Une tablette Gnunux (merci Microsoft !)
Non non, ce titre n'est même trollesque. Vous allez comprendre.
Ma situation
Je suis auteur et développeur indépendant. 95 % de mon boulot se passe sur support numérique : j'écris sur support numérique, j'y dessine, j'y programme, j'y enregistre de la musique. J'ai longtemps eu un PC portable qui servait à tout, et qui me servait à la fois d'ordinateur de bureau et de support en déplacement. Mon dernier en date est un Clevo (portable LDLC) de 2015 :
Depuis que j'ai cessé d'être étudiant, je bouge beaucoup moins et mon portable reste branché quasiment tout le temps ; depuis que je suis devenu indépendant et que je bosse de chez moi, c'est encore pire. Bref, je suis passé sur ordinateur fixe il y a quelques années (un petit Intel NUC avec un très gros écran), et j'en suis fort satisfait : un vrai poste de travail, confortable, plus de batterie inutile, etc.
Mobilité
Reste la question de la mobilité : j'ai gardé mon PC portable à côté, et il me sert de temps en temps quand je suis en déplacement. Il y a quelques années, j'ai eu un souci de carte mère dessus qui faisait que le PC s'éteignait sans prévenir. Sur le moment, je m'étais dit que j'allais passer sur tablette, pour profiter d'un appareil plus léger, plus autonome, plus transportable. J'ai donc investi dans une Samsung Galaxy Tab A.
La batterie de la tablette était top (une semaine sans recharger sans aucun problème), un poids plume (500 grammes, 4 fois moins lourde que mon PC de 2 kilos), le même chargeur USB léger que mon téléphone, etc.
Mais… bah Android pour bosser, c'est de la merde. Je vais autociter mon article sur Termux :
Android me gonfle pour tout un tas de raisons : l’accès root désactivé par défaut, un système de fichiers complètement pété où certains fichiers sont inaccessibles, cachés, avec des arborescences foireuses (genre la fameuse mémoire qui s’appelle « sdcard » tandis que la carte SD s’appelle « 0000-0000 », LOGIQUE), des conventions de nommage/stockage absconses à l’opposé de la philosophie Gnunux qui dit, en gros : un endroit bien défini pour chaque chose, et un système basé au maximum sur des fichiers textes pour être le plus facilement éditable/lisible. Sur Android au contraire, tout est fait pour rendre une utilisation avancée (au-delà de « j’installe une app sur le PlayStore et je joue sagement avec ») ultra-chiante voire impossible.
Je peux aussi parler du stockage hyper-limité sur mon modèle : 8 Go de mémoire interne seulement, dont une bonne moitié bouffée par le système. Autant dire que pour trimbaler mes 130 Go de projets (Grise Bouille, Superflu Riteurnz, mes nombreux autres trucs sur le feu, mes brouillons, mes morceaux de musique, de vidéo…), c'est mort. Le support des stockages externes étant nul à chier (oui, je vais pas faire dans l'euphémisme), on oublie aussi l'idée d'utiliser un SSD externe avec Android… je veux dire : de manière fiable et reconnue/supportée par toutes les applis.
Comme on nous promet d'étendre la mémoire avec une carte SD, j'avais vaguement de l'espoir, mais pareil, la gestion de la carte SD est tout aussi pourrie : les apps qui peuvent s'installer sur carte SD sont rares, et comme d'hab, les accès aux supports externes sont très aléatoires. On ajoute à ça qu'au moindre souci, Android vous laisse le choix entre reformater la carte SD (et tout perdre) ou… rien. De fait, sur Android, la carte SD, à part pour stocker de la musique et des vidéos, c'est niet.
Dernier clou dans le cercueil : même s'il y a de chouettes apps libres sur Android (merci F-Droid), impossible d'y retrouver les apps de bureau dont j'ai besoin, Inkscape en premier lieu. Et de toute façon, ma tablette graphique Wacom n'est pas reconnue par Android, ça règle la question.
Je pourrais aussi vous parler de tout ce qui me manque de Gnunux : un OS avec un fonctionnement logique où je ne risque pas de perdre tout mon boulot parce qu'une app s'est mise en arrière-plan ; des trucs aussi basiques que la gestion de fenêtres multiples ; la liberté de faire ce que je veux du système, de l'adapter à mes besoins, d'avoir accès à des fichiers de config en texte, etc.
Exemple : sur Gnunux, j'ai un mappage clavier qui me permet de facilement taper du texte avec une typographie française correcte (guillemets français, majuscules accentuées, espaces insécables, points de suspension…). C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi qui passe une grosse partie de mes journées à écrire du texte et qui ai pris l'habitude d'utiliser ces symboles, c'est un enfer de ne pas y avoir accès facilement lorsque je connecte un clavier physique à la tablette. J'ai réussi à m'en sortir avec Emacs dans Termux, en définissant des raccourcis personnalisés (Ctrl-X + .
pour faire les points de suspension, par exemple), mais c'est loin d'être confortable, et c'est limité à Emacs (pas disponible dans mon navigateur ou client mail).
J'ai longtemps eu l'espoir qu'un Gnunux finisse par être porté sur cette tablette, mais je n'y crois plus : un type avait commencé à essayer d'y faire tourner Ubuntu Touch, mais ça restait hyper expérimental.
Le dilemme
Entre-temps, j'ai renvoyé mon PC à LDLC pour réparation : le SAV est très bien, ça m'a coûté des sous (car plus sous garanti), mais j'ai récupéré un PC fonctionnel avec une carte mère neuve.
Depuis, à chaque déplacement, un dilemme se pose : est-ce que je prends ma tablette ou mon PC portable ?
Si je prends ma tablette, je peux voyager léger, avec l'équivalent d'un bloc-note rangeable dans un mini-sac qui tient sous ma veste, j'ai une interface tactile pratique à utiliser dans un train, un autocar ou autre, une batterie qui dure longtemps, etc. Je peux regarder des films et des séries pendant un long voyage, traîner sur les rézozozios, lire mes mails avec la tablette sur les genoux sur le canapé, y répondre, etc. Mais au moindre besoin de travailler sur un truc un peu concret (accéder à un document de travail, éditer une BD, mettre à jour un de mes sites, produire un fichier SVG, etc.), je suis coincé.
Inversement, si je prends mon PC portable, j'ai un environnement de travail fonctionnel, avec tous les fichiers et tous les programmes dont j'ai besoin… mais c'est lourd, c'est encombrant, c'est très peu pratique. Quand on a déjà une valise ou un gros sac à dos, se trimbaler en plus le lourd sac d'ordi avec son chargeur et cie, c'est CHIANT.
Voilà pour le dilemme : je ne compte donc plus les fois où j'ai regretté d'avoir pris ma tablette (car j'aurais eu besoin de faire un truc technique qui a dû attendre que je rentre chez moi), et inversement, où j'ai regretté d'avoir pris mon PC portable (car je n'ai eu besoin que de regarder des vidéos et de lire mes mails, et je me suis pété le dos pour rien).
La solution
Je rêve d'une tablette avec Gnunux dessus depuis des années. L'environnement de mon PC portable avec la praticité de ma tablette. Eh bien j'ai trouvé la solution, et elle s'appelle : la Surface.
La Surface, c'est la gamme de tablettes de Microsoft (oui, d'où le titre). Évidemment, ces tablettes sont vendues avec un Windows pré-installé, comme vous pouvez vous en douter. Ce qui change tout par rapport aux Samsung, c'est que ces tablettes sont équipées de processeurs Intel avec une architecture x86_64
: les mêmes que sur un ordinateur classique. En réalité, les Surface sont bêtement des PC, mais avec une interface tactile (Microsoft les a d'ailleurs toujours marketées de cette manière, en insistant sur le côté « outil de travail sérieux », se démarquant des tablettes Android qui insistent sur le côté « multimédia/loisir/fun » et des tablettes iPad qui insistent sur le côté « gloire à notre sauveur éternel Steve Jobs »).
De fait, ces tablettes sont très bien supportées par Gnunux : l'installation s'y fait comme sur un ordinateur classique, pas d'histoire de rom, de flash, de recovery, de machin-truc chiant. On branche une clef USB, on installe, on a Gnunux sur sa tablette. Simple.
Ajoutons à cela le projet Linux Surface qui propose un noyau optimisé et un wiki bien détaillé qui liste point par point ce qui est fonctionnel et comment résoudre les éventuels problèmes (et il y en a peu). Tout roule comme dans du beurre, comme dit un pote à moi.
Ma tablette Gnunux
J'ai fait l'acquisition d'une Surface Go (première génération) reconditionnée : elle m'a coûté 180 €, et il s'agit du « meilleur » modèle puisqu'il dispose de 256 Go de mémoire flash (contre 128 et 64 pour les modèles moins chers) et de 8 Go de RAM. Elle n'est pas de première jeunesse, mais de fait elle était peu chère (regardez les prix des Surface neuves…), et je ne souhaite plus acheter d'appareil neuf de toute façon.
J'ai pris une version sans clavier (encore une fois, le clavier Microsoft coûte la peau du fion), mais le clavier bluetooth que j'utilisais avec la Samsung est compatible, donc pas de souci.
Au niveau du stockage, 256 Go, c'est déjà pas mal, et en plus, contrairement à Android, c'est très facilement extensible : avec la flexibilité de la gestion des stockages externes de Gnunux, j'ai tout simplement fait un point de montage permanent pour ma carte SD de 128 Go (dans /sdcard
– c'est fou, ce serait presque logique), et boum, avec quelques liens symboliques, j'ai une partie de mes documents déportés sur carte SD de façon complétement transparente. Si le besoin s'en fait ressentir, j'investirai dans une plus grande carte SD, et ça se remplacera tranquillement sans que ça ne change grand-chose au reste du système. Quand je pense au merdier innommable sur Android pour simplement installer la carte SD comme un support externe non-utilisable par 80 % des apps…
Au niveau de la batterie, rien de fou mais ça se défend, on va être entre 3 heures et 7 heures (selon si l'usage est intensif ou non), mais en même temps, mon PC portable ne fait pas mieux. Autant j'aime la portabilité de la tablette, autant je vais rarement être plus de 3 heures loin d'un chargeur – ou, si j'ai un voyage de 7 heures sans accès à une prise, ce qui devient rare, je ne vais pas regarder 7 heures de films/séries de toute façon.
Au niveau logiciel
La tablette n'est pas une foudre de guerre, mais Gnunux reste un environnement relativement léger et ça fonctionne nickel ! Bien sûr, ça reste un poil lent si on part sur des applications gourmandes (retouche photo, édition vidéo), mais ça reste possible et largement utilisable : je préfère un système un peu lent mais complet à un système rapide dont je ne peux pas faire grand-chose.
J'ai retrouvé Gnome pour la même raison que je l'avais quitté il y a pas mal de temps : c'est une chouette interface pour du tactile (quelle horreur sur desktop par contre, vive Cinnamon). Le défilement par glissement est relativement bien géré (ça reste variable selon les applis, bien sûr), il y a un clavier tactile raisonnablement bon, mais je vais y revenir. J'ai pris Pop OS principalement parce que je voulais un Gnome non modifié avec une base Debian/Ubuntu (même si finalement, j'ai quand même dû désactiver deux trois trucs pour avoir un vrai Gnome de base). Bon, peu importe, en vrai, je repasserai peut-être sous Linux Mint à l'occaz (mais là, flemme).
Tout marche bien, que ce soit le tactile multi-points, le changement d'orientation, etc.
Pour le côté « tablette » (avoir des petites apps facilement accessibles en un clic), j'ai installé l'extension Firefox PWA : elle permet de créer des conteneurs Firefox isolés avec des lanceurs personnalisés en se basant sur la même technologie que les PWA (progressive web apps) sur mobile. C'est un détail et c'est vraiment pour le principe de retrouver la philosophie tablette, mais ça reste très pratique :
La cerise sur le gâteau
Quelque chose que je n'avais pas du tout prévu au départ, mais qui s'avère être un énorme plus : le support du stylet. Encore une fois, le stylet Microsoft est vendu à prix d'or, mais une sous-marque à 30 € fait bien l'affaire.
Au niveau de la mobilité, même plus besoin de prendre ma tablette (graphique, cette fois) Wacom : je peux dessiner directement sur l'écran. La gestion des niveaux de pression est bonne, et on peut désactiver le tactile quand le stylet est utilisé, ce qui évite les entrées parasites si on touche l'écran avec la paume. Ça fonctionne nickel avec Inkscape ou même Krita : un bonheur.
Remarquons aussi que le stylet est très utile pour les interfaces de bureau parfois un peu étroites (ça sert de pointeur comme une souris classique, très précis). Comme on est sur Gnunux, encore une fois, tout est configurable, et on peut facilement changer ce que font les deux boutons sur le stylet : ainsi, par défaut, j'ai mis Échap sur l'un des boutons (toujours pratique comme touche, surtout qu'il n'y a pas de bouton physique sur la tablette). Mais quand je lance ScummVM, le bouton est automatiquement remappé sur F5 qui est la touche pour accéder au menu… et quand je lance Inkscape, remappé sur Ctrl + Z
pour pouvoir facilement annuler quand je dessine.
Pratique, non ? Vous imaginez faire ça sous Android ? LOL.
Les bémols
Allez, il serait malhonnête de prétendre que tout est rose, alors parlons un peu des bémols.
De manière générale, même si Gnome se défend bien, la gestion du tactile sur Gnunux reste moins bien gérée que sur Android, et on sent le côté moins « fini » des choses. Par exemple, certaines applis ne gérent pas le défilement par glissement, et il faudra donc utiliser la barre de défilement, pas toujours simple à chopper avec un gros doigt. Le stylet devient alors un précieux atout (et au pire, on peut toujours brancher une souris, évidemment).
Le clavier virtuel de Gnome est également loin d'être aussi pratique qu'un clavier Android : pas de suggestion ou de complétion, et il a tendance à s'afficher TOUT LE TEMPS dès qu'une zone de texte est disponible, même si on n'a pas cliqué dessus, et même quand un clavier physique est branché. Encore une fois, si on sait bidouiller, ça se corrige : je me suis ajouté un petit script via udev qui désactive le clavier virtuel quand mon clavier bluetooth se connecte et qui le relance quand il se déconnecte. Un peu chiant à mettre en place, mais une fois fait, ça marche, et on n'en parle plus.
Faire fonctionner la caméra demande aussi un peu de boulot : rien d'insurmontable, mais un peu chiant quand même. Après, honnêtement, j'utilise tellement peu la caméra que je ne m'en suis pas inquiété avant plusieurs jours d'usage.
Enfin, le point le plus gênant à mon sens, c'est que la gestion de la mise en veille n'est pas parfaite : actuellement, j'ai un bug qui fait qu'après une mise en veille, le bluetooth déconne et ça devient compliqué d'utiliser le clavier à moins de relancer. Ce n'est pas dramatique car en général, je préfère éteindre complétement la tablette pour économiser la batterie (elle s'allume en une poignée de secondes, donc ça n'est pas bien gênant), mais voilà, c'est un peu agaçant quand même.
Conclusion
Malgré ces quelques bémols, je suis très très content de mon choix. Surtout, notez que la majorité de ces bémols sont corrigeables/contournables parce qu'on a la main sur le système et que ce système est bien foutu, cohérent, stable et ouvert : sur Android, quand j'ai un problème de ce genre, je n'ai plus qu'à croiser les doigts pour qu'une app existe pour le corriger (et qu'elle ne soit pas blindée de pubs et de trackers, et encore maintenue), ou bien… bah, c'est mort.
En conclusion, si vous voulez une tablette avec un environnement Gnunux complet et fonctionnel, sachez que la gamme Microsoft Surface est une chouette solution. Les vieilles Surface Go comme la mienne tournent très bien et deviennent bon marché, mais vous pouvez aussi vous pencher vers des modèles plus récents pour avoir des perfs un peu meilleures (ou carrément passer sur des Surface Pro pour avoir un plus gros écran, même si vous allez y perdre sur le côté mobilité).
Pour ma part, elle a d'ores et déjà remplacé et mon PC Clevo et ma tablette Samsung (il faut d'ailleurs que je trouve quoi en faire, reconditionnement/don/etc.).
Bref, je ne pensais pas dire ça un jour, mais : merci Microsoft !