LHDG26. Ne nous prenons pas trop au sérieux

Publié le 19 mai 2025 par Gee dans Jukebox

Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.

Logo de l'émission Libre à vous !

Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.

Texte de la chronique

Salut à toi, public de Libre à vous,

Avec le retour des beaux jours, je suis d'humeur taquine et je n'ai pas envie de te plomber encore avec une énième chronique sur la destruction du monde par le capitalisme ou sur les fameuses frasques des GAFAM…

Non, aujourd'hui, je vais te parler de légèreté, d'humour et, de manière générale, du fait de ne pas se prendre au sérieux. Parce que dans le milieu du logiciel libre et de la culture libre, chez les libristes donc, c'est un sujet sur lequel tout le monde n'est pas forcément d'accord.

Faut-il se prendre au sérieux ou non ? Fallait-il remplacer le bouton « Pouet » de Mastodon par un simple « Publier » ?

Ah oui, alors ça si vous n'aviez pas suivi, c'était il y a 2 ans. À l'époque, sur Mastodon, le média social de microblog libre et décentralisé, le bouton qui permettait de publier un message s'appelait « Toot » en anglais. Alors toot, ça désigne le bruit que fait un klaxon ou un éléphant — vu que les mastodontes étaient des proches parents des éléphants, on comprend l'origine. Mais toot ça peut aussi être un bruit de pet, d'où la traduction française : « pouet ».

Personnellement j'ai toujours trouvé ça assez rigolo. Mais bah, ça faisait clairement pas sérieux, et comme il fallait concurrencer Twitter, il fallait faire sérieux, parce que sinon les gens viendraient pas, ils trouveraient ça puéril et donc… hop, exit les toots, finis les pouets.

Ce qui est fou d'ailleurs, c'est que ça n'a jamais dérangé personne qu'on parle de « tweets » sur Twitter, ce qui signifie « gazouilli » et qui ne fait pas bien sérieux non plus. Quand c'est un start-upper cocaïné qui fait dans la légèreté, c'est novateur et c'est un signe de coolitude, mais quand c'est nous les libristes, on nous dit que ça montre bien notre amateurisme, va comprendre.

Eh bien moi je trouve qu'on devrait assumer cette légèreté et cet humour, parce que ne pas se prendre au sérieux, c'est quand même une bonne base pour s'empêcher de devenir des immenses connards. Parce qu'on a beau se la raconter avec nos licences, nos bouts de code hyper sophistiqués, nos joujoux technologiques, on reste au final une bande de gros tas de viande névrosés, et quoi qu'il arrive, comme dirait Giedré, on fait tous caca. Alors arrêtons de péter plus hauts que nos culs, de peur de se retrouver avec un peu de merde derrière les oreilles.

Pardon, j'arrête là pour le champ lexical scatologique.

Du côté du logiciel libre, je pense justement que notre humour, notre dérision, c'est aussi ce qui fait notre différence, notre originalité et une de nos forces. Moi, j'avais trouvé ça d'une tristesse absolue quand Ubuntu avait lâché, y'a un paquet d'année maintenant, sa palette originale de teintes brunes, orangées, des couleurs chaudes qui détonaient dans le milieu de l'informatique. Ça avait une gueule, ça avait une patte.

Mais ouais, un truc avec des fonds d'écran de la savane et des tams-tams africains qui t'accueillaient à l'allumage, ça faisait pas pro. Alors on a fait comme tout le monde, on a foutu des teintes violacées, bleues, des couleurs froides, et on a remplacé les tams-tams par un synthétiseur bien générique comme y'en a partout. Et c'est dommage, parce que cette esthétique, elle est partout, et elle me sort par les yeux !

C'est comme cette uniformisation des couleurs de notre monde, où toutes les bagnoles sont devenues noires ou blanches, et où toutes nos fringues sont dans des teintes de blanc, gris, beige, noir. Pourquoi ? Bah tout simplement parce que l'optimisation constante des profits pousse à choisir ce qui se vend le plus largement, et donc à des choix toujours plus consensuels, toujours plus proches du plus petit dénominateur commun. Pendant les grandes heures de l'URSS, on mettait les gens en garde contre le communisme où tout le monde aurait les mêmes voitures, les mêmes fringues et la même bouffe, bah finalement c'est exactement ce que le capitalisme triomphant a réussi à faire.

Bon, ben je retire ce que j'ai dû au début, la chronique qui parle pas de comment le capitalisme détruit le monde, c'est pas encore pour aujourd'hui.

Pour revenir à mon sujet, les logiciels libres ont cet avantage de ne pas être guidés en premier lieu par l'optimisation du profit, et donc peuvent, à mon sens, se permettre de faire un pas de côté par rapport à cette uniformisation, et de s'autoriser un peu de fantaisie, un peu de légèreté. Moi j'aime bien que plein de logiciels libres utilisent des mascottes rigolotes au lieu d'un simple logo : le manchot de Linux, le gnou de Gnu, le panda roux de Firefox, le poulpe — ou plutôt la seiche — de Peertube, le diablotin de BSD, etc., etc. Et j'aime bien qu'en décembre, l'icône du lecteur multimédia VLC — un cône de chantier, déjà pas très sérieux d'ailleurs — mette un petit chapeau de Père Noël, comme ça.

Alors évidemment les libristes ne vivent pas dans un vide interstellaire dégagé de toute considération bassement matérielles, et oui, faut bien gagner sa croûte. Donc je comprends qu'on essaie quand même de faire un peu sérieux si ça peut retirer quelques barrières à l'adoption de logiciels libres.

Disons que c'est un équilibre à trouver. À Framasoft, la dernière fois, on avait proposé une campagne qui s'appelait « Collectivisons Internet / Convivialisons Internet », mais ça, c'était la version sérieuse. La version déconne, elle prenait les deux premières de chaque mot, ce qui donnait Coin Coin. Et sur le site de soutien, la version normale était sobre, mais tu pouvais aussi accéder à la version Coin Coin où tu étais accueilli⋅e par un gros canard. Bref, on essayait de jouer un peu sur les deux tableaux.

À l'April aussi d'ailleurs, la question s'est posée quand on a lancé notre dernière campagne d'adhésion, le Lama déchaîné. C'est vrai qu'accueillir les gens avec une animation de lama qui crache, bah c'était pas aussi consensuel que ça aurait pu l'être. Mais on s'est dit que ça ferait plus marrer et adhérer de gens que ça n'en rebuterait, et je pense qu'on a eu raison.

Bien sûr, on me répondra que les grosses boîtes de la tech savent très bien récupérer la légèreté et intégrer les dernières vagues d'humour à la mode pour faire « cool », notamment dans la publicité. Enfin honnêtement, au moment où une blague atterrit sur le bureau d'un publicitaire, elle est très souvent largement périmée, et surtout personne n'est dupe du fait que non, le community manager de Netflix qui parle comme ton super-pote, c'est pas ton super-pote : c'est un type payé pour faire tout son possible pour que tu te désabonnes pas lors de la 3e augmentation de tarif de l'année.

Et puis je pense qu'il y a des formes de légèreté et d'humour qui sont difficilement récupérables, notamment tout ce qui sort du consensus mou. Exemple de blague peu récupérable : « vous savez pourquoi les milliardaires veulent tous aller dans l'espace ? Parce que sans la gravité, les guillotines ne marchent pas. » Voilà, celle-là vous avez peu de chance de voir Elon Musk la faire.

De manière générale, ne pas se prendre au sérieux, c'est aussi prendre acte qu'être dans la norme n'est pas une fin en soi. À l'heure où on commence à bouffer en permanence de la com statistiquement moyenne, dupliquée à l'infini par des IA qui polissent et uniformisent le monde avec plus d'efficacité que n'importe quel manager un peu trop rigide ; à l'heure où il te suffit du bon prompt pour te générer l'accroche statistiquement la plus efficace, l'image la plus statistiquement satisfaisante… eh bah proposer des trucs qui ne sont pas dans la moyenne, des blagues un peu potaches et pas trop récupérables par les pubards, des pouets, des coins coins, des lamas qui crachent, des bruits de tam-tams… moi je trouve ça vachement rafraîchissant.

Pas vous ?

Publié le 19 mai 2025 par Gee dans Jukebox

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