[GB10ans] 0. Auteur en burnout
Le 30 janvier 2015 ouvrait le blog Grise Bouille. Pour fêter ces 10 ans de blog, un livre best of a été publié, accompagné d'un site-anniversaire et d'une série d'articles spéciaux pour vous raconter les coulisses du blog.
Ce premier article (évidemment numéroté 0) raconte « l'avant », les années Geektionnerd qui ont mené à la création du blog.
Avril 2009 : création du Geektionnerd
J'ai dû raconter cette histoire un paquet de fois déjà… En 2009, je suis en première année d'école d'ingénieurs. Après deux ans de prépa assez intenses, je retrouve pas mal de temps libre. À ce moment-là, ça fait un moment que je n'ai plus dessiné grand-chose : je dessinais énormément enfant, un peu moins ado, et avec la prépa, j'avais quasiment tout arrêté. Mais un camarade de classe me montre un petit blog où il publie des dessins et, inspiré, sur un coup de tête, je ressors une vieille tablette Wacom que j'avais eu en cadeau quand j'étais gamin…
Je gribouille quelques trucs, et très vite, je pars sur l'idée d'un style volontairement minimaliste, dans un esprit « caricature/dessin de presse », et je me lance le défi de faire un article par jour, composé d'une, deux ou trois images. Je me dis qu'avec ce rythme, je vais avoir rapidement un gros volume de dessins et j'imagine donc l'idée d'un dictionnaire, le nombre de mots potentiels à définir étant gigantesque…
Je trouve un nom, je bricole un logo à la va-vite : un geek allongé par terre, un épi de blé dans la bouche, un ordinateur portable sur les genoux. Et je me lance, sans beaucoup plus de réflexion sur la forme et le fond… Tout cela se passe en quelques jours à peine, une semaine tout au plus, et le 11 avril 2009 ouvre le Geektionnerd.
Le format est très vite posé : des petits dessins rapidement gribouillés sur Inkscape, des fonds colorés pour enjoliver le tout, les polices Purisa pour les textes et Domestic Manners pour les dialogues. Une forme qui ne va quasiment plus bouger (je réduirai simplement légèrement la taille des textes après quelques articles par manque de place). D'ailleurs, j'utilise encore aujourd'hui la police Domestic Manners pour les dialogues (en revanche, c'est Lavi qui a remplacé Purisa pour les textes).
2010-2011 : montée en popularité
Le blog se retrouve à plusieurs reprises en première page de Canalblog (hébergeur de blog gratuit sur lequel le Geektionnerd a début), ce qui amène des premières petites vagues de gens. Rapidement, j'ai un petit lectorat qui se forme.
Mes thématiques (Linux VS Windows, logiciel libre, etc.) font que je suis ensuite repéré par Alexis Kauffmann, alors président de Framasoft, et que je commence à publier des articles sur le Framablog une fois par semaine à partir de janvier 2010. Là, c'est une grosse vague de gens qui découvrent le blog (qui en profite pour passer officiellement sous licence libre CC-By-Sa).
En mai 2010, le blog apparaît aussi dans Les Liens Idiots du Dimanche de PC INpact (futur Next INpact puis Next), ce qui apporte une deuxième grosse vague1.
À l'été 2010, je publie en direct le premier tome de GKND, une aventure des personnages du Geektionnerd, au rythme d'une page par jour (what else?). Une série qui se poursuivra au rythme effréné d'un tome tous les 6-8 mois… chaque tome étant publié en Framabook à partir de mai 2011.
À l'été 2011, je fais mes premières RMLL (Rencontres Mondiales du Logiciel Libre) à Strasbourg où j'intègre Framasoft pour de bon. J'y fais une conférence autour de mes dessins dans une salle comble.
Début 2012, j'ai même droit à un petit article dans Écrans, le site de Libération axé numérique.
Bref, pendant ces premières années, j'ai le vent en poupe, je me construis une (petite) notoriété. C'est là que je commets une erreur que je regrette beaucoup : face à cet essor, je… ne fais rien.
Je me laisse vivre. Je me dis que je vais continuer mes petits dessins et que petit à petit, la notoriété va monter, comme ça, sans que je ne me bouge, que ça va être un mouvement naturel. Gros naïf que je suis, du haut de mes 21 ans…
Avec le recul, j'aurais dû justement profiter de cet essor, de ce vent en poupe, pour mettre le paquet, multiplier les contacts, bosser pour améliorer la qualité de l'écriture et des dessins, monter en compétence sur la com, la promo, etc. Je ne l'ai pas fait, et je pense que j'ai payé par la suite…
2012 : stagnation, lassitude et ouvertures
Les mois passent… et rien ne se passe. Plus de nouvelle vague, le lectorat reste plus ou moins le même. Aucun nouvel article de presse ne sort au sujet du blog. Il est installé dans le paysage, surtout le paysage libriste, mais à part ça, plus personne n'en parle. J'ai la sensation d'une perte d'intérêt des gens, avec une diminution notable du nombre de commentaires sur les articles2.
Bref, l'euphorie des premières années est passée, je réalise petit à petit que non, « fortune et gloire3 » ne vont pas me tomber tout cuit sur la table parce que je gribouille une connerie par jour.
À côté de ça, j'ai terminé mon école d'ingénieur et entamé un doctorat en informatique. Même si je suis plus libriste que je jamais, les thématiques et le ton du Geektionnerd, un blog d'étudiant découvrant Linux (en gros), deviennent petit à petit en dissonance avec mon évolution personnelle. J'ai envie de parler d'autre chose, de politique, de musique, de plein d'autres sujets…
En plus, je me sens prisonnier de la forme du blog : avec mon idée de « définition », mon maximum de trois images et très peu de place pour le texte, je me sens de plus en plus à l'étroit. Ce n'est pas un hasard si je m'arrange alors pas mal avec cette forme, en définissant des phrases plutôt que des titres, en faisant des revues d'actu sur le Framablog…
C'est à ce moment-là que je commence à chercher des bouffées d'air à l'extérieur, sous la forme de deux blogs annexes :
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en mai 2012, j'ouvre Le bloc-note de Gee sur l'hébergeur Wordpress.com, un blog textuel où j'en profite pour parler de tout et de rien, sans aucune ligne éditoriale ni aucun format imposé ;
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en juin 2012, je débute Les aventures inutiles de Superflu, ma première BD en couleurs et avec de vrais dessins complets, décors, cases de BD.
Avec le premier, je veux pouvoir dire ce que je veux sans limitation de forme, pondre du texte long, de la réflexion… avec le second, je veux prouver (à mon lectorat mais aussi à moi-même) que j'ai les capacités de produire de la vraie BD, à l'ancienne, un truc joli, bien foutu, soigné. Deux choses que la forme du Geektionnerd m'interdisait.
Sauf que dans le même temps, je continue à publier un article par jour sur le Geektionnerd. Ce qui était un défi fun s'est petit à petit transformé en une simple habitude… et pour finir, en une corvée. Vraiment, j'ai un souvenir très net de me retrouver régulièrement derrière ma tablette, à chercher quel jeu de mot pourri faire ce jour-là, pour qu'il soit lu par aussi peu de personnes qu'avant et oublié dans la foulée… « Mais qu'est-ce que je fous là ? »
Je finis par craquer en septembre 2012 et par arrêter… de faire des articles le week-end. Oui. C'était le maximum de concession dont j'étais capable à ce moment-là. Alors que j'aurais assez clairement dû arrêter complètement, déjà.
Avec le recul, je pense qu'on pourrait parler d'une sorte de « burnout » d'auteur : trop de choses à faire pour des retours beaucoup trop faibles, l'impression de se démener dans le vide. Et comme beaucoup de gens dans ce cas-là, je suis alors dans le déni : le blog stagne certes, mais il a quand même une bonne base de lecteurs et lectrices, une bonne indexation dans les moteurs de recherche… on ne quitte pas tout ça facilement.
2014 : les derniers clous dans le cercueil
Malgré Superflu et le bloc-note, rien à faire, je continue de stagner. L'arrêt des articles le week-end a un peu diminué la charge de travail, mais pas tant que ça. Les mois passent et la corvée Geektionnerd se poursuit, sans aucune évolution. J'arrive sur la fin de ma thèse. Les thématiques et le ton du Geektionnerd ne sont plus du tout alignés avec qui je suis. Je suis en mode automatique, je n'ai plus aucun plaisir à faire ce blog, je continue encore une fois par dépendance, comme on n'ose pas mettre un terme à une relation de couple toxique parce qu'on préfère être mal accompagné que seul.
En janvier 2014, je débute encore un autre projet annexe : le Guide du connard professionnel avec mon camarade Pouhiou. Une autre bouffée d'air frais qui me permet de me concentrer sur les dessins, Pouhiou se chargeant du scénario. En août 2014, je publie ma première nouvelle, La planète éteinte : un grand moment pour moi qui aie toujours rêvé d'être auteur littéraire. Encore une bouffée d'air frais.
Des bouffées d'air frais qui participent aussi à me faire réaliser à quel point je m'épanouis bien plus sur mes projets annexes que sur le Geektionnerd ; à quel point ce qui me rend heureux n'est absolument plus ce pour quoi les gens me connaissent ; à quel point cette situation ne me convient plus du tout.
Pour les 5 ans du blog, j'organise un petit concours : je demande aux gens de m'envoyer des idées de définitions, de scénarios que je mettrai en images. Et là, c'est la douche froide : je ne reçois quasiment rien. Il y en a tellement peu que je n'opère quasiment aucune sélection et je dessine tous les scénarios envoyés.
Pour la petite histoire, j'avais fait le même concours pour les 1 an du blog en 2010… et j'avais reçu beaucoup plus de choses, malgré un lectorat alors a priori plus modeste.
Bref. Non seulement le blog m'ennuie, non seulement je préfère faire d'autres choses… mais même la notoriété supposée du blog m'apparaît alors comme très relative, le nombre de visite étant bien plus dû au nombre conséquent d'articles publiés qu'à un réel engouement d'un lectorat fourni.
J'arrive enfin à la conclusion qui aurait dû s'imposer deux ans plus tôt : il faut que j'arrête et que je passe à autre chose.
En octobre 2014, je saute enfin le pas, je prends la décision, et je l'annonce : le Geektionnerd, c'est bientôt fini. Un dernier tour de piste, et je clôture le blog le 7 novembre 2014, cinq ans et demi après son ouverture, après plus de 1600 articles publiés. Dans un immense soulagement, je dois bien l'avouer.
Pour la première fois depuis mes 20 ans, je n'ai plus à trouver chaque soir une connerie à dessiner, vite faite, vite oubliée. Le livre Geektionnerd alors annoncé ne verra finalement jamais le jour : par la suite, je n'ai plus la moindre motivation à me replonger dans un blog dont je n'aurais finalement apprécié réaliser que la première moitié…
La suite
J'annonce immédiatement qu'un nouveau blog viendra probablement remplacer le Geektionnerd : en effet, malgré ce burnout, je ne suis pas dégoûté de la BD, du dessin ou du blogging… j'ai juste appris quelles erreurs ne pas faire, quelles choses m'épanouissaient et, surtout, lesquelles me déplaisaient.
En coulisse, je travaille déjà activement à ce qui deviendra, quelques mois plus tard, Grise Bouille…
(À suivre…)
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c'était la 273e éditions des LIDD. Impossible de trouver l'article sur le site actuel, d'où le lien vers Web Archive. ↩
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avec le recul, cette diminution des commentaires me semble plus correspondre à un mouvement global où les discussions se sont déportées sur les médias sociaux : le début des années 2010, c'est l'explosion de Twitter en France, notamment. ↩
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dédicace à Indiana Jones, évidemment. ↩