Une pinte de compression
Vous aviez aimé la dernière tournée sur la compression ? Eh bien, garçon, tu nous mettras la petite sœur (enfin, la grande, plutôt…).
Une pinte de compression
💡 Reprenons donc une petite tournée de compression…
La compression dont nous avons parlé jusqu'à présent consistait à représenter les mêmes données de manières plus ou moins économes en octets : on appelle ça de la compression non-destructive (ou sans perte).
⚠️ En effet, il serait assez gênant que le contenu d'un texte (par exemple) change après compression/décompression.
💡 Par contre, il existe une certaine catégorie de fichiers pour lesquels on peut se permettre de modifier (légèrement) le contenu pour permettre une compression plus efficace (et donc destructive) : les fichiers qui contiennent des informations perceptuelles, dont l'interprétation dépend directement du fonctionnement des sens (ouïe, vue) de l'humain.
▶️ Par exemple, le format Jpeg (l'un des formats de compression destructive les plus utilisés pour stocker des photos), exploite le fait que nos yeux sont plus sensibles aux basses fréquences (les formes générales d'une image) qu'aux hautes fréquences (les textures, le « bruit »).
▶️ Les formats audio comme le MP3 ou le OGG utilisent le même genre de principe : l'être humain étant bien plus sensible aux variations de fréquences dans les graves que dans les aigus, il est bien plus intelligent de stocker les fréquences graves avec plus de précision que les fréquences aiguës…
C'est ce qui a permis le développement fulgurant de la musique en ligne, avec des fichiers nettement plus légers et donc plus facilement partageables que leurs équivalents en compression sans perte (comme le format FLAC).
Avec un débit binaire suffisant (supérieur à 256 kbps), les pertes des formats destructifs comme le MP3 sont quasi-indétectables par la grande majorité des oreilles.
Bon.
Le sujet délenche régulièrement des flamewars, alors plutôt que de vous répéter que personne n'a jamais réussi à me démontrer qu'il ou elle arrivait à différencier le CD du MP3 à 320 kbps
(l'expérience personnelle ayant une valeur scientifique proche de 0)
je vais plutôt vous parler d'un article de recherche…
💡 Le protocole expérimental ? Treize individus « auditeurs qualifiés » (ingénieurs du son, musiciens), cinq morceaux de genres variés (pop, metal, classique…), un dispositif d'écoute de qualité et différents formats : CD et MP3 avec des débits de 96kbps à 320kbps. Des tests à l'aveugle.
Les résultats ?
Donc cette expérience tend à montrer que la différence de qualité entre CD et MP3 (supérieur à 256 kbps) n'est pas suffisante pour être détectée par une oreille humaine.
⚠️ Alors certes, cela reste un article scientifique isolé qui doit être soumis à critique : on pourrait par exemple pointer le faible nombre de participants.
(Au passage, si vous avez l'occasion et que vous lisez l'anglais, l'article est aussi vachement intéressant sur d'autres points, comme les différences de sensibilité selon les styles.)
Mais ça reste plus crédible que les déclarations enflammées que l'on voit souvent pour sauver les oreilles de l'immooOÔOonnde compression MP3…
Ça, c'est un vrai argument que j'ai lu une fois dans un journal en ligne…
Et ce genre de connerie, ça me fait bouillir.
⚠️ Pas seulement parce que c'est dégueulant de mauvaise foi, mais parce qu'en plus ça confond deux choses qui n'ont rien à voir entre elles (à part leur nom) : la compression de données (comme le MP3) et la compression audio (en sens de traitement du signal).
▶️ Le fait qu'il y ait, effectivement, dans la musique populaire, une course au volume souvent basée sur de la compression audio (notamment pour les diffusions radio) n'a absolument RIEN À VOIR avec les formats de type MP3.
D'ailleurs, la compression audio existait largement avant la démocratisation du numérique dans la musique…
En fait, je crois qu'utiliser du CD ou du FLAC pour la qualité de son, c'est un peu comme préférer lire un livre papier plutôt qu'un livre électronique…
Au fond, on sait bien que l'expérience physique et rationnelle ne change pas, mais il y a un plaisir irrationnel à trouver de la beauté dans un objet auquel on prête une complexité ou une perfection, même si elles sont parfois fantasmées…
Bref, c'est un peu ça qui est intéressant quand la technique se mêle de l'art et de ce qui dépasse la simple information cartésienne : derrière toutes les théories et tous les chiffres qu'on pourra montrer, il restera un ressenti, un ensemble de croyances et de sensations qu'on calquera dessus.
Il y a des gens qui trouvent le FLAC ou le CD (ou le vinyle ou même le livre papier, soyons fous) indispensable à leur confort.
💡 Moi, je trouve de la beauté dans les formats de compression comme le MP3, parce qu'il y a une intelligence folle convoquée là-dedans : une technologie qui s'adapte à nos sens.
Article cité :
- Pras, A., Zimmerman, R., Levitin, D., & Guastavino, C. (2009, October). Subjective evaluation of mp3 compression for different musical genres. In Audio Engineering Society Convention 127. Audio Engineering Society.
🛈 Si vous avez aimé cet article, vous pouvez le retrouver dans le livre Grise Bouille, Tome III.