OSS 117 : Casino Royale

Publié le 15 septembre 2021 par Gee dans Le reste

Faut que je vous raconte…

Y’a quelques mois, je me suis mis en tête de lire des James Bond, les romans d’espionnage de Ian Fleming à l’origine de la fameuse loooongue série de films qu’on connaît. Sans être un immense fan des films en question, j’en ai quand même déjà vus pas mal. J’ai grandi avec la période Pierce Brosnan (pas la meilleure, je sais, même si elle nous a laissé un très bon GoldenEye et sa variante vidéoludique culte sur N64), j’aime assez certains « anciens » avec Sean Connery même si je les connais beaucoup moins, et j’ai pas mal aimé les derniers avec Daniel Craig (sauf Spectre que je n’ai toujours pas vu – et que je boycotte parce qu’ils ont refusé non pas une mais DEUX énormes chansons de Radiohead1 pour le générique, bande de sauvages).

Du coup, comme les Brosnan sont basés sur des scénarios originaux (pas tirés de bouquins) et que je n’ai pas d’énormes souvenirs des plus anciens, je me penche sur celui que je préfère, à savoir le génial Casino Royale de 2006. Et d’ailleurs, ça tombe bien : c’est le tout premier roman !

Casino Royal(e), 1953

Bon déjà, notons qu’au niveau du titre français, c’est le bordel : le titre original désigne un casino se situant dans la ville (fictive) de Royale-les-Eaux. Sauf que forcément, en français, le deuxième mot sonne comme un adjectif et le E à la fin de « royale » pique un peu les yeux, puisque « casino » est masculin. Problème : que faire de ce titre qui ressemble à une faute d’accord en français ?

Le bouquin sort en 1953 au Royaume-Uni, les types de la VF prennent 7 ans pour régler ce problème de titre et utilisent la méthode usuelle des traducteurs du fond de l’enfer : ils traduisent par un truc qui n’a rien à voir, à savoir Espions, faites vos jeux, en 1960. Bon, c’est sûr, ça règle le problème.

Quatre ans plus tard, une deuxième traduction est publiée, et là un type a une idée de génie : « hé, les gars, mais en fait on n’a qu’à renommer la ville en Royal-les-Eaux sans E, comme ça hop, on peut écrire le titre Casino Royal, ça choque pas et c’est raccord ». Éclats de joie dans la maison d’édition, triomphe, larmes, champagne, coke, bref, la totale. La deuxième édition, nommée donc Casino Royal, sort en 1964, et tout semble résolu.

C’est sans compter sur une troisième équipe de traduction, celle du film de 2006, qui choisit une autre méthode fort usitée : « flemme, on traduit pas ». Du coup le film reste Casino Royale avec son E qui évoque une belle faute d’accord. Ce qui est d’autant plus con que la ville de Royale-les-Eaux n’apparaît pas du tout dans le film (le casino se trouve au Monténégro). Mais bref, toujours est-il que quand on sort une adaptation, en général, on ressort le bouquin avec le visuel du film pour capitaliser sur le succès en salle pour doper les ventes en librairie. Du coup, troisième version du livre en français, avec cette fois le titre Casino Royale, comme l’original et le film, et tant pis pour la faute.

Trois couvertures du livre en français avec les trois titres en question

Voilà, démerdez-vous avec ça…

Personnellement, pour mettre tout le monde d’accord (et aussi pour emmerder les névrosés qui pètent une bielle à la vue du moindre point médian), j’utiliserai désormais la graphie Casino Royal⋅e. Notez que le côté féministe de cette suggestion risque de pas mal trancher avec l’ambiance du bouquin, mais on va y venir…

Étonnamment proche du film

Une chose qui m’a surpris, c’est que le film adapte assez fidèlement le livre : vu l’âge du bouquin et le peu d’intérêt (il me semble) que la majorité du public des films porte à la série de livres, je m’attendais à ce qu’Hollywood fasse ce qui se fait beaucoup, à savoir capitaliser sur un titre familier, garder vaguement le synopsis et développer un scénario neuf sans trop de rapport avec l’original2.

Eh bien en fait, pas du tout : on retrouve beaucoup d’éléments qui ont été gardés dans le film, comme les personnages de Vesper Lynd, du Chiffre, de René Mathis ou de Felix Leiter.

Attention spoiler, je révèle l’intrigue du film

La trame reste la même : Bond doit battre au casino « Le Chiffre », une sorte de banquier malfaiteur ayant besoin de gagner le gros lot pour financer ses entreprises ; après moult rebondissements, il le fait, se fait capturer puis torturer par le Chiffre : finalement, celui-ci est abattu par les criminels et James est sauvé ; ensuite, il vit une histoire d’amour avec Vesper tellement passionnelle qu’il en quitte son boulot et change de vie, mais finit par s’apercevoir que Vesper travaillait pour l’ennemi et complotait contre lui pendant les événements du casino ; celle-ci finit par se suicider, rongée par la culpabilité, ce qui ramène Bond aux affaires. La dernière phrase du livre, « the bitch is dead » (« la garce est morte » en VF), réplique que Bond prononce pour informer le MI6 de la mort de son amante, est d’ailleurs reprise mot pour mot dans le film.

Fin des spoilers

Au niveau des changements, eh bien comme je le disais, au revoir Royale-les-Eaux et bonjour le Monténégro. Je ne reviens pas sur le titre, mais le pseudo du méchant, « Le Chiffre » (en français dans la VO également), est plus logique dans le livre, puisqu’il est effectivement français, Royale-les-Eaux étant une ville fictive de la baie de Somme, au nord de Dieppe.

Le jeu joué est également différent, il s’agit du baccara dans le livre et du poker dans le film ; l’organisation criminelle SMERSH est renommée SPECTRE dans le(s) film(s) ; la section « romance » à Venise dans le film se passe ici toujours en France ; de manière générale, le film ajoute pas mal de séquences d’action (le livre étant assez court, il y avait de la place de toute façon).

Mais ce qui diffère surtout entre les deux, c’est le ton…

Les années 50…

Ouais, parce que mine de rien, le bouquin date de 1953. Et baaah… dire « ça se sent » serait un doux euphémisme. Et là, j’en viens au titre de mon article : dans le ton, dans l’ambiance, dans les répliques… Casino Royal⋅e, le livre, c’est les films OSS 117 avec Dujardin, mais au premier degré.

Bon déjà, au sujet de l’ennemi, « Le Chiffre »… dans la partie précédente, je vous disais qu’il était français dans le bouquin au contraire du film, mais j’ai omis quelques détails. Parce que voyez-vous, y’a pas que sa nationalité qui change… Dans le film, il s’agit d’une sorte de banquier pour criminels du grand banditisme, qui sécurise et blanchit l’argent des trafics de drogues, d’armes, etc. Alors que dans le livre…

Deux semaines auparavant, le mémorandum ci-après avait été envoyé de la Station S. du Service Secret à « M » qui était alors et est encore chef de ce service, rattaché au ministre britannique de la Défense.

A : « M ».

De : Chef de S.

Objet : Projet de neutralisation de « M ». Le Chiffre (alias « Le Numéro », « Herr Nummer », « Herr Ziffer », etc.) un des agents chefs de l’Opposition en France, avec, pour couverture, les fonctions de trésorier des syndicats ouvriers d’Alsace, organisme contrôlé par les communistes, groupant les travailleurs de l’industrie lourde et des transports d’Alsace, et, d’après ce que nous savons, cinquième colonne en puissance, dans le cas d’un conflit avec les Rouges.

(…)

Cela servirait très utilement les intérêts de ce pays et des autres nations de l’OTAN si cet important agent soviétique pouvait être ridiculisé et neutralisé, si son syndicat communiste pouvait faire banqueroute et être discrédité, et si cette cinquième colonne en puissance, disposant de cinquante millions, susceptible en temps de guerre de contrôler un secteur étendu de la frontière est de la France, pouvait perdre confiance et cohésion.

Ah bah c’est sûr, l’espionnage pendant la Guerre Froide côté britannique, ça avait une autre gueule. Comme le fait Franck Lepage dans ses spectacles, je me permets de préciser aux plus jeunes de mes lecteurs et lectrices qu’à l’époque, le parti communiste ne faisait pas 2 % et était une vraie force politique en France qui foutait un peu les miquettes à la bourgeoisie (ouais parce que Le Chiffre en trésorier de Marie-George Buffet, ça claquerait moyen comme intrigue).

La sécu, la retraite et les congés payés, ça faisait pas marrer les Services Secrets de sa Majesté, qu’est-ce tu veux.

Physiquement, on s’éloigne aussi pas mal de Mads Mikkelsen (qui joue brillamment Le Chiffre dans le film) :

Signalement : Taille 1 m 75, poids 110 kg, teint très pâle. Rasé de près. Cheveux roux coiffés en brosse. Yeux bruns très foncés, laissant apparaître la totalité du blanc autour de l’iris. Bouche petite, presque féminine. Fausses dents de la qualité la plus coûteuse. Oreilles petites aux larges lobes, décelant la présence de sang juif. Mains petites, soignées, velues. Pieds petits. Probablement un mélange de race méditerranéenne, avec des ascendances prussiennes ou polonaises.

Un petit gros communiste ET juif, sans parler des mélanges de race et de la bouche de gonzesse, tu vois le tableau Roger, c’est pas des gars comme nous avec des grosses couilles d’européens en acier, hein, tiens ressers-moi un verre de rouge.

Ça c’est pour le méchant. Passons maintenant à la femme (oui, « la » femme, parce qu’il n’y en a qu’une bien sûr, dont le rôle est d’être « la femme » de l’histoire). Lorsque René Mathis apprend à Bond que la personne qui doit l’assister sur cette mission est une femme, il y va pas par quatre chemins :

— (…) Tout d’abord, dit-il en s’emplissant les poumons d’une large bouffée de Caporal, vous serez content de votre Numéro 2. Elle est très belle, vraiment très belle, répéta-t-il avec un froncement de sourcils.

Satisfait de la réaction de Bond, il poursuivit :

— Elle a des cheveux noirs, des yeux bleus, de magnifiques… protubérances… par-devant et par-derrière. Elle est experte en radio, ce qui, au point de vue sexuel, est moins intéressant, mais fait d’elle une parfaite collaboratrice de Radio Stentor (…).

Voilà. Y’a du cul et des boobs, James, tu vas kiffer. Bon elle maîtrise deux trois conneries techniques, mais c’est accessoire.

Cela n’amusait pas Bond.

— Où diable veulent-ils en venir ? Pourquoi m’envoyer une femme ? dit-il sur un ton sarcastique. Croient-ils que nous allons en pique-nique ?

J’ai ri. J’ai tellement ri en lisant cette réplique. Lisez-la avec le ton d’Hubert Bonisseur de La Bath, je vous jure, on s’y croirait.

Heureusement, René « Gentleman » Mathis rassure son poteau :

— Calmez-vous, mon cher James. Elle est aussi sérieuse que vous pouvez le souhaiter, et froide comme un glaçon. Elle parle le français comme une autochtone et connaît son boulot à fond. Sa couverture est parfaite et nous nous sommes arrangés pour vous réunir en douceur. Qu’y a-t-il de plus naturel, pour vous, que de lever une jolie fille ici ?

Bon, t’inquiète, James, elle a pas le feu au fion mais tu pourras ken quand même. Classe, Mathis, toujours aussi classe.

N’empêche que James, lui, il est pas jouasse.

Bond, assis à la fenêtre, rassembla ses pensées. Rien de ce que Mathis lui avait dit n’était bien rassurant. (…) Et maintenant il y avait cette petite peste. Il soupira. Les femmes sont faites pour la récréation. Quand on travaille, elles se mettent dans vos pieds, elles embrouillent tout, avec la sexualité, les susceptibilités et tout le bagage d’émotions qui leur fait escorte. Il faut les surveiller, prendre soin d’elles.

— La Garce ! s’écria Bond.

Oui, « garce » a une majuscule ici, je ne sais pas si c’est encore les traducteurs qui ont fumé, si c’est un effet de style pour souligner que c’est une turbo-garce ou si c’est un titre comme « Le Chiffre ». Toujours est-il que les nanas, c’est bien cool pour baiser, mais après quand t’as leurs nichons devant les yeux, ça déconcentre et tout, pi des fois elles chialent et c’est chiant, garçon la même chose (je synthétise hein).

On passe à la rencontre :

Bond était très impressionné par la nouvelle venue. Tandis qu’il parlait avec Mathis, il se tournait de temps en temps vers elle, la faisant poliment participer à la conversation, mais complétant à chaque coup d’œil son impression première.

Bon, on est sympas, on la laisse causer deux trois fois histoire qu’elle ait l’impression d’être intéressante, bobonne, pi ça permet de la reluquer tranquille, mais elle va pas non plus la ramener toutes les cinq minutes.

Les cheveux épais, très noirs, de coupe carrée, encadraient le visage, en dépassant un peu la magnifique ligne de la mâchoire, et descendaient assez bas sur la nuque. Ils bougeaient à chaque mouvement de tête, mais elle ne se souciait pas de les remettre constamment en place, elle les laissait aller. Les yeux étaient largement écartés, d’un bleu profond ; elle aussi regardait Bond d’un air franc, mais avec une pointe d’indifférence ironique ; il comprit, avec regret, qu’il avait envie de secouer cette indifférence.

Oula, calme-toi, James. CAL-MEUH-TOI. On ne secoue pas la dame.

Je passe sur le reste de la description qui dure des plombes et qui aurait sa place sur r/menwritingwomen (un Subreddit qui répertorie les clichés que beaucoup d’auteurs masculins utilisent pour écrire des personnages féminins).

Bond était ému par sa beauté et intrigué par son comportement. La perspective de travailler avec elle le stimulait. En même temps il éprouvait un vague malaise.

Bah tu m’étonnes. La perspective de bosser avec une meuf, non mais allô le malaise quoi. Bon, après, Bond fait son introspection, ce qui mérite d’être souligné :

Il était tout à fait honnête vis-à-vis de lui-même, pour ce qui était de son attitude : c’était une femme, il avait envie de coucher avec elle, mais seulement quand le boulot serait terminé.

Voilà. Zizi tout dur MAIS professionnel avant tout.

Tenant un instant la main de la fille dans la sienne, il sentit s’établir entre eux un courant de chaude sympathie et de compréhension, qui n’aurait pu exister une demi-heure auparavant.

Mais zizi tout dur quand même donc.

Plus tard, bien sûr, il arrive un truc à Vesper (ouais, bon, c’est un mini-spoil, mais vous vous doutez bien qu’il y a un peu de péripéties, sinon on tournerait vite en rond dans des dialogues de kékés), et James, ça le rend vénère. Pas vénère du fait qu’il lui soit arrivé un truc hein, non non, vénère contre elle#VictimBlaming :

Il arrivait précisément ce qu’il avait craint. Ces femmes idiotes qui croient pouvoir faire un travail d’homme ! Pourquoi diable ne restent-elles pas chez elles avec leurs casseroles, leurs robes et leurs commérages, et ne laissent-elles pas aux hommes les travaux d’hommes ? Et il fallait que cela lui arrivât au moment où le boulot se terminait si brillamment ! C’était bon pour Vesper, de tomber dans un vieux traquenard de ce genre ; se faire coincer de cette façon, pour être offerte ensuite en échange d’une rançon, comme une de ces sacrées héroïnes pour bandes dessinées. Quelle garce imbécile !

Là, « garce » n’a pas de majuscule, elle a perdu le titre j’imagine. À part ça, toujours autant de subtilité dans l’analyse, on a atteint le « point casserole », les rescapés de la Manif pour Tous et les talibans sont en délire.

Bien sûr, ensuite, il la sauve (roh ça va, à ce niveau de cliché, c’est même plus un spoiler), et donc, comme de bien entendu : bisous-bisous, zizi-zézette, et du coup il en oublie de la traiter de grosse conne. Ah bah il avait prévenu que les nibards, ça le déconcentrait, le garçon.

Bref, vous avez saisi l’idée : pour l’émancipation des femmes, Casino Royal⋅e, c’est pas exactement le manuel. Ça respire le bon gros conservatisme des années 50, patriarcal, anticommuniste avec un bon fond xénophobe tout le long. Un livre de son époque s’il en est (et probablement pas un des plus progressistes)… et pour le coup, on se félicite pas mal que le film ait modernisé tout ça…

(Note : je n’ai jamais lu de livres OSS 117, mais je ne doute pas qu’on y retrouverait un ton similaire, les films avec Dujardin ayant été conçus comme des parodies des œuvres de cette époque, si je ne m’abuse.)

Une lueur d’espoir

Allez, comme il ne faut jamais perdre espoir, même devant des cas lourds comme celui de James, je vais conclure sur cette séquence qui, pour le coup, tranche pas mal avec le reste. Une fois la mission achevée, James est chafouin. Lui qui a passé tout le livre à être sûr de lui, de son bon droit, de la justesse des combats de la couronne d’Angleterre… voilà ce qu’il confie à son ami René :

— Un numéro à double zéro signifie, dans notre Service, que vous avez tué un homme de sang-froid au cours d’une mission. Tout cela est bel et bon, dit-il en regardant de nouveau Mathis, le héros tue les méchants. Mais quand le héros Le Chiffre se met à vouloir tuer le méchant Bond, et que le méchant Bond sait qu’il n’est pas du tout méchant, vous apercevez le revers de la médaille. Méchants et héros se trouvent confondus.

« Bien entendu, ajouta-t-il comme Mathis allait protester, le patriotisme intervient, pour donner l’impression que tout cela est parfait. Mais la conception du bien et du mal dans notre pays commence à être un peu démodée. Aujourd’hui nous combattons le communisme. Très bien. Si j’avais vécu il y a cinquante ans, le genre de conservatisme que nous avons aujourd’hui aurait été diablement près d’être considéré comme du communisme, et on nous aurait donné l’ordre de le combattre. L’histoire va vite, de nos jours. Les héros et les méchants ne cessent d’intervertir leurs rôles. »

Rendez-vous compte : Bond relativise. Il reconnaît même que le pouvoir pour lequel il se bat, selon d’où tu le regardes, bah c’est pas un truc intrinsèquement bon. Une lucidité aussi soudaine qu’inattendue. Lucidité qui laisse d’ailleurs René dubitatif (mais René est un gros con de français dans le livre, j’avais oublié de vous le préciser mais vous aviez sans doute deviné). Du coup James précise sa pensée :

— Maintenant, pour expliquer la différence entre le bien et te mal, nous avons fabriqué deux images représentant les deux extrêmes : le noir le plus sombre, le blanc le plus pur. Mais en faisant cela, nous avons un peu triché. Dieu est une image limpide, vous pouvez voir tous les poils de Sa barbe. Quant au diable, à quoi ressemble-t-il ? demanda Bond, en adressant à Mathis un regard triomphant.

On est passés de ton tonton raciste à un type qui analyse la construction sociale des référentiels moraux dans le monde. Sans déconner.

Bien sûr, notre René national, fidèle à lui-même, se fade d’une de ses répliques si délicates :

— À une femme, répondit Mathis avec un rire ironique.

Merci René pour cette intervention.

— C’est très joli, dit Bond. J’y ai réfléchi et je me demande de quel côté je dois me trouver. Je finis par m’apitoyer sur le sort du diable et de ses adeptes, comme le brave Le Chiffre. Le diable ne rit pas tous les jours, et j’aime toujours être du côté de la victime. Nous ne donnons pas sa chance au pauvre type. Il y a un livre sur le bien qui nous explique comment il faut faire pour être bon et ainsi de suite, mais il n’y a pas de livre sur le mal, qui dise comment on doit faire pour être méchant. Le diable n’a pas de prophètes pour écrire ses Dix Commandements et pas d’équipe d’écrivains pour rédiger sa biographie. Il est jugé par défaut. Nous ne savons rien de lui, à part un tas de contes de fées que nous tenons de nos parents et de nos maîtres d’école. Il n’a pas de livre où nous pourrions apprendre la nature du mal sous toutes ses formes, avec des paraboles sur les méchants, des proverbes, un folklore sur les méchants. Tout ce dont nous disposons, c’est l’exemple vivant des gens qui sont bons, ou notre propre intuition.

C’est le même mec qui nous a fait une crise de panique quand on lui a dit qu’il devait bosser avec une femme qui file une métaphore sur le déterminisme et la construction sociale du manichéisme ? Heureusement qu’ensuite, on retourne à la normale, parce qu’à ce train-là, James allait quitter le MI6 pour nous faire une thèse de socio, on aurait été bien feintés.

En conclusion, si on met de côté ses sommets de machisme (et autres…) qui ont sacrément mal vieilli, Casino Royal⋅e est un bouquin plutôt sympa. Oui parce que je vous ai sorti les passages qui choquent, mais le reste passe bien. L’ambiance après-guerre (on est juste 8 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale) donne un cadre assez particulier, au passage. À part ça, c’est un roman d’espionnage bien ficelé, c’est court, ça se lit facilement, l’histoire est bien amenée avec de bons rebondissements. Les équipes du film ont eu la bonne idée de conserver ces points et de corriger les autres.

Sur ces belles paroles, je vous quitte. J’aurais bien cherché un jeu de mots de conclusion, mais j’avoue, j’ai eu la flem(ing).


Publié le 15 septembre 2021 par Gee dans Le reste

  1. Radiohead ont d’abord enregistré une chanson qu’ils gardaient sous le coude depuis 1995 (où ils en jouaient des versions live), Man Of War, sans doute une de mes chansons préférées du groupe, mais elle a été refusée car « pas inédite » (en effet, des enregistrement live circulaient depuis bien longtemps). Puis ils ont composé et enregistré une chanson originale nommée… Spectre, dans un style très différent mais bien « bondien ». Refusée aussi, parce que « trop sombre », mais WTF ?! ELLE ÉTAIT SUBLIME ! Jetez un œil aux crédits d’ouverture avec la chanson de Radiohead calée dessus, c’est parfait. Bon, bref, c’était ma séquence fanboy, j’arrête, promis. 

  2. Je pense notamment à pas mal d’adaptations de Philip K. Dick, un auteur que j’aime particulièrement. Le film Minority Report, par exemple, n’a pas grand chose à voir avec la nouvelle dont il est tiré à part son principe de base sur le fait de prédire les crimes (d’ailleurs, le titre a beaucoup plus de sens dans la nouvelle). Dans une moindre mesure, Blade Runner s’éloigne aussi beaucoup du livre en mettant de côté tout le pan mystique de la boîte à empathie par exemple. Notez que dans les deux cas, ce sont à la fois d’excellents livres et d’excellents films, comme quoi tout est possible… 

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