Une Auberge dans la tempête 23

Publié le 23 novembre 2021 par Gee dans La plume
Inclus dans le livre Une Auberge dans la tempête

Couverture de « Une Auberge dans la tempête »

Dans les épisodes précédents : après plusieurs jours de tergiversations, Nathalie est enfermée pour de bon dans l’auberge. Emmanuel, l’électricien, faisait visiblement partie du complot…

Chapitre 23

Allongée sur le lit, Nathalie évaluait ses options en fixant le plafond. Elles n’étaient pas bien nombreuses, et peu engageantes pour la plupart. Tambouriner à la porte en hurlant était tentant, bien que l’intérêt, au-delà du défouloir, fût sans doute limité. Les chances de réveiller Maryam, un étage plus haut, étaient minces, celle-ci ayant déjà prouvé la lourdeur de son sommeil. De toute façon, s’ils ont deux ronds de bon sens, ils l’ont déjà enfermée elle aussi.

Une autre aide potentielle était Babette, qui logeait à l’étage où Nathalie était retenue. Néanmoins, l’impliquer revenait à coup sûr à la faire enfermer elle aussi, et Nathalie ne pouvait décemment participer à l’infortune de quelqu’un d’autre.

Non, elle était seule, c’était indiscutable. Toute la question était de savoir pour combien de temps : elle ignorait à quelle sauce elle allait être mangée, mais il était clair qu’ils n’allaient pas la laisser moisir dans cette chambre ad vitam æternam. S’ils disposaient, comme elle l’avait maintes fois supposé auparavant, de geôles un peu plus sophistiquées, elle n’allait sans doute pas tarder à les rejoindre.

C’était pour cette raison qu’elle se creusait les méninges : ses meilleures chances de s’évader, c’était dans l’immédiat, tant qu’elle n’était pas encore trop privée de ses mouvements.

Défoncer la porte était exclu : quelqu’un montait forcément la garde, et même dans l’hypothèse inverse, le boucan qu’elle ferait ne manquerait pas d’ameuter les hôtes. Passer par la fenêtre ? C’était sans doute sa meilleure chance. Le premier étage n’était pas si haut. Suffisamment, toutefois, pour que ses chances d’atterrir indemne soient mauvaises. Avec une cheville déjà handicapée, autant dire qu’elle ne quitterait sa prison que pour se retrouver en incapacité physique de fuir dans la foulée.

Par acquit de conscience, elle avait même fait le tour des bouches d’aération de la chambre et de la salle de bain, pour voir si, à tout hasard, elle ne pourrait pas se la jouer Tom Cruise dans Mission: Impossible. Peine perdue. Il n’y avait même pas la moindre VMC, alors ne parlons pas de conduits suffisamment larges pour y accueillir un être humain…

Dernière option, et non des moindres : trouver un objet contondant digne de ce nom, attendre qu’un de ses geôliers vienne la chercher, et lui asséner un bon gros coup sur le coin de la trogne. Elle avait assez de frustration accumulée pour dévisser quelques mâchoires. Restait le problème du nombre : elle était seule, ils étaient au moins quatre. Le Taulier, Jocelyne, Jérôme et maintenant Emmanuel. Pour ce qu’elle en savait, les gamins Luka et Laura faisaient peut-être même partie du complot. C’est pas grave, je suis prête à leurs péter les dents à eux deux aussi, ça me dérange pas. Ça me fera limite plaisir.

Elle se mit donc à fouiller la chambre de fond en comble, le plus discrètement possible pour ne pas attirer l’attention. En ouvrant le tiroir de la table de chevet, Maryam tomba sur un téléphone portable. Après avoir allumé l’écran, elle reconnut celui d’Augustin. Maryam et elle l’avaient elles-mêmes rangé là lorsqu’elles l’avaient trouvé la veille. Verrouillé, sans réseau, il ne lui était pas d’un grand secours.

Les placards étaient vides et, maintenant qu’elle y pensait, elle n’avait pas non plus vu la moindre valise. Il était évident, à présent, qu’Emmanuel n’avait pas passé la nuit ici. J’imagine qu’il a sa propre chambre permanente…

La meilleure « arme » à sa disposition était un gros fauteuil. Il était suffisamment lourd pour assommer quelqu’un d’un seul coup… mais sans doute un peu trop lourd pour être soulevé et manié assez rapidement.

Elle se rallongea sur le lit, pas beaucoup plus avancée. Machinalement, elle attrapa à nouveau le téléphone d’Augustin et joua avec les touches. Qu’aurait-elle donné pour pouvoir le déverrouiller…

Attends une minute… Cet Augustin n’avait pas spécialement l’air dégourdi et c’est un code à quatre chiffres…

Prise d’une soudaine inspiration, elle fit plusieurs tentatives pour deviner le mot de passe. Après les « 0000 » et « 1234 » de rigueur, elle passa aux années de naissance. Augustin devait avoir un peu plus de la trentaine, elle essaya donc « 1989 », puis « 1988 », etc.

Au bout de cinq essais, le téléphone indiqua qu’elle devait attendre trente secondes avant de réessayer. Tant pis, j’ai tout mon temps…

Après avoir continué sa remontée dans le temps, elle dut réprimer un cri de joie en voyant le téléphone se déverrouiller sur « 1983 ». En un clin d’œil, elle était de nouveau debout. Elle levait frénétiquement son téléphone aux quatre coins de la chambre, dans la salle de bain, par la fenêtre… elle cherchait le réseau avec l’ardeur qu’utilisent des férus de détecteurs de métaux cherchant de l’or sur une plage.

Quelques minutes plus tard, elle dut se rendre à l’évidence : il n’y avait pas la moindre trace de réseau dans ce bled. Pourtant, lorsqu’elle avait trouvé le téléphone la veille, il venait de recevoir des SMS. Dans une dernière tentative désespérée, elle se jeta donc au sol et tint le téléphone à côté de la table de nuit, là où il se trouvait alors.

Alors qu’elle restait là, immobile, à fixer le symbole qui affichait son sempiternel « X » et sa jauge vide, elle remarqua une icône sur l’écran d’accueil. C’était un raccourci vers un document, « Coupures presse.pdf ».

Elle se redressa sur ses genoux et l’ouvrit. Le cœur battant, elle vit alors s’afficher une nouvelle pièce du puzzle : le document contenait des versions numérisées de coupures de journaux locaux. Ces coupures résumaient, à chaque fois, les disparitions dont avait parlé Augustin.

En s’asseyant sur le bord du lit, Nathalie eut une pensée pour lui. Désolée de ne pas t’avoir cru, sale con… où que tu sois.

N’ayant rien de plus constructif à faire, elle parcourut les articles. Ils étaient classés dans l’ordre chronologique. Le tout premier avait huit ans.

RANDONNEURS DISPARUS : LES RECHERCHES PATINENT

Les recherches sont toujours en cours, mais l’espoir de retrouver les Von Klugsman, cette famille de randonneurs portée disparue dans la Forêt du Folpiquet, s’amenuise de jour en jour.

Jean-Pierre et Monique Von Klugsman avaient profité des vacances d’été pour organiser un circuit champêtre avec leur petite fille de tout juste un an. La singularité d’emmener une si jeune enfant avait d’ailleurs attiré l’attention du journal régional de France 3 qui leur avait consacré un petit sujet de reportage sans prétention, comme cela se fait beaucoup à cette période estivale. Ahmed Nachar, le journaliste à l’origine de ce sujet, avait pris rendez-vous pour les retrouver après leur périple. Inquiet de ne pas les voir revenir, il a fini par donner l’alerte et par signaler la disparition auprès de la gendarmerie locale.

Plusieurs jours de fouille intensive dans la Forêt du Folpiquet n’auront pas permis de retrouver la famille, et les experts s’accordent à dire que les chances de les retrouver vivants sont à présent quasi-nulles. Christine Dubonnet, l’inspectrice en charge de l’affaire, déclare :

« La Forêt du Folpiquet est dense et peu aménagée. Les chemins de randonnée y sont peu visibles et difficilement praticables. La réception téléphonique y est inexistante, ce qui rend impossible l’appel des secours en cas de problème. Nous pourrions ratisser le terrain pendant des semaines sans y retrouver qui que ce soit. Sauf le respect que je dois à cette famille dont je déplore la disparition, il y a là une forme d’inconscience à s’aventurer par ici sans un minimum de préparation, et avec un bébé de surcroit ! »

Nathalie pensa avec amertume qu’elle aurait été inspirée de lire cet article avant son départ. Personne n’avait pris la peine de la prévenir de la dangerosité de cette forêt. Ceci étant dit, elle-même n’avait pas pris la peine de demander quoi que ce soit à grand-monde…

Au-delà de la détresse profonde dans laquelle cette disparition n’aura pas manqué de plonger les proches des disparus, l’hypothétique décès de Jean-Pierre Von Klugsman pose la question de sa succession à la tête de VKT, grand groupe de travaux publics chargé notamment de la mise en œuvre du futur contournement de l’autoroute…

Le reste de l’article avait été coupé par le scanner. Nathalie fit défiler le PDF de son pouce droit et continua sa lecture. L’article suivant avait été publié deux ans plus tard.

PAPI TROQUELLE : TOUJOURS PAS DE NOUVELLES

L’inquiétude grandit à Saint-Martin-du-Folpiquet, où l’absence de René « Papi » Troquelle, une célébrité locale, a été remarquée.

Papi Troquelle, que l’on connait surtout à Saint-Martin comme le patron du bistrot du village « Au Troquet Troquelle », a disparu sans laisser de traces depuis maintenant une semaine. Les habitants ont été surpris de voir le rideau de fer baissé mais ont d’abord supposé que « Papi » avait pris une journée de congé sans prévenir.

« Il est ouvert six jours sur sept, nous confie Chantal, une habituée. Ça ne nous aurait pas choqués qu’il se repose un peu ! Mais là, une semaine, non, il nous aurait prévenus… »

D’abord sceptique, la gendarmerie prend désormais l’affaire au sérieux : la disparition a depuis été signalée par plusieurs établissements aux alentours. En effet, et bien que cela soit peu connu des habitants de Saint-Martin, René Troquelle avait depuis plusieurs années investi dans de nombreux débits de boissons similaires au sein de plusieurs villages du département, et les gérait en bon père de famille. C’est Gaspard, barman au « Bristoquelle » de Laneuveville-Folpiquet, un des établissements de Papi, qui nous en parle :

« Papi, c’est la vieille école. Il sait ce que c’est de tenir un bar de village. Il a fait beaucoup pour redynamiser la région. Aux dernières nouvelles, il devait s’absenter un jour ou deux pour visiter un établissement dans le coin, un nouvel endroit dans lequel il souhaitait investir… Cela fait déjà une semaine maintenant, sans un coup de fil, ça ne lui ressemble pas ! »

À nouveau, l’article était coupé, mais Nathalie ne se faisait pas trop d’illusions sur le « nouvel endroit » dans lequel ce Papi voulait investir… Est-ce que les hôtes de cette auberge éliminaient réellement n’importe quelle personne un peu trop curieuse ?

En défilant sur l’article suivant, elle se demanda soudain de quel genre d’article bénéficierait Augustin. On vanterait sans doute ses talents de jeune cadre dynamique… Si sa voiture finissait par être retrouvée dans la rivière, la noyade serait immanquablement retenue comme explication évidente.

Et moi ? pensa-t-elle soudain. Est-ce qu’un agent de police ira déclarer que j’aurais mieux fait de rester le cul sur mon bureau comme une gentille informaticienne sans histoire ? Qui ira faire mon éloge pour justifier qu’on investisse du temps dans les recherches ? Pour commencer, quel éloge pourrait-on bien faire de moi ?

Passablement déprimée par sa propre incapacité à répondre à ces questions, elle les chassa de son esprit, porta à nouveau son attention sur le téléphone et poursuivit sa lecture…

Bilan du NaNoWrimo

  • Avancement théorique : 77%, soit 38333 mots

  • Avancement réel : 87%, soit 43324 mots

  • En avance de 4991 mots

Graphique montrant l'avancement du NaNoWrimo en fonction du jour

Publié le 23 novembre 2021 par Gee dans La plume

🛈 Si vous avez aimé cet article, vous pouvez le retrouver dans le livre Une Auberge dans la tempête.

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