Une Auberge dans la tempête 08
Dans les épisodes précédents : Nathalie et Maryam ont secouru Augustin d’un accident de pont. Celui-ci prétend que l’auberge n’existe pas légalement et s’embrouille avec Jérôme, le vieux pilier de comptoir…
Chapitre 8
— « Si seulement tu savais » ? Et c’est tout ce qu’il a dit ?
— Comme je te dis. Dans un anglais irréprochable. Je n’sais pas pourquoi, mais ça me dit quelque chose. Ça t’évoque quoi, toi ?
Nathalie avait rejoint Maryam dans sa chambre, chambre qui jouxtait la sienne, au deuxième étage. Maryam était assise en tailleur sur son lit. Nathalie, quant à elle, s’était installée dans le fauteuil en cuir bordeaux sur lequel Maryam posait habituellement ses vêtements.
— Franchement, c’est une phrase assez banale. Selon toi, ça ressemblait à des menaces ?
— Non, pas des menaces. Enfin pas vraiment. Je ne sais pas si tu l’as croisé, le loustic… c’est pas le genre effrayant. Il doit faire quarante kilos tout mouillé et il est assez ivre en permanence pour tituber à la moindre brise. Non, ce Jérôme n’a pas la carrure pour être menaçant.
— Mais ?
— Mais j’en sais rien. Il est spé, c’est tout ce que je peux en dire.
— Il n’y a rien de « spé » à vouloir rester discret sur son passé. Il a sans doute de bonnes raisons le faire.
— J’sais bien. Sauf qu’il y a pas que ça. Augustin pense qu’il cache quelque chose.
— Comme quoi ?
— Comme depuis combien de temps il loge ici… et, par ricochet, depuis combien de temps l’auberge existe. J’ai cru comprendre que ça l’obsédait, l’Augustin. Il a l’air persuadé qu’un truc cloche avec cet établissement. C’est peut-être juste lui qui est parano.
— L’un n’empêche pas l’autre…
— Il est en boucle sur son histoire de cadastre. Je reconnais que c’est bizarre, sauf que lui en parle comme s’il avait découvert une civilisation disparue. Alors que c’est juste une auberge bien paumée et peut-être un peu oubliée, pas l’Atlantide…
— Après, un petit gars en costume ajusté et qui s’appelle Augustin, je veux bien croire que le côté rustique le dépayse un peu…
— Oh non, tu vas pas recommencer à faire ta rurale qui déblatère sur les citadins ?
Maryam poussa un petit ricanement.
— Tu dois bien admettre qu’il détone pas mal dans le paysage…
— Moi aussi, si tu vas par là. C’est pas parce que j’ai enfilé un pantalon de rando que j’ai chopé une ascendance paysanne pour autant… En plus t’es mauvaise langue : il a dit qu’il bossait pour le département, il doit donc être du coin.
— Ce serait pas le premier Parisien parachuté en province…
C’était une réflexion qui rappela à Nathalie le ton que Jérôme avait employé lorsqu’il avait prononcé le prénom « Augustin ». Décidément, il y avait quelque chose dans la manière d’être du jeune homme qui crispait les sensibilités de certaines personnes…
Maryam enfonça le clou :
— Franchement, autant de cinéma pour un plan pas à jour… ça te semble pas exagéré ?
Nathalie ne répondit pas. Elle repensait à ce qu’Augustin lui avait dit avant de quitter précipitamment sa table. Son avertissement s’insinuait dans son esprit comme un poison. Restez sur vos gardes. Curieusement, elle eut le sentiment qu’il valait mieux ne rien dire à Maryam. Eh merde, voilà que je deviens parano aussi…
Après tout, la situation était déjà assez complexe à dénouer comme cela. Elle ne voyait pas l’intérêt d’évoquer le fait qu’Augustin gardait certaines informations pour lui : après tout, elle-même n’avait rien appris de plus.
La journée s’était poursuivie sans nouvelle catastrophe ni altercation. Nathalie l’avait principalement passée dans sa chambre où elle en avait profité pour faire une longue sieste : les événements de la matinée l’avaient épuisée. Sans parler du fait qu’une bande de sales gamins l’avaient tirée du lit aux aurores.
Comme s’ils avaient senti que Nathalie pensait à eux, les jeunes Luka et Laura choisirent ce moment pour débouler dans le couloir du deuxième étage avec la même délicatesse que le matin même.
BROLOM-BROLOM-BROLOM !
Maryam sursauta et ouvrit de grands yeux d’un air alarmé.
— C’était quoi ça ?
— Tic et Tac.
— Pardon ?
— Ou Ben et Nuts, selon le surnom que tu préfères. Les deux p’tits merdeux qui m’ont tirée de mon lit pour me déboiter la cheville ce matin. J’arrive toujours pas à croire que t’aies pu ne pas les entendre.
— J’ai le sommeil lourd.
— T’as bien de la veine.
À leur grande surprise, les petits se mirent à tambouriner à la porte. Nathalie lança sarcastiquement :
— T’avais commandé un room service en couches-culottes ?
L’autre haussa les épaules et se leva pour aller ouvrir. Les deux enfants étaient plantés comme des piquets devant la porte de la chambre.
— On chercheuh ton amie ! Une certaine Nathalie !
Maryam ouvrit la bouche pour répondre mais était trop surprise par la chansonnette des enfants pour trouver quoi dire. Nathalie, qui avait entendu, la rejoignit sur le pas de la porte.
— Tiens tiens, qu’est-ce qu’ils me veulent, les deux comiques ?
— Tenez mad’moiselleuh, voici une attelleuh !
La petite fille lui tendit en effet une attelle en très bon état, avec deux petits élastiques pour la maintenir attachée. Nathalie n’aurait pu espérer mieux dans l’hypothèse où elle eût atteint la pharmacie plus tôt dans la journée. Elle en fut tellement stupéfaite qu’elle en oublia tous les surnoms désobligeants dont elle avait prévu d’affubler les gamins. Maryam et elle ressemblaient à deux gros poissons idiots, côte à côte avec la même bouche ouverte et le même air ébahi sur la face.
Comme s’ils avaient deviné la question que les deux femmes se posaient sans arriver à émettre de son, les enfants poursuivirent :
— C’est d’la part du Taulier, qui conseille d’la porter !
Nathalie attrapa l’attelle et finit enfin par retrouver sa voix :
— Euh… bah vous lui direz merci, c’est chic de sa part.
— Dites-lui donc de vive voix ! Il vous attend en bas ! Venez vous j’ter un pot, c’est l’heure de l’apéro !
— Mais il est seize heures trente ! s’exclama Maryam d’un ton scandalisé.
— Cherche pas, quand t’as rien d’autre à glander, l’apéro ça commence tôt. Pi comme ça t’es cuite quand la nuit tombe et tu te réveilles avec les poules. C’est un rythme de vieux, tu peux pas comprendre. On a même six bonnes heures de retard sur Jérôme, point de vue bibine.
Les marmots avaient déjà détalé et Maryam referma la porte.
— Marrants, ces mômes. Ils font toujours… ?
— Nananananéreuh ? Ouais, visiblement. C’est assez impressionnant, cette capacité à faire des rimes et à garder le bon nombre de pieds en permanence… passé le côté horripilant, je veux dire.
Nathalie se rassit. Après avoir enlevé le bandage de fortune qu’elle s’était bricolé avec une écharpe, elle attacha l’attelle à sa cheville. C’était beaucoup mieux. Elle était encore loin de pouvoir marcher normalement, mais au moins elle avait moins la sensation que sa jambe faisait ses valises dès qu’elle posait le pied au sol.
— Manque plus que des béquilles et ce sera presque supportable.
— S’ils ont trouvé une attelle dans leurs réserves, m’étonnerait pas qu’ils aient aussi ça en stock…
— Ouais, ça ou un bâton de berger. Je vais pas chipoter sur la marchandise, de toute façon.
BROLOM-BROLOM-BROLOM !
Les vibrations du plancher indiquaient que les gamins étaient repartis au pas de course dans les couloirs. Une question vint soudain à l’esprit de Nathalie.
— Ils ont pas de parents, ces mômes ?
— J’imagine que si.
— J’ai vu personne dans c’t’auberge. À part toi…
— C’est pas les miens.
— Et Jérôme. Sauf qu’il a deux cents ans.
— C’est peut-être leur grand-père.
— Ils sont blancs comme des culs. Jérôme a la peau noire, et plutôt vachement foncée.
— En deux générations, ça peut changer… Sinon, ils sont peut-être de la famille des proprios.
L’idée avait traversé la tête de Nathalie, mais elle se souvenait assez précisément avoir entendu les enfants dire « M’ame Jocelyne », pas mamie ou tata. C’était même comme cela qu’elle avait appris le nom de son hôtesse…
Maryam renchérit :
— T’as sans doute pas croisé tout le monde non plus…
— Sans doute pas, non…
Maintenant qu’elle y pensait, Nathalie se rendit compte qu’elle ignorait combien de personnes séjournaient à l’auberge. Elle essaya d’estimer le nombre de chambres. Quatre porte étaient desservies par le couloir du deuxième étage. Si elle supposait que le premier étage était similaire et que le Taulier et M’ame Jocelyne logeaient au rez-de-chaussée, ça faisait moins d’une dizaine de chambres en tout. Par conséquent, en supposant aussi qu’elles ne fussent pas toutes vides, il était fort possible que d’autres gens logeassent là. Dont les parents des petits monstres, à n’en pas douter.
— En tout cas, si les parents sont dans le coin, ils se foulent pas la rate sur la supervision…
— Eh bien si jamais tu les croises, tu pourras toujours leur faire part de ton avis sur l’éducation de leur progéniture. En parlant de ça… on retourne au bar ?
— Pour quoi faire ?
— Paraît que c’est l’heure de l’apéro pour les vioques, je pensais que t’étais intéressée.
Nathalie protesta en riant.
— Non mais dis donc, la pisseuse, un peu de respect pour tes aînés !
— Hé ! Je ne fais que te citer !
— J’ai juste dit que c’était l’heure des vieux, pas que j’en faisais partie…
Elle ne put s’empêcher de se joindre aux rires de Maryam.
Malgré ses protestations amusées, elle finit par se lever et sa camarade fit de même. Après tout, les enfants avaient bien sous-entendu qu’elles étaient conviées à boire un verre. C’était le genre de chose qui ne se refusait pas.
Nathalie n’arrivait pas à savoir sur quel pied danser, dans cette auberge, et pas seulement parce que l’un des deux était blessé. Un instant elle nageait en plein malaise, l’instant suivant elle s’y sentait bien ; un instant ses hôtes étaient froids et cachottiers, l’instant d’après ils étaient aimables et prévenants.
Si seulement tu savais… Les mots de Jérôme tournaient et retournaient encore dans sa tête lorsqu’elle quitta la chambre.
Bilan du NaNoWrimo
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Avancement théorique : 27%, soit 13333 mots
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Avancement réel : 30%, soit 14928 mots
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En avance de 1595 mots
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