Une Auberge dans la tempête 27
Dans les épisodes précédents : après son évasion et un duel au fusil avorté, Nathalie trouve la chambre de Maryam vide. Les enfants lui apprennent alors où est cette dernière : au moulin…
Chapitre 27
Quand on se trouve suspendue au deuxième étage d’une auberge-prison, les jambes dans le vide fouettées par la pluie battante, on panique, c’est humain. Lorsque cela fait la deuxième fois dans la même soirée que ce genre de mésaventure vous arrive, la panique fait une petite place à l’agacement. En même temps, cette fois, tu l’as un peu cherché…
La révélation des deux enfants avait laissé Nathalie stupéfaite au milieu du couloir. Quelle était la probabilité que Luka et Laura lui eussent menti effrontément ? Pour une raison qu’elle avait du mal à définir, elle voulait les croire. En admettant que les enfants soient des habitants permanents de l’auberge – et elle était de plus en plus prête à l’imaginer –, il était difficile de se les figurer en « conspirateurs »…
Au moulin, avaient-ils dit. Maryam était au moulin. Là où le mystère avait commencé. Là où Nathalie avait vu, trois jours plus tôt, une étrange lueur bleutée. La première des nombreuses énigmes que l’auberge lui avait posées. Ce simple générateur électrique de secours ne servait-il qu’à dissimuler des plants de cannabis ? Ou cachait-il autre chose ? Une prison pour randonneurs égarés, par exemple ?
Les enfants avaient filé sans demander leur reste, et sans laisser le temps à Nathalie de demander plus de précisions. Elle était sur le point de les poursuivre dans les escaliers lorsqu’elle avait entendu quelqu’un monter. Rapidement, elle était arrivée à la conclusion que ça ne pouvait pas être Babette, qui serait immanquablement redescendue écouter Jérôme une fois son téléphone trouvé. Jérôme qui, bien sûr, continuait son récital au bar. Restaient donc Jocelyne, le Taulier ou Emmanuel. Potentiellement armés d’un fusil à pompe.
Nathalie avait donc décidé de faire ce pour quoi elle avait développé un certain talent : fuir. La chambre de Maryam, toujours ouverte, était juste au-dessus de celle d’Augustin d’où elle s’était évadée un peu plus tôt. En se penchant par la fenêtre, elle avait distingué le matelas qui trempait toujours dans la boue, deux étages plus bas. Eh merde, c’est reparti…
Elle avait lancé tout ce qu’elle avait pu trouver sur le lit de Maryam : coussins, couette, draps, oreillers. Elle n’avait pas eu le temps, cette fois, de passer un quart d’heure à se contorsionner pour y passer le matelas, il avait donc fallu qu’elle se contente de ce rembourrage précaire.
Elle était donc à nouveau accrochée à une fenêtre de l’auberge, et elle n’en menait pas large. La première chute s’était relativement bien terminée, mais elle avait à présent un étage de plus à parcourir. Afin de réduire au maximum la hauteur dont elle allait tomber, elle avait tenté de se laisser glisser le long du tuyau d’évacuation de la gouttière qui longeait la fenêtre de la chambre.
Ce n’est qu’après qu’elle fut descendue d’un petit mètre qu’un grincement lui fit remarquer avec sarcasme que les accroches au mur n’avaient pas été prévues pour soutenir le poids d’une femme adulte. Le tuyau se détacha avec fracas, en emportant des morceaux de plâtre et de pierres avec lui. Nathalie sentit le sol se rapprocher à vitesse grand V. Y’a rien qui veut défiler sous mes yeux cette fois ? Tant pis, alors.
Le matelas amortit sa chute pour la deuxième fois de la soirée, avec le même succès. Un morceau du tuyau, en revanche, mécontent d’avoir été ainsi maltraité, se vengea en rebondissant sur le visage de Nathalie.
BLIIING !
— Aïeuh !
Elle se remit immédiatement debout. Aucune blessure à déplorer au niveau du torse et des membres. En revanche, un filet de sang chaud lui coula sur la joue et elle comprit que le tuyau lui avait ouvert l’arcade sourcilière.
Ne prenant pas le temps de s’apitoyer sur son sort, elle quitta les lieux avant que la personne qui était montée au deuxième n’ait le temps de l’apercevoir en se penchant par la fenêtre. Elle contourna à nouveau la grange attenante à la cuisine, et se baissa pour marcher le long du mur d’entrée de l’auberge sans être vue à travers les fenêtres du bar. Le piano et le chant de Jérôme lui parvenaient étouffés par l’isolation du bâtiment.
Elle ne prit pas le risque de vérifier quelles personnes se trouvaient encore à l’intérieur : un peu plus loin, de l’autre côté de la cour, le moulin se dressait fièrement devant elle. Ses ailes tournaient encore à plein régime, entraînées par les rafales de vent qui faisaient tourbillonner les gouttes de pluie.
Dehors, boitant sur sa cheville endolorie, trempée de pluie et de boue, le visage ensanglanté, Nathalie avait la sensation d’être Bruce Willis à la fin d’un film d’action. Elle se remémora alors sa piètre performance avec le fusil et se dit qu’elle avait très certainement plutôt une piteuse allure… Elle fila vers le moulin en tentant de rester hors des carrés de lumière projetés par les fenêtres du bar. Les gamins n’étaient peut-être pas directement membres du complot, mais il n’y avait aucune raison pour qu’ils n’informent pas les hôtes que Nathalie se rendait au moulin.
Elle ouvrit la porte, toujours déverrouillée, et s’avança dans la pièce du rez-de-chaussée. Le même bric-à-brac qu’elle avait pu observer lors de sa première visite occupait toujours l’espace : des étagères, des appareils électriques, et ces gros câbles sur lesquels on manquait de trébucher à chaque pas.
— Maryam ? Maryam, tu es là ?
Pas de réponse. Un important bruit de fond emplissait la pièce : celui du vent et de la pluie contre les vitres, mêlé aux crissements du mécanisme du moulin et au ronronnement de l’installation électrique. L’étage supérieur étant, a priori, occupé par les plants de cannabis, Nathalie supposa que l’hypothétique prison se situait au sous-sol et descendit donc les escaliers qui y menaient.
— Maryam ?
Elle poussa l’interrupteur sur le côté et découvrit alors une simple cave comme l’auberge semblait en posséder un certain nombre. Il n’y avait là rien d’intéressant : des sacs, sans doute de farine ou peut-être d’autres types de victuailles, et des étagères poussiéreuses, vides. D’une très grosse armoire électrique s’échappaient des dizaines de câbles. Certains semblaient partir sous terre, d’autres montaient aux étages supérieurs.
En y regardant de plus près, Nathalie remarqua, au fond de la pièce, plusieurs cartons et emballages qui jonchaient le sol. Elle s’en approcha et fut surprise d’y lire des marques de matériel informatique : elle n’avait pas souvenir d’avoir vu le moindre ordinateur dans l’auberge. Ou même la moindre trace de technologie, d’ailleurs… Même l’inévitable poste de télévision présent dans n’importe quelle chambre d’hôtel manquait à l’appel. Alors pourquoi, ici, trouvait-elle ces emballages pour des unités centrales, des moniteurs et de choses encore plus sophistiquées comme des onduleurs et circuits de refroidissement ?
En tout cas, Maryam n’est pas là. C’est plus le moment de s’occuper des mystères de cette saleté d’auberge…
Ayant fait chou blanc au sous-sol, il ne lui restait plus que l’étage à fouiller. Peut-être y avait-il plus d’un étage, en l’occurrence, le moulin étant d’une hauteur impressionnante vu de l’extérieur. Elle quitta donc le sous-sol et remonta l’escalier.
Rien n’aurait pu la préparer à ce qu’elle découvrit à l’étage du moulin. Après avoir traversé en hâte le rez-de-chaussée, arrivée en haut, elle se figea soudain. Elle s’était attendue à trouver des pots de terre alignés les uns à côté des autres, le volume entier de l’étage occupé par une forêt de chanvre. C’était un tout autre spectacle qui s’offrait à elle.
Il y avait bien, çà et là, quelques plants de cannabis qui poussaient sous des néons blafards. Cependant, le reste de la pièce était occupé par un appareillage bien plus inquiétant.
Au centre, disposé tout autour de l’axe de rotation, trônaient un réseau d’ordinateurs qui formaient une immense console avec plusieurs écrans, claviers, et leviers de contrôle. Les écrans affichaient des informations que Nathalie ne prit pas la peine de lire, car elle était bien trop préoccupée par l’autre partie de l’appareillage…
Organisés de manière concentrique et faisant tous face à la console, il y avait là une douzaine de lits d’hôpital. Avec horreur, elle remarqua bien vite que la plupart étaient occupés par des patients qui semblaient dormir. Sur le lit le plus proche, Nathalie reconnut…
— Augustin ! Augustin, réveille-toi !
Elle se jeta sur lui en le secouant. Il poussa un grognement. Il est vivant ! Sur son visage, il portait un casque. Le même qui masquait l’homme en fuite, lorsque Maryam et Nathalie étaient tombées dessus l’avant-veille. Avec l’obscurité, et dans le contexte du moment, elle n’avait pas identifié l’appareil, mais elle reconnut cette fois immédiatement qu’il s’agissait d’un casque de réalité virtuelle. Il était solidement attaché.
Des électrodes étaient disposées tout autour du crâne d’Augustin, et le tout était relié par un fatras de fils électriques à la console centrale. Les fameux fils qu’elle avait pris pour une étrange coiffure extraterrestre sur l’homme en fuite… Au bout du lit, un petit écriteau indiquait « Augustin Champenois » avec une liste d’informations : âge, origine, profession, etc.
Nathalie fit le tour de la pièce. Chaque lit occupé était muni du même dispositif : casque de réalité virtuelle, électrodes et informations diverses. Elle mit un temps à le reconnaître, mais elle réalisa que l’homme en fuite était un des « patients ». L’écriteau indiquait « Jean-Pierre Von Klugsman ». Un nom qui lui était maintenant tout à fait familier : c’était celui du tout premier des disparus… piégé ici depuis huit années. Sa femme était à côté. Chaque nom la renvoyait à un des articles de journaux qu’elle avait lus sur le portable d’Augustin…
C’était bel et bien une prison, mais elle s’était trompée sur une chose : ce n’était pas une geôle sombre et insalubre ; c’était plutôt un laboratoire géant où l’on gardait des êtres humains sous une sorte de contrôle cérébral. Elle eut un frisson. Les plants de cannabis étaient un leurre. Les lumières qu’elle avait aperçues lors de l’orage venaient des écrans de contrôle, qui à eux seuls éclairaient la pièce d’une lueur bleutée. Mais alors, pourquoi Maryam…
Comme un écho à ses propres interrogations, une voix retentit soudain derrière elle.
— J’imagine qu’à présent, tu as compris l’essentiel.
Avec le cœur battant à tout rompre, Nathalie se retourna en sachant pertinemment qui elle allait découvrir. Maryam, bien libre de ses mouvements, se tenait là, à demi-dissimulée dans l’ombre, et lui souriait.
Bilan du NaNoWrimo
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Avancement théorique : 90%, soit 45000 mots
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Avancement réel : 102%, soit 50768 mots
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En avance de 5768 mots
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