana Jones et le Mystère de l'Atlantide : les fabuleux jeux d'aventure de LucasArts qui restent encore aujourd'hui parmi mes jeux préférés, je dois dire. Ce n'est pas pour rien que le premier jeu vidéo que j'ai moi-même programmé, Superflu Riteurnz, est aussi un point and click.

On a aussi des jeux comme Doom, le jeu de tir à la première personne légendaire dont le code source a été publié en 97, et qui a depuis été porté sur absolument tous les systèmes de la Terre, même les plus improbables : on a Doom sur oscilloscope, Doom sur calculatrice, Doom sur thermostat, oui, sur le petit écran tactile d'un thermostat de radiateur, oui !

Des moteurs libres de jeux non libres, y'en a plein : CorsixTH pour Theme Hospital, OpenJazz pour Jazz Jackrabbit encore une fois, OpenRCT pour la série des RollerCoaster Tycoon, etc.

Et puis bien sûr, on a toute une tripotée d'émulateurs de consoles de jeux vidéo, que ce soit les NES, SuperNES et GameBoy de Nintendo, ou les MasterSystem, Megadrive et GameGear de Sega. Oui moi aussi je disais Gamejire quand j'étais petit, mais le mot anglais, on est bien d'accord que c'est « Guir », hein ? Bon de toute façon la prononciation du G en anglais, c'est un merdier, y'a qu'à voir tous les gens qui pensent que je m'appelle « Guy ». Non c'est « Dji », hein.

Bref, les abandonwares, c'était super cool, on avait accès librement une ludothèque immense de vieux jeux, un peu pixelisés certes, parfois un peu datés, pas toujours bien équilibrés… mais avec des vraies perles, et puis pas mal de nostalgie quand on a soi-même joué à ces jeux étant petit. Oui parce que j'en ai retesté quelques-uns, euh, passé la nostalgie, c'était pas toujours ouf. Oui je pense à toi, Le Roi Lion, t'étais très joli comme le dessin animé, mais je t'ai retesté et mon Dieu quelle horreur de maniabilité !

Malheureusement, l'âge d'or des abandonwares, comme toutes les bonnes choses, a eu une fin. Comme souvent, c'est l'appât du gain qui aura eu raison de cet âge d'or. On a pris une pratique sympa et désintéressée, la passion pour les vieux jeux, on l'a marketée, on a mis un prix dessus, on a verrouillé tout le reste et on a emballé tout ça dans un joli terme en « ing » pour faire classe : le « rétrogaming ».

Ah bah oui, parce que les éditeurs de ces vieux jeux qui n'avaient pas encore mis la clef sous la porte se sont dit : « Ah mais en fait, ça vous intéresse toujours, les vieux trucs pixelisés moches, là ? Ah booon. Ah nan mais attendez, on va vous les revendre ! »

Et petit à petit, pas mal de sites comme Abandonware France se sont vidés de leurs meilleurs titres en précisant « attention, c'est jeu n'est pas un abandonware ». Et on a vu fleurir des rééditions de vieux jeux vendus sur des plateformes comme GOG, Good Old Games — une chouette plateforme au passage, sans DRM ni autre verrou numérique mais bon. Vendre Jazz Jackrabbit, le jeu dont je parlais au début, à 10 balles, sans la moindre mise à jour graphique, la moindre amélioration, le moindre changement… 10 balles pour un jeu qui date de 94, il a 31 ans. Bah j'suis désolé, je trouve ça un peu abusé.

On a aussi Nintendo, qui propose de jouer aux jeux de ses anciennes consoles depuis sa dernière en date, la Nintendo Switch… via un abonnement. Voilà, tu paies tous les ans, pour pouvoir jouer au Zelda de la SuperNES via un émulateur intégré même pas spécialement bien foutu, encore une fois sans aucune mise à jour graphique, ni quoi que ce soit. Nintendo qui, par ailleurs, est vent debout contre ces mêmes émulateurs dont ils profitent gracieusement ensuite, parce que la cohérence c'est bien, mais le pognon c'est mieux.

Alors je dis pas, c'est vrai que parfois c'est sympa d'avoir de vieux jeux avec un installateur moderne, avec un peu de maintenance derrière, tout ça, et puis on a parfois d'excellents remakes : par exemple Day of the Tentacle, un de mes point and clicks LucasArts préféré, s'est vu offrir un très joli remake avec des graphismes vectoriels de super qualité et une interface revue, ça vaut largement les 15 balles auxquels il est vendu sur GOG, même si j'avais déjà acheté la version originale en boîte sur CD-ROM quand j'étais petit.

Mais cette façon qu'ont les éditeurs de jeux de traire la vache à lait pixelisée encore 30 ans après, en profitant encore une fois du boulot gratos des gens qui ont pondu Dosbox, ScummVM et cie, tout en lançant la machine judiciaire contre les sites d'abandonware… ça m'agace un tantinet. Et ça me confirme que le domaine public, ce serait bien que ça n'arrive pas 70 ans après la mort des dernier⋅es auteur⋅ices d'une œuvre, mais par exemple 10 ans après la publication de cette œuvre.

Parce que pour conclure, la grande mode des abandonwares des années 2000, ça n'était pas un déchaînement de délinquance de pirates sans scrupules : c'était juste un phénomène logique, encore une fois assez désintéressé, de la part de gens passionnés qui n'avaient pas franchement l'impression de faire du mal à qui que ce soit en se partageant librement des vieilleries.

Et si c'est un mécanisme si naturel et si inoffensif, ben ce serait pas mal que les lois sur les droits d'auteur reflètent un peu cette réalité, au lieu de servir comme toujours de mécanisme pour verrouiller des monopoles et assurer des rentes à des grosses entreprises au détriment des communs…

Allez, sur ce, salut à toi : moi je m'en vais dégommer quelques nazis sur mon portage GNU/Linux de Wolfenstein 3D, c'est dans l'air du temps et ça va me détendre.

Publié le 7 février 2025 par Gee dans Jukebox

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