Bobologie aux urgences (3/3)
Suite et fin de la fabuleuse épopée de mon système digestif. Si vous avec manqué un épisode :
Bobologie aux urgences (3/3)
💡 Nous sommes donc dans un hôpital de Nice, en septembre 2017. Je viens d'y passer la nuit après avoir subi un nouveau volvulus du sigmoïde. Le lendemain matin, je reçois la visite d'une personne que, pour des raisons d'anonymat et de clarté, nous appellerons le Dr Grôkon.
C'est-à-dire que je m'étais quand même un poil renseigné sur l'opération en question : ablation du côlon sigmoïde, qui consiste en gros à virer un morceau de tuyau et à ressouder les deux extrémités orphelines ensemble :
Comme le tuyau en question, c'est votre tube digestif, j'aime autant vous dire que vous allez pas gambader dans les champs dans l'heure qui suit…
⚠️ On parle d'un mois d'arrêt de travail minimum, et les témoignages que je lis sur Internet expliquent que tu peux mettre entre 6 mois et 1 an pour retrouver une alimentation normale ET une digestion normale.
Du coup, ouais, j'étais moyen chaud à l'idée de me lancer là-dedans dans l'immédiat, à chaud, comme ça, sans prévenir.
Bref, trois semaines après, je retourne à l'hôpital où l'on m'informe que le Dr Grôkon ne bosse plus ici – c'est trop dommage – et que c'est donc le Dr Lambda qui va me recevoir.
Me voilà donc rassuré. Le rendez-vous s'avère purement informatif, on discute, je pose mes questions, Dr Lambda me répond, et je repars.
▶️ Connaissant quelques personnes bossant à l'hosto, je me renseigne pour trouver un chirurgien ayant une bonne réputation et on m'oriente vers le Dr Vétéran, un ponte dans le domaine de la charcuterie intestinale.
✷ « Petit » : j'ai senti, au ton, qu'il ne parlait pas de sa taille…
Le Dr Vétéran m'explique que lui préfère prendre le temps de refaire des examens avant de prendre une décision sur l'opération.
Je refais donc des analyses…
▶️ Et je vois donc le Dr Sigmoïdator avec qui le contact passe très bien.
⚠️ Les complications, en l'occurrence, prennent le délicieux nom de « fistule » (en gros, la suture de l'intestin qui ne tient pas et du caca qui se répand dans votre organisme, miam miam).
Bon, entre 1 % de risques de complications UNE fois et 7 % de chances de passer l'arme à gauche à CHAQUE crise arrivant de manière aléatoire, le choix est vite fait : je saute le pas, on programme une opération.
Entre les différents rendez-vous, mine de rien, plus d'un an a passé, et l'opération est programmée pour le lundi 8 novembre 2018 à la première heure.
Je passe sur le billard et me retrouve ensuite en salle de réveil, avec 30 cm de côlon en moins (quand même). Une infirmière me pose à nouveau la question tant entendue :
⚠️ Et je profite de l'occasion pour prévenir les gens qui vont se faire opérer : quand on vous pose la question en salle de réveil, si comme moi vous êtes encore un peu dans le coaltar, ne minimisez pas le nombre.
Parce qu'après, le coaltar est passé.
💡 On m'informe que tout s'est bien passé, on dose correctement mes antidouleurs et je me repose. C'est terminé. Très vite, on me réalimente, d'abord avec des liquides. Le transit intestinal reprend.
Ce qui, avec le bide récemment charcuté, est assez bizarre.
Je vous raconte pas l'angoisse quand j'ai éternué un peu fort, j'ai cru que j'avais fait péter toutes les sutures…
L'opération ayant été réalisée par cœlioscopie – on ne vous ouvre pas complètement mais on fait passer les instruments par des petits trous avec une caméra, en injectant de l'air sous la cavité abdominale –, je découvre les joies des douleurs post-opératoires : l'air injecté doit sortir, et surprise, il sort par capillarité, vers le haut…
Je n'ai donc pas seulement mal au ventre mais aussi, et c'est inattendu, mal aux épaules.
▶️ Je rentre à la maison. Une infirmière passe tous les jours changer mon pansement et me faire des piqûres contre la phlébite.
⚠️ Comme cette BD en 3 parties n'est pas encore assez longue, je fais une poussée de fièvre une semaine plus tard, ce qui fait penser à une infection et me renvoie donc à l'hôpital.
J'y entre le samedi 17 novembre 2018.
Ça devient une habitude de regarder les événements marquants du pays à l'hosto.
On me met sous antibiotiques et on me vide l'estomac avec une sonde gastrique, probablement le pire truc médical que j'ai jamais vécu.
Et j'inclus le volvulus, les douleurs post-opératoires et tous les tuyaux dans le fion.
Là pour le coup, j'aurais pas craché sur une anesthésie…
J'aime autant vous dire que le test nasal du COVID19, c'est une promenade de santé à côté de cette merde mais passons.
▶️ Les antibios fonctionnent, et je sors dix jours plus tard. Cette fois, c'est bel et bien terminé.
Épilogue :
J'ai finalement repris une alimentation normale très vite (j'ai profité du repas de Noël quasiment sans adaptation).
Mon transit a été assez agité pendant quelque temps – avec 30 cm de tube digestif en moins, la digestion est vachement plus rapide – mais ça s'est régulé au bout de quelques mois.
▶️ Je n'ai plus de sigmoïde hypertrophié (et du coup, plus de risque qu'il se coince).
▶️ Je n'ai plus jamais eu de maux de ventre similaires.
▶️ Je n'ai plus l'épée de Damoclès au-dessus de la tête.
▶️ La cicatrice se voit à peine.
Tout va bien.
💡 Pour finir, un petit message au personnel de l'hôpital l'Archet II de Nice : si jamais vous voyez, sur une étagère, 30 cm de côlon sigmoïde dans un bocal de formol, c'est peut-être le mien.
Faites-lui mes amitiés, il ne me manque pas.
Je repasse en mode texte pour le mot de la fin.
Cette histoire est une expérience personnelle sans aucun intérêt de valeur générale. C’est un exemple concret de ce que c’est qu’être malade ; de la façon dont cela est traité par notre système de santé ; de ce que ça implique psychologiquement comme rapport à l’hôpital, aux urgences ; du parcours du combattant que cela peut être, même sans barrière financière ; et enfin, donc, de ce que des politiques de réduction des coûts par la dissuasion du recours au soin (ce qui est fait depuis des années si l’on gratte derrière les euphémismes politicards) impliquent en retour.
La santé fait partie des choses avec lesquelles on peut avoir un rapport compliqué : parce qu’elle nous rappelle notre condition d’êtres de chair et de sang, avec ce que ça implique d’angoisses, d’angoisse existentielle parfois, la peur de la maladie, de la souffrance, de la mort. Je me considère comme quelqu’un de cartésien, de logique, de très terre à terre, je n’ai pas spécialement de croyances ou de superstitions. Pourtant, j’ai laissé traîner 10 ans un problème de mal de ventre violent et chronique qui aurait dû m’alarmer bien plus dès le départ. Parce que j’avais sans doute trop peur de ce qu’on me diagnostiquerait.
La vérité, c’est que la part d’irrationalité qui réside en nous face à ce genre d’angoisse est déjà un vecteur de risque suffisant, auquel s’ajoutent déjà d’autres vecteurs de risques : la part de hasard, les concours de circonstance, les risques de tomber sur un Dr Grôkon contre les chances de tomber sur un Dr Sigmoïdator, les possibilités de diagnostique manqué, etc. Tous ces risques sont des risques fondamentalement humains et difficilement évitables. Le risque généré pour des raisons comptables dans la 6e économie mondiale est, quant à lui, inacceptable.
Ce sont ces raisons comptable qui, déjà, ajoutent de nouvelles barrières entre patients, patientes et diagnostiques, soins, etc. De nouveaux facteurs de risque, en somme. Cette réceptionniste des urgences de Nice qui a tenté de me renvoyer plutôt vers mon médecin traitant ne l’a pas fait par méchanceté ou parce qu’elle était incompétente : elle l’a fait parce qu’elle a reçu des directives lui demandant de filtrer, d’empêcher que des idiots de faux malades hypocondriaques viennent engorger les urgences pour de simples maux de ventres. Cette interne, prête à me renvoyer chez moi après un Spasfon qui avait allégé les douleurs, ne l’a pas fait par méchanceté ou parce qu’elle était incompétente : elle l’a fait parce qu’elle doit faire face à une file énorme de patients et qu’elle doit trier, vite, toujours plus vite, les cas qu’elle estime graves et ceux qui peuvent être renvoyés chez eux.
Oui, le chemin sur le délitement complet de notre système de santé est déjà bien entamé : des années que les soignantes et soignants dénoncent la tarification à l’acte, la contraction toujours plus forte des équipes médicales, la diminution du nombre de lits, l’allongement catastrophique des temps d’attente aux urgences (et qui font déjà des victimes clairement identifiée)… avec des salaires gelés depuis des années parce qu’on peut cyniquement faire le calcul que les soignantes et soignants ont trop de conscience professionnelle pour faire mal leur boulot même avec une paie au lance-pierre (alors qu’en principe, camarades précaires, n’oubliez jamais : « salaire minimum = efforts minimums »).
Un type brillant a dit, pendant le premier confinement de la pandémie de COVID19 en France, « ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » et « il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Je ne l’aurais pas mieux dit. Si seulement ce type était au pouvoir, vous imaginez les changements qu’il pourrait mettre en place ?
Mais non, bien sûr, alors on instaure un forfait payant pour les passages aux urgences ne nécessitant pas d’hospitalisation. Une putain de honte. En gros, vous demandez aux patients de parier sur la gravité de leur problème. Pardon : vous le demandez aux pauvres.
Oui, parce que moi, voyez-vous, ça va : le forfait, je peux le payer. De la même manière, la réceptionniste qui m’enguirlande parce que je ne vais pas chez mon médecin traitant, j’ai assez de confiance en moi pour ne pas me laisser envoyer chier, tout comme j’ai assez d’éloquence pour expliquer mon problème à l’interne sceptique et insister pour un scan. Comme d’habitude, ce sont les plus faibles qui morflent, parce que ce sont les plus exposés : les personnes en situation de détresse sociale, celles qui peuvent avoir des difficultés d’élocution, celles qui sont déjà facilement impressionnées faces aux figures d’autorité que peuvent être les médecins, etc. Et, avec des mesures comme l’instauration de mesures de type « forfait payant », les pauvres, donc.
Beaucoup de gens viennent aux urgences pour un simple mal de ventre. Souvent parce que le système de santé a failli en amont (impossibilité d’avoir un rendez-vous rapide avec un médecin traitant, etc.). Peut-être que 99 % d’entre eux n’ont rien – ou rien de sérieux –, mais en dissuadant « la bobologie », comme le dit cet ignoble terme médiatique, vous sacrifierez le pourcent de cas qui auraient effectivement nécessité des soins urgents comme, au hasard, les volvulus du sigmoïdes, ceux qui tournent en nécrose. Parce que, je le répète : nous ne savons pas. Nous ne savons pas ce que nous avons, et c’est bien pour ça que nous nous en remettons au système médical. Je ne connais pas grand monde qui aille perdre quatre heures aux urgences de gaîté de cœur.
« Ils comptent les sous, on comptera les morts » disaient les pancartes lors des manifestations du corps médical. À croire que le pouvoir a cru que c’était un programme, et non une sonnette d’alarme. Combien de morts supplémentaires pour volvulus du sigmoïde parce que les gens auront préféré parier qu’ils n’avaient qu’un mal de ventre bénin ? D’accord, d’accord, je sais, la maladie est rare. Alors combien de morts supplémentaires pour infarctus parce que les gens auront préféré parier que leur douleur à la poitrine n’était qu’une péricardite de rien du tout ? Et je vais avoir la retenu de pas attaquer la gestion au rabais de la crise du COVID19 dans la foutue 6e économie mondiale, on se fâcherait.
Oui, j’insiste sur la 6e économie mondiale, parce qu’au bout d’un moment, si la richesse d’un pays ne sert pas avant tout à assurer une bonne qualité de vie à ses habitants et habitantes (ce qui commence par un système de santé humain), il va falloir sérieusement commencer à être clair sur à quoi (et à qui) elle sert…
🛈 Si vous avez aimé cet article, vous pouvez le retrouver dans le livre Grise Bouille, Tome V.