Une Auberge dans la tempête 12

Publié le 12 novembre 2021 par Gee dans La plume
Inclus dans le livre Une Auberge dans la tempête

Couverture de « Une Auberge dans la tempête »

Dans les épisodes précédents : Après avoir découvert par Augustin que des personnes avaient mystérieusement disparu près de l’auberge, Nathalie fait le point dans sa chambre. Un 4×4 arrive avec deux nouveaux arrivants à son bord, et une possible porte de sortie pour elle…

Chapitre 12

Les deux nouveaux arrivants étaient la définition même d’un couple mal assorti. Le conducteur de la jeep avait la quarantaine mais ses traits tirés le vieillissaient substantiellement ; c’était l’exact inverse en ce qui concernait la passagère, qui avait dix ans de plus mais en paraissait cinq de moins. L’homme avait le crâne dégarni et des yeux de chien battu ; la femme avait le regard pétillant à moitié dissimulé par une chevelure rousse volumineuse qui lui tombait gracieusement sur les épaules. Lui se tenait courbé, les épaules en avant, les bras frêles dans une chemise trop petite ; elle semblait flotter dans l’espace, rayonnante dans sa tenue de baba cool avec son ample veste à fleurs et son pantalon en chanvre.

Lorsque Nathalie avait rejoint la salle de restauration, ces deux curieux personnages s’y étaient déjà installés. Le Taulier était en train de prendre leurs commandes, avec son ton sec d’usage qui s’accordait fort bien avec l’air taciturne du conducteur de la jeep.

Après une courte hésitation, Nathalie décida d’y aller au culot et vint se pointer directement sous le nez des nouveaux venus.

— Bonjour ! Vous permettez que je m’assoie à votre table ?

— Euh…

— Mais bien sûr ! Bonjour, mademoiselle !

La dame, avenante, lui tendit la main en se présentant :

— Babette Fleury, enchantée !

— Euh, moi c’est Nathalie.

Tout le monde était tellement secret et peu loquace dans cette auberge que l’exubérance de cette Babette la prit au dépourvu. Son compagnon se fondait beaucoup plus dans le paysage… Il prit un air pincé et ajouta d’une voix monocorde :

— Emmanuel.

Sans lui prêter la moindre attention et sans même que Nathalie n’eût besoin de la relancer, l’autre poursuivit :

— J’étais sur la route quand je suis tombée sur ce pont effondré. C’est terrible non ? Je pensais que c’était l’unique voie d’accès mais fort heureusement, M. Travers – Emmanuel – est arrivé avec son 4×4 et m’a aimablement emmenée avec lui ! On a contourné par les bois, ça secouait un peu mais nous voilà !

Le Taulier apporta deux cafés et Nathalie lui en commanda un troisième. Elle vit, du coin de l’œil, que cet Emmanuel se demandait s’il avait vraiment bien fait de prendre Babette avec lui.

Nathalie demanda, sur le ton de la conversation :

— Cette auberge était donc votre destination à tous les deux ?

— Oh, mais bien sûr ! Monsieur est électricien, il m’a dit qu’il devait se rendre ici pour s’occuper d’une grosse panne dans le secteur. D’ailleurs, jamais je n’aurais imaginé qu’on nous accueille avec un café bien chaud sans électricité ! C’est dingue !

Emmanuel leva les yeux au ciel et grommela :

— C’est juste une gazinière…

— Une gazinière, comme c’est pittoresque !

Nathalie réprima un rire. Elle avait hâte de voir la tête que Maryam ferait en découvrant cette nouvelle arrivante. Si Augustin lui avait donné l’impression d’être un petit bourgeois, elle n’allait pas être déçue par le caractère joyeusement incongru de cette Babette.

Visiblement incapable de rester silencieuse plus de cinq secondes, celle-ci ajouta :

— Je m’étais attendue à trouver l’endroit exotique, mais ça dépasse mon imagination ! Des infrastructures vétustes, plus d’électricité, un mobilier du siècle dernier… Une vraie aventure !

— Haha, oui c’est fou, hein ?

Nathalie voyait le Taulier se renfrogner derrière son comptoir… enfin, se renfrogner encore plus que d’habitude. Elle ne pouvait pas contredire Babette sur le fait que son séjour à l’auberge tenait de l’aventure, à ceci près qu’elle-même n’en tirait pas franchement une joie intense…

Histoire d’offrir à l’homme l’occasion d’en placer une, Nathalie s’adressa à lui :

— Vous connaissez bien l’endroit ?

— Mmh non, du tout. Normalement, c’est un collègue qui s’occupe de la zone. Il est en arrêt maladie, alors je remplace. J’ai eu du mal à trouver.

— Mais oui ! reprit Babette en lui coupant presque la parole. C’est dingue c’que c’est reculé, ici ! Même Waze ne connait pas l’adresse !

— Vous vous rendez compte ? renchérit Emmanuel en imitant la pétulance de Babette. Même Waze !

Celle-ci ne sembla pas percevoir la moquerie. Nathalie ne pouvait s’empêcher de sourire. Certes, contrairement à sa première impression, ce n’était pas un couple mal assorti, les deux ne se connaissant que depuis le jour même. Cependant, elle trouvait qu’ils formaient un duo comique des plus réussis, et était presque tentée d’aller réveiller Maryam pour qu’elle profite du spectacle.

M’ame Jocelyne fit son entrée dans la salle par la porte de la cuisine. Elle fut immédiatement accueillie par un rayonnant « bonjour ! » de la part de Babette, auquel elle répondit par un vague hochement de tête irrité. Jocelyne prit la place du Taulier derrière le comptoir, et celui-ci s’approcha de la tablée. Après avoir déposé un café devant Nathalie, il s’adressa à l’homme :

— Monsieur…

— Travers. Emmanuel Travers.

— V’nez avec moi ? Vais vous montrer où qu’ça coince.

Emmanuel termina son café en une gorgée et suivit le Taulier vers la cour, apparemment pas fâché de fausser compagnie à Babette. Considérant le comportement peu engageant – voire carrément hostile – du Taulier, son ras-le-bol devait avoir atteint des sommets.

Lorsqu’il passa devant Babette, celle-ci lui adressa un grand sourire et un petit signe de la main. Comment peut-elle être aussi inconsciente de l’animosité des autres à son égard ?

— Pas très causant, cet Emmanuel, mais charmant ! Je lui ai raconté toute mon histoire dans la voiture, et il a écouté sagement sans dire un mot ! C’est devenu si rare, les gens qui savent écouter…

— Comme vous dites… et votre histoire, c’est…

— Oh ! Suis-je bête ! Je cause, je cause, et j’vous ai même pas raconté…

Elle fit une petite pause pour ménager ses effets, ce qui amusa un peu plus Nathalie tant elle sentait que toute pause dans la conversation lui demandait un effort considérable. Babette se pencha en avant avec un faux air de conspiratrice sur le visage.

— Je suis journaliste.

Le cœur de Nathalie fit un bond dans sa poitrine. Elle avait d’abord pris son interlocutrice pour une gentille baba cool un peu allumée. Par contre, si c’était une journaliste, sa présence pourrait devenir un précieux atout pour percer les mystères de l’auberge…

— Journaliste, hein ? Vous enquêtez sur la région ? Des choses intéressantes ?

— Eh bien oui ! Vous n’imaginez pas !

— Enquête criminelle ? Faits divers ?

— De quoi ? Oh non, non, rien de tout ça ! Haha, vous n’y êtes pas du tout ! Je bosse comme journaliste culturelle chez On the Rocks !

— Oh.

L’excitation de Nathalie était retombée comme un soufflet. On the Rocks était un magazine musical axé sur les musiques rock, folk et pop. Babette n’était donc pas une journaliste d’investigation… Pour ce qui était de percer les mystères de l’auberge, c’était râpé.

— Et qu’est-ce qu’une journaliste culturelle vient faire dans ce trou ? Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais c’est pas vraiment l’ambiance Wembley Stadium, ici…

Babette éclata de rire en rejetant son épaisse crinière rousse en arrière.

— Effectivement, on ne peut pas dire que je sois une habituée des guinguettes au fin fond de la Province.

Argh, encore une péteuse pour qui la France se divise entre Paris et non-Paris…

— En fait, je suis à la recherche de… Jimmie Leaf.

Le petit temps qu’elle avait marqué avant de prononcer ce nom indiqua à Nathalie qu’il aurait sans doute dû lui évoquer quelque chose. Elle fouilla autant que possible dans sa mémoire mais rien ne vint. Son indifférence dut être perceptible, car Babette s’écria avec consternation :

— Ne me dites pas que vous n’avez jamais entendu parler de Jimmie Leaf ?

— J’ai bien peur que non…

— Jimmie Leaf, voyons !

Elle semblait croire que répéter le nom en boucle allait, comme une formule magique, mettre en connexion deux neurones dans la tête de Nathalie.

— Un guitariste fabuleux ! Chanteur de talent avec ça ! Une des plus grandes rockstars américaines des années soixante-dix !

— Je ne vois pas.

— Sans blague ? L’un des trois grands Jim !

— Les trois quoi ?

— Les. Trois. Grands. Jim ! Jimi Hendrix, Jimmy Page et Jimmie Leaf, voyons ! Oh ma pauvre, je sais bien que vous êtes sans doute trop jeune pour avoir connu leurs heures de gloire, mais tout de même !

Nathalie hocha la tête en souriant. À part Hendrix, aucun nom ne lui parlait, mais elle n’osait pas assumer son inculture face à une dame qui considérait apparemment toute lacune dans ce domaine comme une insulte à sa profession.

— Vous pensez sérieusement trouver une star du rock ici ? Vous avez vu la tronche des lieux ?

— Eh bien justement : Jimmie Leaf s’est retiré de la scène depuis plus de vingt ans, et il a pour ainsi dire disparu des radars. Personne ne l’a vu depuis des années, et personne ne sait vraiment où il se cache. Une rumeur court qu’il serait allé s’installer au fin fond de la campagne française, dans un corps de ferme au milieu de nulle part.

— Sérieusement ? Vous y croyez, vous ?

— Vous seriez surprise des lubies que peuvent avoir des artistes comme lui, riches comme Crésus et idéalistes. La rumeur est crédible. Jimmie a vécu une longue passion avec une Française, c’est bien connu. Il a passé beaucoup de temps en France, déjà lorsqu’il était au sommet de sa carrière. Ce ne serait pas étonnant qu’il choisisse d’aller s’y retirer, loin des feux des projecteurs.

— Loin des journalistes, aussi ?

Babette gardait son sourire et son air satisfait, toujours aussi peu sensible aux sarcasmes.

— J’ai fait mes recherches, et j’ai identifié un réseau d’établissements ruraux qui pourraient correspondre. Reculés, très peu identifiés ni cartographiés… Et surtout, financés et possédés par un mystérieux propriétaire américain.

Nathalie était perplexe. De toutes les histoires rocambolesques qu’elle avait entendues ces derniers jours, celle-ci était à coup sûr la plus invraisemblable. Pourtant, la compétition était rude…

— J’ai déjà visité deux de ces établissements sans succès, mais je ne désespère pas. Dans ces deux endroits, j’ai eu la sensation assez nette qu’on me cachait des choses, les gens étaient si… distants.

Que des personnes aspirant à la tranquillité en milieu rural se montrent froids avec quelqu’un comme Babette, Nathalie était tout à fait disposée à le croire. En même temps, cette description collait aussi parfaitement à ce dont elle avait elle-même fait l’expérience dans cette auberge-là…

— Bref, même en considérant ces expéditions comme des échecs, je sens que je suis sur une bonne piste et…

Soudain, ses yeux s’illuminèrent. Elle se leva d’un bond, son tabouret valsa derrière elle et rebondit avec fracas sur le sol en carrelage. En sautillant comme une adolescente, elle s’écria :

— Le voilà ! Jimmie ! Jimmie Leaf ! Oh mon Dieu, mais c’est bien lui !

Nathalie se retourna. Au bas des escaliers se tenait Jérôme, stupéfait. Il s’était arrêté net et, avec résignation, marmonna :

— Aw fuck…

Bilan du NaNoWrimo

  • Avancement théorique : 40%, soit 20000 mots

  • Avancement réel : 46%, soit 22827 mots

  • En avance de 2827 mots

Graphique montrant l'avancement du NaNoWrimo en fonction du jour

Publié le 12 novembre 2021 par Gee dans La plume

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