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StopConneries

Publié le 22 avril 2020 par Gee dans Dépêches Melba
Inclus dans le livre Grise Bouille, Tome V

En ce moment, ça discute beaucoup autour de StopCovid, le projet d’application de traçage pour lutter contre la pandémie de COVID-19. J’apporte donc mon pavé dans la trogne mare sous forme d’une BD – un poil – énervée.

StopConneries

💡 Lorsque l'épidémie de COVID-19 a commencé à prendre de l'ampleur en France, on a pas mal vu circuler ce genre de blague :

Une femme rigole : « Tu crois qu'ils vont faire quoi, le gouvernement, pour lutter contre ça ? Encore un numéro d'appel ? » Un mec répond en rigolant aussi : « Haha ! Ouais ! Ils en sont capables, les cons ! »

Eh bien finalement, on n'est pas tombés si loin dans la lubie de solutionnisme technologique : ce sera une

APPLICATION POUR SMARTPHONE.

Le virus – c'est une information à mettre au conditionnel – serait apparemment en train de faire dans son froc.

Parodie du Seigneur des Anneaux. Macron, en Gandalf au bord de la falaise, brandit un téléphone en disant : « Je suis un serviteur du Play Store, détenteur de l'APK sacré ! La contamination ne vous servira à rien, Coronalrog ! Repartez dans l'ombre ! » Le virus représenté en monstre grogne : « Aggrouuuuuu ! » Macron : « VOUS ! NE PASSEREZ ! PAAAAS ! »

L'application en question, StopCovid, servirait à tracer et stocker les déplacements des gens pour alerter les personnes ayant été en contact avec une personne malade lorsqu'elle est détectée.

Gee fait semblant d'être surpris : « Vous voulez dire que le gouvernement profite d'une situation de crise pour nous pousser toujours plus loin vers une société de surveillance ?! » Derrière, un chœur chante : « OH BAH ÇA ALORS. »

Un mec lambda est énervé : « Mais c'est pas possible de polémiquer en ce moment ! C'est l'heure de l'union nationale, merde ! » Gee, blasé : « Alors avant fallait pas critiquer Macron pour lui laisser le bénéfice du doute, maintenant faut pas parce que c'est l'union sacrée, et demain faudra aller de l'avant et ce sera plus le moment non plus. Quand vous aurez décidé à quel moment on a le droit de dire que nos gouvernants font de la merde par tonneaux de 820 litres, vous serez gentils de nous prévenir. »

Bien sûr, on nous rabâche déjà sur tous les tons que l'application sera respectueuse de la vie privée et basée sur le volontariat.

Et ce sera peut-être le cas.

Mais pour combien de temps ?


Et combien de temps avant que son usage soit généralisé ?


Ou rendu obligatoire ?


Et appliqué à des choses qui n'ont rien à voir ?

Le smiley, ironique : « Franchement, c'est pas le genre de la maison… »

Rappelez-vous du compteur Linky et des inquiétudes qu'il a soulevées dès son annonce.

Gee précise : « J'parle pas des âneries pseudo-scientifiques sur les ondes mais bien des soucis de vie privée, comme le fait de pouvoir surveiller l'activité des habitants et habitantes d'un foyer, de savoir si ce foyer est vide ou occupé en temps réel, etc. On nous a répondu, en gros : » Un politicien agite les bras : « Rooooh, mais vous êtes paranooos, la journalisation temps réel de la conso électrique n'est utilisée qu'à des fins statistiques et de contrôle de votre propre consommation ! JAMAIIIS AU GRAND JAMAAAIIIS ça ne sera appliqué à de la surveillance ! »

On saute directement au 4 avril 2020 et à ce tweet de Christian Estrosi, actuel maire de Nice, qui demande à utiliser les informations collectées pour détecter les logements occupés :

On voit Estrosi tweeter : « J'ai sensibilisé les autorités de l'État afin qu'elles puissent solliciter @enedis pour vérifier que les résidences secondaires ne soient pas occupées pendant la période des vacances, afin de faire respecter la période de confinement. » Le même chœur qu'avant : « OH BAH ÇA ALORS. »

Alors je sais bien, demander des conneries, c'est un peu le hobby d'Estrosi depuis qu'il a arrêté la moto, et en l'occurrence, sa demande est irrecevable en l'état de la législation.

Sauf qu'une législation, ça se change.

Et en général, ça tombe bien, c'est même les Estrosi et consorts eux-mêmes qui la changent…

Gee explique : « Ça s'appelle la technique du “pied dans la porte” : une société de surveillance serait impossible à mettre en place d'un coup, alors on met d'abord un pied dans la porte avec ce genre de dispositif, et ça sera plus simple à ouvrir en grand par la suite… » La grenouille dans sa marmite remarque : « Ah bah tiens, pour une fois, j'suis contente qu'on me foute la paix. »

Le même mec lambda que tout à l'heure s'agite en tremblant de partout : « Mais y'a urgence ! C'est pas le moment pour les grands principes, faut mettre de côté les problèmes de vie privée pour permettre à l'appli d'être efficace ! »

Déjà, on va arrêter tout de suite avec les injonctions à mettre de côté nos principes : si votre éthique ne s'applique que quand tout va bien, ce n'est pas de l'éthique, c'est juste un joli costume pour faire chic en soirée.

Un type explique d'un air grave : « Je suis bien sûr formellement opposé à la peine de mort. Bon, sauf pour les assassins d'enfants, bien entendu. » Gee objecte : « Ouais. Donc en fait, vous êtes carrément pour. »

Y'aura toujours une bonne raison de mettre de côté vos principes : la crise, la guerre, la croissance, etc. Donc stop.

💡 Ensuite, il faudrait peut-être démontrer qu'une telle appli serait efficace avant de sacrifier notre vie privée sur l'autel de la surveillance généralisée ?

Gee lit : « Une seule étude existe, publiée dans Science. Elle estime que ce type d'appli doit accueillir au minimum 60 % de la population pour espérer être efficace. » La Geekette lit aussi : « En 2018, 75 % de la population avait un smartphone. Un chiffre qui tombe à 44 % pour les plus de 70 ans. C'est pas grave, c'est pas comme si c'était la population la plus exposée aux risques graves du COVID-19… Même si l'appli était obligatoire – et on nous a bien dit qu'elle ne le serait pas –, en comptant les gens qui n'ont pas toujours leurs smartphones sur eux et ceux qui n'obéïraient pas… Vous pouvez vous brosser pour que ça marche. »

Surtout, l'étude de Science précise que l'appli en question serait uniquement efficace… couplée à une politique rigoureuse de dépistage.

Haha.

Alors j'veux pas péter l'ambiance, mais si le gouvernement veut pousser une app de ce genre, c'est justement parce qu'on n'a pas de politique de dépistage sérieuse…

Le mec lambda s'énerve encore : « Bah ouais, d'accord, vous êtes contre StopCovid, mais c'est un peu facile de critiquer. Vous proposez quoi, hein hein hein ? » Gee : « Baaah… rien ? Nan, mais vraiment, genre : “RIEN”. Ça change quoi au fait que StopCovid soit une idée de merde ? »

Oui, ne rien faire, en général, c'est mieux que faire une connerie :

Le Geek regarde le Nerd d'un air atterré : « Mais tu fais quoi ? » Le Nerd explique : « Je danse autour de mes carottes en chantant du Sardou pour qu'elles poussent immédiatement ! » Le Geek : « Mais c'est complètement con ! » Le Nerd : « T'as une meilleure idée ?! »

Un des problèmes majeurs de cette effervescence autour de StopCovid, c'est la croyance en une solution technologique magique qui va tout résoudre (ce qu'on appelle « solutionnisme »).

Et donc qu'il FAUT une solution numérique type appli, que c'est LA réponse nécessaire et suffisante.

Sauf que le numérique, ça n'est pas de la magie, et que recourir à une telle technologie n'est jamais neutre, surtout quand les moyens humains ne suivent pas.

Il y a toujours un coût pour la société et pour ce que ça implique de transformation de ses membres.

Le mec lambda est toujours pas content : « Bah ouais mais… le COVID-19, c'est grave ! Faut faire quelque chose ! » Gee, blasé : « Baaah… oui ? » Le mec lambda : « Tu commences à m'gonfler, toi. »

Alors là, je suis d'accord : faut faire quelque chose.

La bonne nouvelle, c'est qu'on fait déjà pas mal de choses bien : déjà, ATTENDRE, être patient, parce qu'une épidémie ça prend du temps à se résoudre et il n'y aura pas de solution technologique miracle sortie du chapeau. Pendant ce temps : plan blanc dans les hôpitaux, mesures de confinement accompagnées de chômage partiel, etc.

Gee nuance : « Après, si on pouvait étendre les mesures de confinement aux métiers non-essentiels comme le BTP, pour arrêter de voir des putains de métros bondés encore en ce moment, ce serait bien urbain. » Une femme en télétravail, innocente : « Quoi ? Ces manants ne peuvent pas télé-bétonner ? Haha, tellement peu disruptif, l'ancien monde ! » Gee poursuit : « On avait compris depuis longtemps que la vie des prolos valait pas grand chose aux yeux de nos gouvernants, mais quand même. »

Arrêter de tergiverser avec le confinement

– par exemple ne pas rouvrir les écoles mi-mai dans l'espoir idiot de renvoyer bosser tout le monde au mépris de l'effet rebond –

voilà déjà une première chose qu'on pourrait faire.

Macron : « Ah ouais mais là ça m'arrange pas, ce serait une décision politique engageante. Vous comprenez bien que si on ne peut plus blâmer les manquements individuels, l'intégralité de notre stratégie s'écroule. » Philippe : « Exactement : le problème, ce n'est pas les municipales maintenues ou la prime de 1000 euros proposée pour les gens qui iront quand même travailler, c'est TOI PETIT SALOPARD INCIVIQUE QUI N'A PAS INDIQUÉ TON LIEU DE NAISSANCE SUR L'ATTESTATIOOOOON ! »

Macron nous a fait bouffer son « nous sommes en guerre » 10 fois de suite lors du premier discours sur le confinement.

Si nous sommes en guerre, alors passons à une économie de guerre : réquisitionnons les usines pour produire des masques et des respirateurs, comme on réquisitionnait les usines pour produire des obus.

Macron répond : « Dans le doute, on est restés sur une économie de guerre classique. On fait des stocks de LBD et de lacrymos pour préparer le déconfinement. » Le smiley, furieux : « Ah bah nos dirigeants sont vils, mais lucides : ils sentent bien que ça va chauffer pour leurs petits culs après tout ça. »

Si nous sommes en guerre, alors lorsque ce sera terminé, il faudra révolutionner notre système de protection sociale en socialisant des pans entiers de l'économie comme on l'avait fait en 1945.

(Dans un pays alors ruiné, hein, pour calmer les gourous du « on-a-pas-les-moyens-faut-l-austérité ».)

Gee accuse Macron en le montrant du doigt : « C'est pas le tout de citer “Les Jours heureux”, encore faudrait-il savoir les appliquer. “Les Jours heureux”, c'était le programme du CNR à la libération, et aux dernières nouvelles, ça consistait pas à augmenter le temps de travail hebdomadaire ou à faire péter les congés payés. » Macron : « Mais si vous commencez à croire que je vais faire quoi que ce soit en rapport avec c'que j'dis, vous êtes pas sortis, les pouilleux. »

Seulement, la vérité, c'est que nous ne sommes pas en guerre.

Nous sommes dans une crise sanitaire face à laquelle le modèle néolibéral poussé par les pouvoirs politiques et médiatiques depuis plus de 30 ans nous a rendus très impuissants.

Et c'est pas comme si ça faisait plus de 30 ans que beaucoup le savent et tirent la sonnette d'alarme.

Des gens défilent avec une pancarte « l'État compte les sous, on va compter les morts ». La Geekette remarque : « Elle a vachement bien vieilli, cette banderole… » Gee répond : « Plus que les discours de Sibeth Ndiaye. » La Geekette : « Ah ? Moi j'les trouvais déjà stupides sur le moment. »

Pour avancer, il faudrait déjà que les tenants de ce modèle admettent leur faillite morale et intellectuelle, reconnaissent que les baisses de financement de la recherche, la généralisation de l'économie de marché, des pratiques managériales de l'entreprise et de la gestion en flux tendu aux services publics étaient d'énormes conneries, s'excusent, soient jugés et punis et débarrassent le plancher.

Là, on pourrait peut-être commencer à discuter sérieusement.

Macron se défend : « Mais je l'ai dit, tout ça, j'l'ai reconnu ! » Gee, très énervé, répond : « Ouais bah c'est super, tu l'as reconnu, maintenant tu te casses, et tu laisses faire les gens qui ont pas attendu une putain de pandémie pour comprendre l'intérêt des services publics ! » Macron : « Ce que révèle cette épidémie, c'est… » Gee : « “Révélation” mon cul ! »

Voilà, tout ça, ce serait un bon début.

D'autant plus que la crise du COVID-19 est une sympathique promenade de santé à côté de ce qui nous attend avec le réchauffement climatique.

Je sais, une app, c'est plus simple, et ça rassure, pi ça donne l'impression qu'on agit pour pas trop cher.

Ne nous faisons pas d'illusion, les suppressions de lit dans les hôpitaux du Grand Est ont été confirmées, et il serait illusoire de penser que tout ce merdier ne repartira pas de plus belle sitôt la crise passée.

Alors pour l'heure, le mieux à faire, c'est de se préparer à affronter ça.

Gee, en train de poncer une fourche, explique : « Le confinement, c'est déjà un bon entraînement pour la grève générale… Et pour vous occuper, n'hésitez pas à vous initier à la menuiserie. Ça pourra servir, dans les prochains mois… » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 19 avril 2020 par Gee.

Sources :

Publié le 22 avril 2020 par Gee dans Dépêches Melba

🛈 Si vous avez aimé cet article, vous pouvez le retrouver dans le livre Grise Bouille, Tome V.

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