Une Auberge dans la tempête 26
Dans les épisodes précédents : n’écoutant que son courage, Nathalie s’est évadée en sautant par la fenêtre. Décidée à secourir Maryam avant de fuir, elle retourne vers le bar, cette fois armée d’un fusil…
Chapitre 26
Des notes de piano s’échappaient de la salle du bar. Jérôme était de retour et, d’après les voix que Nathalie entendait, il n’était pas seul. Alors que Jocelyne avait regagné son comptoir, elle s’était tapie dans la cuisine. Cramponnée à son fusil, elle essayait de se faire une idée claire de ses propres intentions. J’entre dans le bar ; je mets quelqu’un en joue ; j’explique calmement que c’est pas le moment de jouer au malin ; je monte jusqu’au deuxième étage pour récupérer Maryam ; on descend et on se casse.
La grande question était : otage ou pas otage ? Si Nathalie montait seule, elle se doutait bien que les hôtes profiteraient de son absence pour lui préparer un petit comité d’accueil, une fois l’effet de surprise estompé. En même temps, son inexpérience au maniement d’une arme n’était rien à côté de sa totale ignorance quant à la gestion d’une personne retenue en otage… Peu importe, j’improviserai…
En prenant son courage et son fusil à deux mains, Nathalie franchit le seuil du bar et analysa rapidement la scène. Jérôme jouait du piano en chantant, son sempiternel verre de whisky posé sur l’instrument, indifférent au reste du monde ; attablés ensemble, Emmanuel et le Taulier étaient plongés dans une discussion animée ; sur le côté, M’ame Jocelyne était accoudée derrière son comptoir, la tête posée nonchalamment sur sa main. Étrangement, pendant une poignée de seconde, personne ne sembla prendre conscience de l’arrivée d’une femme passablement énervée et armée.
Nathalie leva son fusil et le pointa sur la table du Taulier et d’Emmanuel. Elle se sentit légèrement idiote en lançant à la cantonade le premier cliché qui lui vint à l’esprit :
— Haut les mains !
Elle se serait presque attendue à voir les enfants débarquer en renchérissant : « peau de lapin, la maîtresse en maillot de bain ». En temps normal, on aurait sans doute pouffé de sa balourdise, mais on prend toujours au sérieux une personne tenant maladroitement un outil capable de vous arracher la tête en une pression de doigt.
La musique s’arrêta. Nathalie vit Jérôme tourner doucement la tête dans sa direction ; Emmanuel et le Taulier la dévisageaient avec surprise ; M’ame Jocelyne, en revanche, ne perdit pas une seconde. D’un mouvement brusque, elle plongea les deux mains sous le comptoir et en extirpa un autre fusil. Nathalie n’était pas une experte, mais il ressemblait à un fusil à pompe un tantinet plus dangereux que le sien. Par réflexe, elle pointa son propre fusil sur M’ame Jocelyne qui lui rendit la politesse.
Il y eut un silence de mort. Les deux femmes se tenaient debout à trois mètres de distance, chacune dans le viseur de l’autre. À sa grande surprise, Nathalie entendit alors de nouvelles notes émaner du piano. Trois petites notes aiguës qui tournaient en boucle, inquiétantes, diffuses. Rejointes, d’un coup, par une longue note grave plaquée par la main gauche de Jérôme, en octave par le pouce et l’auriculaire.
Nathalie reconnut alors le thème de « Il était une fois dans l’Ouest », d’Ennio Morricone. La vieille rockstar avait un sens de l’humour tout à fait particulier. Sens de l’humour qui ne sembla pas vraiment du goût du Taulier, qui avait pleinement conscience de la gravité de la situation :
— Jérôme…
— La ferme ! coupa Nathalie. Bouclez-la, tous ! Si vous me laissez passer sans faire de geste brusque, tout se passera bien.
M’ame Jocelyne lui lança d’un ton acide :
— Elle parle comme si elle était la seule à tenir un fusil. Elle a l’impression de maîtriser la situation ?
Imperturbable, Jérôme continuait d’interpréter la bande son idéale pour un duel de saloon. Préférant écouter, encore une fois, son courage plutôt que son bon sens, Nathalie esquissa quelques pas en direction des escaliers.
— Et elle va où comme ça ?
C’était sans doute une façon de tromper sa propre peur, mais Nathalie se sentit soudain d’humeur taquine :
— Au deuxième étage : paraît qu’on y donne des cours de langue, vous voulez pas venir ? Ce serait l’occasion d’apprendre les conjugaisons à la deuxième personne. Tiens, d’ailleurs le Taulier pourrait venir aussi ! Il va tomber de sa chaise, en découvrant les pronoms !
Du coin de l’œil, elle vit le Taulier échanger un regard avec Emmanuel. Les perspectives étaient mauvaises pour Nathalie : elle était seule contre quatre, et son fusil avait cessé de lui offrir un avantage dès lors que M’ame Jocelyne avait pointé le sien. Que pouvait-elle donc faire ? Tirer, abattre Jocelyne sans autre forme de procès ? En espérant que celle-ci n’appuie pas sur la gâchette dans un spasme incontrôlé ? Et ensuite, quoi ? Aller chercher la police, après ça ? Ou même, simplement, vivre après ça ? Nathalie n’était pas une tueuse. Un fait qui semblait parfaitement clair pour Jocelyne.
— Elle fait des phrases, la petite maligne, mais est-ce qu’elle a pensé à charger son fusil avant de venir jouer les Chuck Norris ?
Elle mettait le doigt sur un point important : Nathalie étant une parfaite novice, elle n’avait même pas tenté d’ouvrir le fusil pour le charger. Elle avait vaguement espéré que l’arme soit déjà prête à servir ; surtout, elle avait espéré que la menace suffirait et qu’elle n’aurait jamais besoin d’appuyer sur la gâchette.
— Vous tenez vraiment à en avoir le cœur net ?
C’était de l’esbroufe, et Nathalie sentait qu’elle ne trompait personne. Jamais elle ne tirerait. Elle se sentit soudain incroyablement stupide d’avoir tenté ce coup d’éclat. On ne se la joue pas héroïne de film d’action américain lorsqu’on est une petite informaticienne en vacances à la campagne.
Nathalie était sur le point de baisser les bras lorsque des pas se firent entendre dans l’escalier. Jérôme poursuivait sa musique de fond tandis que les quatre autres s’observaient mutuellement, à tour de rôle, paniqués. Il fallait prendre une décision, et vite.
Au moment où Babette passa le seuil du bar, Jocelyne et Nathalie baissèrent leurs armes d’un même mouvement et les dissimulèrent derrière le comptoir. La journaliste lança d’un ton jovial :
— Bonsoir tout le monde ! Eh bien, c’est ambiance western, ici ?
Jocelyne et Nathalie se jetèrent un regard en coin sans répondre. L’accord tacite était clair : Babette était en dehors de tout ça. Nathalie aurait pu l’avertir, mais elle l’aurait alors condamnée à être elle aussi une proie des hôtes ; Jocelyne aurait pu tomber les masques, mais elle ne voulait sans doute pas avoir à gérer une deuxième prisonnière… voire un troisième, en comptant Maryam.
Babette vint s’asseoir à la table à côté de celle du Taulier et d’Emmanuel. Devant l’absence totale de réponse à ses salutations, elle poursuivit :
— Ou alors c’est carrément l’ambiance lourdingue ? Qu’est-ce qui se passe, quelqu’un est mort ? Pourquoi Jimmie nous joue une marche funèbre ?
— S’appelle Jérôme, maintenant, grommela le Taulier. En plus, la musique, pas une marche…
Babette le coupa en riant :
— Bien sûr que je connais « L’Homme à l’harmonica », je suis journaliste musicale, je vous le rappelle ! C’est thématique, c’est ça ? Western spaghetti, c’est un rapport avec le menu du soir ?
Jocelyne, toujours sur le qui-vive, hésita un instant. C’était en effet l’heure du dîner. Elle finit par dire, calmement :
— Ouais, c’est spaghetti ce soir. Elle en veut ?
— C’est pas de refus !
Avec un dernier regard en coin lancé à Nathalie, Jocelyne posa doucement son arme contre le comptoir et se dirigea vers la cuisine. Arrivée à son niveau, elle empoigna le fusil que Nathalie tenait toujours à l’abri des regards. Celle-ci ne lâcha pas l’arme et, pendant un temps, les deux femmes se fixèrent, leurs visages à quelques centimètres l’un de l’autre. Puis, après quelques secondes de ce duel de regard, Nathalie desserra son emprise et Jocelyne disparut dans la cuisine en emportant son fusil.
Jérôme avait recommencé à chanter ses compositions et Nathalie, l’air de rien, vint s’asseoir à la table de Babette. Le repas se déroula comme si rien ne s’était passé, chaque convive jouant son rôle à la perfection. Nathalie mangea son plat de pâtes sans plaisir, sachant pertinemment qu’il existait un risque non-négligeable que Jocelyne y eût versé quelque chose : poison, somnifère ou drogue… Ou un simple crachat pour m’apprendre à la menacer…
De toute manière, elle n’avait pas le choix si elle ne voulait pas attirer la suspicion de Babette. Celle-ci passa le repas à chanter les louanges de Jimmie Leaf, comme d’habitude. Nathalie n’apprit rien de renversant, les anecdotes concernant surtout les frasques sex, drugs and rock’n’roll du musicien.
Au moment du dessert, en reconnaissant une nouvelle chanson, Babette s’écria :
— Oh, elle est géniaaaale, celle-là ! Attendez, je vais chercher mon portable, il faut absolument que je l’enregistre !
Saisissant l’occasion, Nathalie lança :
— Attendez, je monte avec vous ! Je dois aussi aller chercher quelque chose.
Elle s’engouffra sur les talons de Babette, dans la cage d’escalier, en lançant un regard de défi aux autres convives qui la regardèrent partir sans rien dire. Coller au train de Babette était son assurance-vie, car elle savait qu’ils n’oseraient rien tenter devant elle. Au premier étage, la journaliste lui dit :
— J’arrive, ma chambre est tout au fond.
— La mienne est au deuxième, je monte.
Il n’y avait plus de temps à perdre, à présent. Ça n’était sans doute qu’une question de minutes avant que les conspirateurs au rez-de-chaussée ne trouvent une façon de la neutraliser à nouveau. Elle courut vers la chambre de Maryam et y tambourina :
— Maryam ! Maryam ! Tu es là-dedans ? Tu m’entends !
Aucune réponse. Nathalie posa l’oreille contre le battant. Il n’y avait pas le moindre bruit. En posant la main sur la poignée, elle se rendit compte que la porte n’était pas verrouillée. Elle l’ouvrit et vit que la lumière était éteinte. Elle poussa l’interrupteur : comme elle s’y était attendue, la pièce était vide.
Elle réfléchit un instant. Elle-même n’avait pas été enfermée dans sa propre chambre mais dans celle d’Augustin. Évidemment, ce fut sans doute par un concours de circonstances puisque c’était là qu’elle avait discuté avec Emmanuel. Se pouvait-il que Maryam soit retenue ailleurs ? Peu importe, si je dois défoncer chaque porte de cette putain d’auberge pour la trouver, je le ferai !
Alors qu’elle allait fouiller la chambre où elle avait passé ses premières nuits, elle sursauta en apercevant les enfants, Laura et Luka, au bout du couloir. Contrairement à leurs habitudes, ils s’étaient approchés sans faire le moindre bruit. Avant même qu’elle ne pose la question, ils répondirent en chantonnant :
— Vous cherchez votre amie, mais elle n’est pas ici ! Depuis le p’tit matin, Maryam est au moulin !
Bilan du NaNoWrimo
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Avancement théorique : 87%, soit 43333 mots
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Avancement réel : 98%, soit 48930 mots
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En avance de 5597 mots
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