Le retour du geignard

Publié le 4 juillet 2016 par Gee dans La plume
Inclus dans le livre L'Enfant sans bouche

Couverture

Introduction

Neuvième nouvelle du « Projet 10 nouvelles ». Et cette fois, comme vous l’aurez compris en voyant la couverture, on passe dans le récit humoristique ! Cette nouvelle, tout comme Le grimoire de l’éternité, a été écrite avec certaines contraintes. Sauf que cette fois-ci, les contraintes n’ont pas été tirées au sorts mais votées par les lecteurs ! Rendez-vous en fin d’article pour découvrir les résultats complets du vote (même si certains résultats seront bien entendu évidents).

Bonne lecture et on se retrouve au Ray’s Day pour la conclusion de ce Projet 10 nouvelles 🙂

1. Le retour de la revanche

En arrivant chez moi, je vis un korrigan faire le poirier sur mon canapé. Et tout de suite, je sus que la soirée s’annonçait moyennement sympathique. Il faut dire que le reste de la journée n’avait été à proprement parler très folichonne. Déjà, parce que la lévitautoroute S8 était complètement bouchée et que j’avais mis 50 minutes à faire un trajet qui en demande normalement 15 ; ensuite, parce qu’arrivée au Sénat Galactique, j’avais appris que ce corniaud de Grand Chambellan avait déposé une proposition de loi sur la taxation des chocopains et que les chocopains, moi, j’adore ça.

Mais alors là, c’était le pompon. Trois mille ans de voyages interstellaires, une science qui dépasse la fiction, une galaxie colonisée, l’humanité à son apogée… tout cela pour qu’un sale petit diablotin – terrien, qui plus est ! – s’introduise dans mon appartement. Je connaissais deux trois personnes au Laboratoire Galactique de Zététique qui en seraient restées sur le cul…

Vous allez me dire, « mais Amanda, comment pouvais-tu donc savoir qu’il s’agissait d’un korrigan alors qu’a priori, un korrigan, tu n’en avais jamais vu puisque ça n’existe pas ? » Alors pour commencer, je me félicite d’avoir une culture suffisamment développée pour reconnaître un korrigan, quand bien même n’existe-t-il pas. Et il y avait tout de même de gros indices : la créature était trapue, avait de grandes oreilles pointues, la peau verte et une grande barbe blanche. Ah oui, et elle mangeait un kouign-amann. S’il n’y avait pas là tous les signes indiquant « attention, diablotin breton », je ne sais pas ce qu’il vous faut.

Bref. Lorsque j’entrai dans la pièce, le petit être cessa immédiatement son manège et me regarda intensément. Il me parla d’une voix nasillarde et assez peu agréable à l’oreille :

— Sénatrice Kerlaxigne ?

— Juste Laxigne. Amanda Laxigne. Je peux vous demandez ce que vous faites chez moi ?

Je ne savais pas trop ce qui me poussait à rester aussi polie alors que j’aurais été en droit de le foutre dehors à grand coup de pieds dans le train. Ma prestance légendaire, sans doute.

— Je suis ici pour vous tuer, chère madame. Alors si ça ne vous dérange pas qu’on s’y mette, parce que je n’ai pas toute la kerjournée devant moi.

— Dites, j’suis pas à votre disposition, mon petit. Vous permettez deux secondes que je me pose avant de m’embêter avec vos petits problèmes ? J’ai eu une grosse journée.

Sous cet air faussement détaché, j’étais bien sûr tout à fait alerte. En tant que sénatrice, on tente de m’assassiner à peu près une fois par semaine, je ne m’inquiétais donc pas plus que cela : je savais gérer ce genre de situation. D’autant plus que des assassins stupides, j’en avais déjà rencontré deux ou trois, mais que celui-ci m’avait l’air particulièrement gratiné.

— J’suis désolé, m’dame, me dit-il en mâchouillant son kouign-amann – et en salopant le plaid de mon canapé au passage, le petit malotru. C’est que c’est pas simple de trouver un kerboulot qui paie bien de nos jours. Du coup, un assassinat de politicienne, vous pensez, j’ai sauté sur l’occasion. Alors j’suis un peu kerpressé mais faut pas m’en vouloir, m’dame.

— Y’a pas de mal, lui dis-je en posant mes affaires et en réfléchissant à un moyen de me débarrasser de lui. Mais vous savez, le relationnel, c’est important dans votre branche. Surtout si vous faites dans l’assassinat de luxe, vous ne voudriez pas que vos victimes aient pour dernier souvenir celui d’un rustre ?

— Bien sûr, m’dame, bien sûr, fit-il d’un air de plus en plus désolé en s’asseyant sur le canapé. En plus je laisse des kertraces sur votre mobilier…

— Mais oui ! Et mon homme de ménage alors ? Vous y pensez ? Et d’abord, comment comptez-vous vous acquitter de votre tâche ? Pas d’une manière salissante, j’espère ! Un peu de pitié pour lui !

— Un tout petit coup de marteau sur l’arrière de la tête, me répondit-il en me faisant des yeux de glumungf battu.

— Ah bah voilà ! Vous imaginez la scène ? Du sang partout ? Et qui va nettoyer, hein ?

Le korrigan fondit en larmes devant moi et se prit le visage dans les mains. Bien bien bien. J’allais peut-être réussir à m’en débarrasser par la ruse, mais je continuais à réfléchir à un plan B.

— Je n’suis qu’un raté, gémit-il en pleurant à chaudes larmes. Je vais encore me retrouver au kerchômage ! Ah, kerchienne de vie !

— Mais non mais non… ne soyez pas défaitiste. J’essayais juste de vous aider à vous améliorer. C’était une évaluation purement professionnelle, je ne voulais pas que vous le preniez comme une attaque.

J’ouvris le frigo pour me servir un verre d’eau. C’était plié, j’avais détruit la volonté du petit salopard et il ne me restait plus qu’à trouver un moyen de le mettre à la porte.

— C’est vrai ? dit-il en se mouchant bruyamment. Vous voulez m’aider ? Vous voulez bien que je vous tue alors ? Si je nettoie après, votre kerhomme de ménage ne sera pas incommodé, non ?

Et merde. J’avais bien préparé la partie mais j’avais encore une fois trop parlé. Classique. Mon côté politicienne. Tellement habituée à enfumer la galaxie entière avec des formules tarabiscotées que j’avais fini par me piéger toute seule. J’allais devoir passer à la vitesse supérieure. Et là, sous mes yeux, enveloppé dans du cellophane et sagement entreposé dans le frigo, mon plan B se révéla à moi.

— Mmmh, je suppose que c’est une proposition raisonnable, dis-je en refrénant un rire diabolique. Mais avant toute chose, je ne voudrais pas manquer à mes devoirs d’hôte. Puis-je vous offrir quelque chose à boire ou à manger avant que vous ne répandiez mon cerveau sur le sol ?

Le petit korrigan sécha ses larmes et sourit en se levant du canapé. Il allait se jeter droit dans mon piège et je jubilais intérieurement.

— Regardez cela, dis-je d’un air innocent, j’ai justement un reste de crêpes que j’ai cuisinées hier…

— Des crêpes ? glapit-il dans une sorte de soudaine hystérie. Oh oui, oh oui ! J’en veux !

Et en beaucoup de moins de temps qu’il ne m’en avait fallu pour les préparer, le bougre lança son kouign-amann à terre, se jeta sur le plat et dévora une crêpe sous mes yeux ravis. Lorsqu’il se rendit compte que quelque chose n’allait pas, il était déjà trop tard.

— Mais qu’est-ce que… vous n’avez pas mis de… non ! Nooon ! Aaaarrrghhh…

Il se tordit de douleur, poussa quelques gémissements confus et s’écroula sur le sol, mort. J’étais très fière de moi. J’étais certaine qu’un korrigan ne pourrait survivre à des crêpes cuisinées avec de l’huile d’olive à la place du beurre. J’avais un peu honte, mais c’était de bonne guerre. Après tout, ce n’était pas moi qui avait commencé à vouloir occire l’autre.

J’appelai mon escl… pardon, ma dame de compagnie, et lui demandai de nettoyer ce bazar fissa. Une créature imaginaire décédée d’indigestion au milieu du salon, ça faisait désordre.

— Mon Dieu madame, me dit-elle d’un air faussement éploré. Ces assassinat ne cesseront-ils jamais ?

— Ah bah si, répondis-je à cette godiche. Si ! J’suis désolée mais si ! Lorsqu’ils auront réussi, logiquement, ça devrait se calmer ! Je ne sais pas si vous êtes familière avec le concept de la mort ?

— Madame, je vous en prie ! (Mais qu’elle m’énervait avec ses airs de vierge effarouchée…) Vous ne devriez pas plaisanter avec ça !

— Relax ma grande… s’ils en sont réduits à aller fouiller du côté des créatures mythologiques régionales de la veille planète Terre, j’ai quand même des chances de mourir de vieillesse avant qu’ils ne trouvent un assassin correct. Et puis on n’va pas se laisser abattre, comme disait Kennedy.

— Madame, j’ai peur pour vous, renchérit-elle avec un ton qui m’aurait fait chialer si je l’avais trouvé crédible. Je vous en prie, prenez au moins un garde du corps !

— Oh non mais ça va… en plus si c’est pour que je me fade un péquenot aussi branque que la moyenne de mes assassins, avec la chance que j’ai, je ne suis pas certaine d’y gagner au change.

— Mais…

— Y’a pas d’mais ! J’m’en sors bien toute seule et j’ai autre chose à faire que de promener un toutou partout. Alors c’est non, merci de ta sollicitude, mais c’est non.

Elle quitta la pièce vexée. Non mais sans blague. Il allait donc falloir que je me justifie auprès de mes domestiques à présent ? Je me décapsulai une bière et je m’affaissai enfin dans mon canapé. « Bière de garde du Nord. » Alors quand ils disent « le Nord », faut savoir qu’ils ne parlent pas du nord de la galaxie vu qu’il faudrait déjà définir où on le placerait. Non, ils parlent encore une fois du Nord d’un des innombrables pays de cette foutue planète Terre. Comme si cela avait encore du sens au moment où l’humanité avait colonisé des milliers d’autres planètes. Bouarf. Un assassin breton et une bière chti à 12 années lumières de la Terre. Quand j’pense que certains avaient peur pour la perte de leurs identités déjà à l’époque où on se marchait sur les pieds sur une planète unique… enfin.

J’allumai mon poste de télévision. Quand je dis « télévision », je veux bien sûr parler de sensodorareliefotélévision, mais j’abrège. J’ai toujours du mal à comprendre ce que cela apporte de voir des images en relief, de sentir le chaud, le froid, le vent et tout ce qui peut se passer dans les scènes que l’on regarde… sans parler des odeurs. Ça, l’odorama, je ne m’y suis jamais faite : la dernière fois, je suis tombée sur un reportage sur les éléphants de Proxima du Centaur. Grosse erreur. Même en aérant, mon appart a continué à schlinguer le pachyderme pendant trois jours.

Bon, heureusement, à ce moment de la soirée, je tombai sur un simple talk show. À part être étouffée par les odeurs de parfums de luxe, de poudre à maquiller et d’hypocrisie napée d’after shave, je ne risquais donc pas grand chose.

Et bien sûr, je n’avais pas eu le temps de siroter un quart de ma bière terrienne quand mon foutu téléphone se mit à sonner (je vous passe le nom complet et les fonctionnalités délirantes de cet objet). Je baissai le son de ma télé en poussant un juron et décrochai. Un hologramme s’éleva de l’appareil et, après quelques hésitations grésillantes, se modela en un visage connu. Le Grand Chambellan. Ah bah v’là autre chose. Quand le big boss galactique t’appelle en dehors des heures de bureaux, c’est quitte ou double : ou tu es un héros, ou tu as fait une énorme connerie.

— Sénatrice Laxigne, l’heure est grave, m’annonça-t-il d’un ton apparemment aussi grave que l’heure en question.

Et merde. Qu’est-ce que j’avais donc pu faire comme bêtise ?

— Mes respects, Grand Chambellan, dis-je en attendant l’engueulade.

— Ma chère sénatrice, ce nouvel attentat contre votre vie m’inquiète énormément.

— Aaaaah, m’exclamai-je rassurée.

Devant le visage dubitatif de l’holographique Grand Chambellan, j’ajoutai :

— Il n’y a pas de raison, Grand Chambellan : plus de peur que de mal. L’individu était à la limite de l’incompétence, je l’ai facilement maîtrisé. Mais au fait… comment êtes-vous déjà au courant de cette affaire ?

Il prit un air affecté :

— Un Grand Chambellan doit pouvoir se targuer de tout savoir sur ce qui se passe dans…

— C’est ma suivante qui vous appelé ?

— C’est votre suivante qui m’a appelé.

Ah la petite vicelarde. Appeler mon patron derrière mon dos. Je me promis de la lourder prochainement alors que le Grand Chambellan poursuivait :

— Dans le contexte actuel, il me semble tout indiqué et même nécessaire de vous mettre sous protection permanente. Je vous en prie, Madame, faites le pour moi. L’idée de vous perdre m’est insupportable.

Il avait mis tellement d’emphase sur ces dernières phrases que je manquai de dégobiller d’ennui. On aurait dit un CM2 qui essaierait maladroitement d’être lyrique. Beurk.

— Ah mais vous n’allez pas vous y mettre vous aussi ! C’est quand même une manie de vouloir me coller un inconnu aux basques pour…

— Justement, sénatrice, justement ! ajouta-t-il précipitamment. Je ne pensais pas faire appel à un inconnu mais plutôt à quelqu’un de votre connaissance. Un vieil ami. Le jeune Mathéo.

Sur le moment, je ne compris pas. Déjà parce que je n’avais pas souvenir d’avoir des gardes du corps parmi mes amis – j’étais sénatrice, pas éduc spé… mais en plus, je ne connaissais aucun Mathéo. Aucun Mathéo… à moins que… non !

— Le jeune Mathéo ?! Attendez, mais vous parlez du petit chiard que je baby-sittai pendant mes études de droit ?

— Lui-même, sénatrice.

— Non mais vous déconnez à plein tube, Grand Chambellan ! La dernière fois que je l’ai vu, il jouait à mettre le feu à ses crottes de nez !

— Il ne fait plus cela maintenant.

— Mais vous êtes sérieux, bon sang ! Vraiment ! Il doit avoir quoi… 18 piges aujourd’hui ? J’espère au moins qu’il a pris du muscle, le môme, parce que lorsqu’il était petit, c’était impossible de lui mettre une baffe : rien que le souffle suffisait à le faire s’envoler. Je sais de quoi je parle.

— Il a beaucoup grandi, m’a-t-on dit.

— Ah ! Tu parles, Charles ! Non mais qu’est-ce que c’est que cette lubie, là, « le jeune Mathéo »… attendez… il est pistonné, c’est ça ? C’est le neveu d’un pote à vous ? Ou alors c’est un de vos hauts fonctionnaires qui veut caser son cousin débile ? Et vous me le collez dans les pattes ?

— Mais pas du tout, pas du tout ! s’exclama-t-il indigné. Il fait partie de l’équipe de sécurité de Mark Renton. C’est lui qui l’a recommandé pour vous. Vous connaissez Mark Renton, non ?

— Mark Renton ? Ce grand con de diplomate écossais ? Encore un qui n’a pas compris qu’on avait quitté la Terre depuis trois millénaires. Bien sûr que je le connais. Il nous avait filé un bon coup de main pendant la Grande Révolte des Boulangers Toulousains il y a dix ans.

— Eh bien alors ? C’est un ami ! De quoi vous plaignez-vous ?

— Eh bah oui, quoi ! fis-je rageusement. Il nous a aidé ! Et alors ? Ça le rend expert en protection rapprochée ? Non ! Un con qui aide, ça reste un con ! La direction assistée sur ma navette spatiale, elle m’aide aussi, mais j’irais pas lui demander des conseils sur la déco de mon appart, voyez-vous.

— Si on pouvait arrêter les punchlines cinq minutes… de toute façon je vous rappelle que je n’ai pas besoin de votre approbation. Si je vous dis de prendre un garde du corps, vous prenez un garde du corps et basta. Qu’est-ce que c’est que cette rébellion, sénatrice ?

— Grand Chambellan, avec tout le respect que je dois à votre haut rang et au prestige qui y est associé… VOUS M’EMMERDEZ !

Et je raccrochai rageusement le téléphone. L’hologramme fondit en un petit amas de pixels qui ne me laissa pas le temps d’admirer le rictus désapprobateur du Grand Chambellan. Il avait raison, le fumier. Il pouvait me forcer à me traîner un garde du corps, une sangsue, un Mathéo, un orchidoclaste de première, et je ne pouvais rien dire. Les bouchons, la taxation des chocopains, le korrigan et maintenant ça ! Merci la journée !

2. L’attaque contre-attaque

— « Bonjour, vous vendez des tartes aux concombres ? » qu’il dit ! Et là l’autre type tout content lui répond : « aaaah, oui ! Aujourd’hui, j’en ai ! »

Je regardai la scène sur les écrans de contrôle. Le petit Mathéo – qui était devenu beaucoup moins petit, je le concède – était dans l’ascenseur qui mener à mon appartement. Ascenseur que j’avais bien sûr pris soin de mettre sous écoute. Il était accompagné du fameux Mark Renton auquel il était en train de raconter une blague particulièrement navrante. Le pire dans tout cela étant probablement l’état d’hilarité de Mathéo, état provoqué par sa propre narration de la susdite blague.

— Et là, et là… – le pauvre n’arrivait plus à articuler entre deux rires – le mongolien lui répond : « haaan, c’est pas bon, hein ? »

Et il laissa enfin éclater un rire gras. Renton renifla de manière hautaine. La fine équipe que l’on m’envoyait là… Je soupirai devant l’air satisfait du Grand Chambellan qui se tenait à mes côtés.

— Vous vous rendez compte de ce que je vais devoir endurer ?

— Allons, chère sénatrice, les gardes du corps en politique, c’est comme le peuple : on sait qu’ils sont idiots, on serait sans doute mieux sans eux mais on ne peut pas faire sans…

Nous sortîmes de la salle de contrôle pour aller à la rencontre de mon désopilant garde du corps et de son mentor. J’étais déjà fatiguée alors que cette journée venait juste de commencer. Lorsque Mark Renton nous aperçut, il nous adressa un sourire et se dirigea vers nous promptement.

— Grand Chambellan ! Sénatrice Laxigne ! C’est un plaisir de vous revoir ! Ça fait si longtemps !

— Monsieur Renton, s’inclina le Grand Chambellan.

— Mark, heureuse de vous revoir aussi, mentis-je effrontément.

— Dix ans, poursuivit celui-ci comme si j’avais donné l’impression de vouloir me lancer dans une petite conversation de retrouvailles. Eh béh, ça fait un bail hein ! Souvent, j’me dis, « mon vieux Mark, ça fait longtemps que t’as pas vu Amanda, tu devrais l’appeler pour aller boire un canon ». Et puis le boulot, la famille, tout ça… vous savez ce que c’est, j’oublie et puis j’y pense jamais au bon moment. Enfin du coup voilà, là c’était l’occasion alors vous pensez si j’allais en profiter ! Dix ans, la vache ! Et vous n’avez pas pris une ride !

— Merci ! Votre protégé, par contre, il a poussé ! (J’essayais subtilement de dévier la conversation pour éviter qu’elle ne dure trois plombes.) Boooonjooouuur Maathééooooo ! Alors alors ? On a bien grandi, dis-donc ? On est un grand garçon maintenant ? Mais oui mais oui ?

D’accord, c’était vache de le brocarder comme ça. Mais je lui avais torché le cul, moi, à ce petit prétentieux qui prétendait assurer ma protection. Alors j’avais quand même bien le droit de me marrer un peu… Le pire, c’est qu’il n’avait même pas l’air de saisir l’ironie de mes propos.

— Vous par contre, vous êtes toujours aussi belle, répondit-il. Vous ne devriez pas être sénatrice de la galaxie mais reine des étoiles car vous en avez l’éclat dans vos yeux.

J’avoue que je ne m’étais pas attendue à cela. Je vis Mark lever les yeux aux ciel en secouant légèrement la tête. Devant mon air interrogateur, il soupira en disant :

— Oui bon par contre, vous ferez pas attention, des fois il essaie de faire des phrases comme ça. On pige pas toujours tout mais au bout d’un moment on s’habitue. C’est sa phase émo-hipster, si vous voulez. Paraît que ça passe avec le temps. Pour tout vous dire, le plus tôt sera le mieux, parce que moi, ça commence déjà à doucement me les briser.

— Pourquoi vous dites ça ? s’exclama Mathéo en lui jetant un regard noir. Vous faites rien qu’à me rabaisser ! Vous êtes méchant ! JE VOUS DÉTESTE !

Il avait crié ces derniers mots et sa voix avait quelque peu déraillé dans les aigus. Puis, sans prévenir, il quitta la pièce en faisant de grandes enjambés et alla s’enfermer dans les toilettes.

— Ah bah voilà ! se lamenta Renton d’un air dépité. Il boude, maintenant ! Ah les mômes, de nos jours, j’vous jure ! On peut plus rien leur dire.

— C’est-à-dire qu’on devait quand même lui expliquer la mission, soupira le Grand Chambellan. Alors je sais, ce n’est pas bien compliqué, mais quand même.

— Ah non mais je sais, dit Renton. C’est pas pro ! C’est pas pro du tout, ça ! J’arrête pas de lui dire. Mais monsieur a la folie des grandeurs. Je crois qu’il se prend pour un héros de série B, un chevalier rose à l’eau de blanc… ou le contraire.

Le Grand Chambellan se tourna vers moi.

— Je commence à me demander si vous n’aviez pas raison, sénatrice. Ce Mathéo n’était peut-être pas l’homme de la situation.

— Sans blague ?

— Non mais après, poursuivit Renton, faut pas vous inquiéter. Je l’ai briefé, pour la surveillance, la protection, tout ça. Il est un peu borné mais il est plein de bonne volonté.

— Oh, alors tout va bien, dis-je d’un ton acide. S’il est plein de bonne volonté… Il faudra juste espérer qu’il ne boude pas la prochaine fois que je me fais attaquer.

— Mais oui, s’excusa encore Renton. Je sais bien, je sais bien… c’est pas pro. C’est pas… et je lui dis, hein ! Mais il a la tête dure, le môme ! Et puis susceptible, pfff. J’vous dis pas.

— Oui, eh bien pendant que monsieur fait sa crise d’adolescence, on pourrait peut-être discuter de la mission, justement ? Qu’est-ce que vous avez prévu pour ma protection ?

— Eh bien, fit Renton, en plus de Mathéo qui vous collera au train toute la journée – QUAND IL AURA FINI DE FAIRE DU BOUDIN, HEIN MATHÉO ? –, pardon… Je disais donc : pour la nuit, comme on ne peut décemment pas vous imposer sa présence…

— Je trouve déjà assez gonflé de me l’imposer la journée…

— Pour la nuit, nous allons faire installer un système de vidéo-plénitude dans votre chambre.

— De vidéo-plé… attendez mais… DE QUOI ?

— Ça, j’me doutais que ça n’allait pas passer, dit le Grand Chambellan en agitant la tête négativement.

— De la vidéo-surveillance dans ma chambre ?!

— On dit vidéo-plénitude.

— Oh, gardez votre novlangue pour vos discours au peuple, Grand Chambellan ! À partir du moment où on branche une caméra et où il y a un mec qui regarde derrière, moi j’appelle ça de la surveillance ! Et qui est-ce qui va me reluquer pendant que je dors ? Mathéo aussi, j’imagine ? C’est bien, ça va lui faire gigoter les hormones de se rincer l’œil !

— C’est pas son genre, dit Renton.

— Vous déconnez ? Tout à l’heure, quand il m’a sorti sa tirade pourrie, j’ai bien cru que j’allais finir à poil juste par la force de son regard.

— De toute façon, il ne va pas vous regarder toute la nuit. À un moment, il va bien falloir qu’il dorme aussi.

— Mais c’est encore pire ! À quoi bon mettre une caméra si c’est pour que personne ne surveille en direct ! Si un assassin se pointe au milieu de la nuit, ça va lui faire une belle guibole d’être filmé ! Si personne n’est prévenu immédiatement…

— C’est dissuasif ! Le type entre, il voit la caméra, et paf ! Il se sait identifiable ! Résultat : il renonce à vous tuer !

— Super. Et s’il porte une cagoule ?

— Là j’avoue, dit le Grand Chambellan, c’est la faille du dispositif.

— Et sinon, faire dormir Mathéo sur un lit calé devant la porte de ma chambre, ça ne réglerait pas la question ? Comme ça il pourra dormir et un assassin sera obligé de le réveiller pour entrer.

— Ou alors de le tuer en premier, fit remarquer Renton.

— Sans vouloir paraître insensible, je pense que je m’en remettrai.

— BON, dit soudainement de le Grand Chambellan d’une voix forte qui nous fit sursauter, Renton et moi. On ne va peut-être pas épiloguer 107 ans. Si ça vous va, moi ça me semble acceptable. Monsieur Renton ? Un lit devant la porte ? Pas d’objection ?

— Moi non, répondit-il, par contre j’en connais un autre qui pourrait avoir une objection.

— Mathéo ? dis-je. Il aura tout le loisir de me mâter par le trou de la serrure, le petit pervers, ça devrait lui suffire. Et puis il est juste garde du corps, hein. Moi, je suis sénatrice. Au bout d’un moment il va bien falloir qu’il fasse ce que je lui dis sans trop l’ouvrir, hein.

Le Grand Chambellan et Renton réussirent à convaincre Mathéo d’arrêter de bouder et nous passâmes le reste de la journée à définir les modalités de la protection. Je vis la déception passer sur le visage de Mathéo lorsqu’on lui annonça l’absence de caméra dans ma chambre et son obligation de dormir dans le couloir devant ma porte.

Après un dîner copieux, le Grand Chambellan et Renton prirent congé.

— Eh bien Mathéo, bon courage, dit le Grand Chambellan.

En passant me serrer la main, il me glissa à l’oreille, goguenard :

— Et bon courage à vous aussi, sénatrice, vous allez en avoir besoin.

— À bientôt, Mathéo, dit Mark Renton en lui passant la main sur l’épaule. Protège la sénatrice coûte que coûte. Et surtout ne te sépare jamais de ton Épée Vectorielle à Impulsion Lumineuse. C’est ton Épée qui te gardera en vie.

— Je ferai de mon mieux, maître, dit celui-ci.

Renton pouffa un peu.

— « Maître » ? Détends-toi un peu, mon grand. (Il arrêta net ses moqueries en voyant la vexation pointer de nouveau chez Mathéo). Amanda, à bientôt ! On garde le contact, hein ? Allez, je m’arrache, bonne soirée les aminches.

Je me retrouvai seule avec Mathéo mais, comme je n’avais pas spécialement l’intention de tailler le bout de gras, je me retirai dans ma chambre.

Il n’était même pas dix heures du soir lorsque la fatigue eut raison de moi. J’avoue que la présence de Mathéo était presque plus préoccupante que celle d’un éventuel assassin : le môme avait quand même l’air d’être un sacré emmerdeur. Je tombais de sommeil.

Et puis, aux alentours d’une heure du matin, j’entendis un bruit assez suspect. Le genre de bruit qui criait « assassin » à peu près aussi subtilement que mon korrigan de l’avant-veille. Je tournai la tête vers la fenêtre et je croisai le regard d’un type là, dehors, debout sur le rebord. Il était relativement âgé, portait une barbe rousse touffue et était habillé d’un costume vert ridicule et d’un chapeau tout aussi vert (et pas moins ridicule d’ailleurs). Un gros trèfle à quatre feuilles trônait sur son couvre-chef comme la cerise sur un gâteau particulièrement kitsch.

Un leprechaun. J’avais vu juste : le korrigan présageait bien d’autres attaques de créatures mythologiques terriennes. Bon sang ! Et moi qui voulait me reposer avant d’affronter ma première journée complète avec Mathéo…

Le leprechaun me regarda d’un air idiot en s’arrêtant net de bouger. Je vis qu’il venait de faire un trou dans la vitre avec un petit objet qui ressemblait à un découpeur-laser. C’était cela, le bruit qui m’avait réveillée.

Je me redressai sur mon lit en essayant de réveiller mon esprit encore à demi-endormi.

— Bonsoir, lançai-je à la créature.

— Euuuuuh, bonsoir madame. Ce serait pour…

— Pour un assassinat, oui, je me doute.

— Ah non non non non non ! Pas du tout ! Je suis le vitrier.

— Le vitrier.

— Oui.

— Et vous venez pour…

— Pour réparer votre vitre. Parfaitement.

— Mais elle n’est pas cassée.

— Vous plaisantez ? Il y a un gros trou dedans.

— C’est vous qui venez de le faire avec votre laser, là.

— Ah ça, l’origine du sinistre, c’est pas mon problème, faut voir avec votre assureur.

Il cherchait quelque chose dans sa poche. Une arme sans doute. Celui-ci était légèrement moins stupide que le korrigan. Au moins n’avait-il pas révélé sa mission dès ma première question… Pour ce qui était de trouver une excuse crédible, par contre, ce n’était pas encore ça.

— Et le guignol en costume qui vient faire des réparations en pleine nuit, ni bonjour ni merde, c’est mon assureur qui va couvrir le gros pain que je vais lui mettre dans le museau ?

— Madame, dit-il d’un air indigné, je ne fais que mon travail. Si j’arrive à remettre la main sur mon désintégra… je veux dire, sur mon pot de résine réparatrice…

Un désintégrateur. Okay. Là j’étais potentiellement en danger. Notez que si le leprechaun avait eu deux ronds de bon sens, il aurait utilisé son laser pour me découper moi au lieu de la vitre et le boulot aurait été terminé. L’avantage d’être impopulaire chez les abrutis, c’est que c’est sécurisant.

Je me levai et me rapprochai de la fenêtre. J’étais à portée de main de l’imbécile. Je l’aurais bien poussé dans le vide – j’habitais au $523^{e}$ étage – mais le trou qu’il avait fait dans la vitre ne me permettait pas d’y passer un bras. Et bien sûr, cette satanée fenêtre ne s’ouvrait pas. Bon. Il allait falloir qu’il tombe tout seul alors.

— Dites, vous devriez faire gaffe. À vous tortiller sur le rebord de la fenêtre, comme ça… Ça doit être glissant.

— Vous inquiétez pas, je suis assez chanceux par nature.

— Oh. Par nature. Du coup, ça ne vous fera pas défaut si je vous enlève ça.

Et d’un coup sec, je passai deux doigts dans le trou et arrachait l’une des feuilles du trèfle qu’il portait sur le chapeau. Le leprechaun eut un air horrifié sur le visage et me regarda comme si j’étais le diable – ou ce qui devait faire office de diable dans sa mythologie débile à lui.

— Hééééé ! Mais… non, rendez-moi ça ! Vous n’avez pas le droit ! Vous…

— Et cette nature chanceuse, comment elle se porte ?

Le leprechaun, déstabilisé, trébucha et plongea dans le vide en hurlant à la mort. Encore une fois, rien de très glorieux, mais je commençais un peu à saturer. Que des assassins attardés se bousculent au portillon, ce n’était déjà pas l’éclate, mais alors s’ils commençaient à attaquer au milieu de la nuit, je n’allais pas tenir longtemps.

Soudain, la porte s’ouvrit en claquant contre le mur. Mathéo fit irruption dans la pièce, probablement alerté par le cri du leprechaun.

— Tiens tiens… l’homme qui tombe à pic.

— Amanda ! J’ai entendu crier ! Que se passe-t-il ? Vous allez bien ?

— T’es un poil à la bourre, mon lapin. Je viens d’échapper à un attentat, et pas grâce à toi.

— Quoi ? Mais comment ?

— On surveille la porte, ils passent par la fenêtre. C’est con hein ? Comme ils arrivent toujours à trouver une faille ? Un plan de protection si bien préparé…

— Vous n’avez pas voulu de caméra dans votre chambre alors…

— Alors je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, c’est ça ? Ça va le victim blaming, tu gères ? Et puis dis-donc, l’assassin n’est même pas entré dans la piaule, je ne vois pas bien ce que ta caméra aurait changé. En plus, sans déconner, il a fait un boucan du diable à couper la vitre, j’ai parlé à voix haute avec lui pendant au moins une minute. Mais monsieur dormait tranquillement. On t’a pas dit d’ouvrir l’œil ? De ne dormir que d’une oreille ? On m’avait pourtant parlé de toi comme d’un as. Un prince de la défense. Un parangon de la sécurité. Ah !

— Mais d’habitude je suis trop fort, sénatrice, me répondit-il avec un petit sourire en coin qu’il voulait sans aucun doute charmeur.

— Ah ouais ? Ça va les chevilles ? Et donc, normalement t’es un caïd mais là ? Il s’est passé quoi ? Une baisse de régime ?

— Non… mais… mais… mais tout ça c’est de la faute de Mark Renton !

— Mark Renton ? Alors là je ne vois pas du tout ce qu’il vient faire dans la conversation, celui-là. Je croyais que c’était ton mentor adoré ?

— Je l’aime bien oui… Sauf qu’il n’arrête pas de me rabaisser ! Il me freine alors que je pourrai être trop balèze sans lui ! IL EST MÉCHANT ! IL EST MÉCHANT ! ET JE LE DÉTESTE !

Et voilà, ça le reprenait. Les hurlements de morveux capricieux.

— NON MAIS DIS-DONC ! TU BAISSES D’UN TON, PETIT MERDEUX ! Tu parles à une sénatrice là, sénatrice que t’étais censé protéger, je te le rappelle. Alors t’y vas mollo sur les pleurnicherie, tu m’appelles « madame » et pas Amanda et tu te remets en question deux secondes avant d’accuser la terre entière quand tu fais une connerie.

Il resta bouche bée et je croisai les bras, satisfaite d’avoir cloué le bec à ce petit braillard. Mais il se reprit vite et me lança un regard absolument flippant, le visage baissé et avec son foutu sourire en coin qui m’évoquait les pires psychopathes que la fiction ait jamais engendré. Un jour, quelqu’un devra lui expliquer ce qu’est le charme. Et la subtilité aussi.

— C’que vous êtes sexy quand vous vous énervez… madame, me lança-t-il d’un ton suave écœurant.

Ouh punaise. Alerte à l’obsédé sexuel. Il allait falloir que je songe à prendre un garde du corps pour me protéger de mon garde du corps. Dans l’immédiat, il fallait que je sois claire : Mathéo avait commandé une douche froide, il allait l’avoir.

— Ne me regarde pas comme ça, lui dis-je aussi d’une manière aussi glaciale que possible.

— Pourquoi ?

— Parce qu’on dirait un gros pervers, que c’est dégueulasse et que je vais te balancer mon genou dans l’entrejambe si tu continues à me dévisager façon bout-de-viande. C’est clair comme ça ou il faut que je t’explique à coup de beignes ?

— Amanda ! s’écria-t-il soudain, n’écoutant que son courage. Vous avez arraché mon cœur et je ne soupire que pour vous ! Ah, maudite passion qui me tourmente !

— Ouais ouais ouais, lui dis-je en le poussant vers le couloir. Eh bah tu vas sagement aller te recoucher avant que je t’arrache autre chose. Et je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler Amanda.

— Fort bien, je m’en vais alors retourner à mes rêves de vous, madame, fit-il sur un air de tragédien raté.

Impossible de me retenir, je lui collai une énorme baffe sur la joue gauche. Il recula de deux pas, hors de la chambre.

— Mais qu’est-ce que j’ai dis ?!

— TU CROIS QUE JE N’IMAGINE PAS CE QU’IL Y A DANS TES RÊVES ? VICELARD, VA !

Et je claquai la porte et tournai la clef dedans. Je poussai un soupir de soulagement. Enfin débarrassée. Non mais quel taré ! Cette histoire de garde du corps n’avait que trop duré. Je l’avais dit dès le départ que c’était une mauvaise idée. Encore une fois, j’avais tapé juste, même si je dois admettre que je ne m’attendais pas à ce que ce soit un tel fiasco.

J’avais pris ma décision : le lendemain à la première heure, j’appellerai le Grand Chambellan pour lui dire de se garder ses idées de protection rapprochée pour lui. Et tant pis pour son autorité suprême.

Je me recouchai après avoir pris soin de colmater le trou dans la fenêtre avec un morceau de carton scotché. Dans la chambre d’une sénatrice, c’était d’un tel niveau de classe…

3. Le réveil de la menace

Il y eut un soir, il y eut un matin. Et autant le soir, Mathéo avait brillé par son absence, autant le matin, il devint difficile d’ignorer sa présence : bien avant le levé du jour, j’entendis des grognements venant du couloir. Ou plutôt… des gémissements. Ah non mais vraiment ! Si ce petit dégoûtant était en train de faire ce que j’imaginais…

Je sautai de mon lit et ouvris la porte d’un coup sec. Et je tombai sur un Mathéo toujours endormi… et qui se tortillait dans son lit comme un vermisseau. Il transpirait et murmurait des paroles incompréhensibles entre deux gémissements.

— Oohh… aah… olalah… aïe…

Ah non mais on y était, là. En plein dedans. Le rêve érotique dégueu dont j’étais probablement l’héroïne. Beurk ! Même en imagination, c’était écœurant.

— Oooh, mmh… maman…

HEIN ? Ah non mais là ça devenait carrément glauque ! Yark ! Mais quel dégénéré, ce gosse ! En plus, je trouvais cela un peu vexant. Je voulais bien admettre avoir quelques années de plus que lui, mais « maman » ?

Comme je n’avais pas spécialement envie d’assister au happy end de son rêve ignoble, je réveillai Mathéo avec des petites claques sur les joues. Enfin, avec des claques sur les joues.

— Oh ! Hé ho ! Mathéo ! On s’réveille ! T’es en train de faire un rêve pas joli-joli !

Il émergea et les gémissement cessèrent. Ouf.

— Gnnh, que… quoi ? Amand… euh, madame ?

— Ouais, madame, ça c’est bien. Et qu’est-ce que je t’ai dis sur les rêves de vicieux ?

— De vicieux ? Mais je rêvais de ma mère !

— Super. Si tu pouvais régler ton Œdipe ailleurs que sur le pas de ma porte…

— Mon Œd… mais non ! Ce n’était pas sexuel ! Elle était en danger ! Elle allait mourir !

— J’espère que tu ne le prendras pas mal si je t’avoue que je préfère ça ? Bon, ça va ? Le petit cauchemar est fini ? Tu peux retourner au dodo ou tu veux qu’Amanda te chante une chanson pour t’aider à dormir ?

— Il faut que je voie ma mère ! Tout de suite !

— Oh non mais tu te fous de moi ?

— Non ! Il faut que je la voie ! Sinon elle va mourir !

— Mathéo, tu ne crois pas que tu as passé l’âge des terreurs nocturnes ?

— Ce n’était pas juste un rêve ! C’était une prémonition !

— Ah parce que monsieur est médium maintenant ?

— Vous ne comprenez pas, Amanda. Je sais qu’elle est en danger ! Je le sais ! Je le sens !

— Bon eh bien alors fous le camp et va la retrouver ! Oh et puis après tout, moi ça m’arrange de ne plus t’avoir dans les pattes, hein. Allez, va retrouver môman et bon vent.

— Ah non, vous devez venir avec moi.

Rester calme. Ne pas le frapper à nouveau. Rester calme. Je me massai l’arête du nez entre deux doigts en essayant de ne pas céder à la colère.

— Mathéo… je… je vais essayer d’être gentille, d’accord ? Que tu aies un niveau de maturité relativement proche de celui que tu avais quand je te baby-sittais, d’accord. Que tu boudes comme un ado attardé quand on te fait une remarque, d’accord. Que tu ne sois même pas foutu de me protéger contre un assassin alors que c’est ton unique mission à mes côtés, passe encore. MAIS TU NE ME FERAS PAS TRAVERSER LA GALAXIE PARCE QU’UN MAUVAIS RÊVE T’AS FAIT MOUILLER TON LIT !

— Non non ! Pas besoin de traverser la galaxie ! Ma mère a déménagé, elle habite sur cette planète maintenant !

— Suis-je bête… comment tu ferais pour lui rapporter ta lessive le week-end, sinon ?

— Alors, vous voulez bien m’y emmener ?

— Ah parce que c’est moi qui doit conduire, en plus ?

— Je n’ai pas encore mon permis…

— Tu me tues, Mathéo. Je te jure, tu me tues.

Je regardai l’holohorloge sur le mur. Il était à peine six heures du matin. Est-ce que j’avais vraiment envie de céder au caprice de Mathéo ? Non. Mais sa mère, contrairement à lui, était une dame charmante qui avait quand même financé une bonne partie de mes études en me payant pour garder son con de fils. Et après tout, ce serait peut-être l’occasion de me débarrasser de lui en le refourgant à sa maman chérie.

— Bon… c’est d’accord.

— C’est vrai ? Oh Amanda je vous adore, je pourrais vous embrass…

— Hop là ! m’exclamai-je en faisant un pas en arrière. Tu calmes tes ardeurs ithyphalliques si tu veux pas t’en reprendre une. Et pour la trentième fois, c’est « madame » pour toi. Allez, prends tes affaires et donne-moi l’adresse, on va voir môman.

— Yooooopyyyyyyyyyyyyyyyyyyy !

Je regrettai déjà ma décision alors que nous n’étions même pas partis. Nous prîmes l’ascenseur et nous retrouvâmes sur le toit.

— Mais Aman… dame, vous vous êtes trompée d’étage, non ?

— Pas du tout. Tu ne crois quand même pas qu’on va se taper de la route en lévitovoiture, non ? Les bouchons, j’ai assez donné cette semaine. On prend mon hélico. Normalement c’est réservé aux urgences, m’enfin si j’ai des ennuis, tu t’expliqueras avec le Grand Chambellan.

J’entendis Mathéo déglutir avec angoisse. En réalité il y avait peu de chance qu’on me reproche l’usage de l’hélicoptère pour un trajet de plusieurs centaines de kilomètres, mais si Mathéo souillait son caleçon, c’était une petite satisfaction supplémentaire.

Il regardait l’appareil avec une certaine appréhension. J’ignorais si c’était ses réflexes de phallocrate qui lui provoquaient une angoisse de voir un hélico piloté par une femme ou s’il était pétochard par nature.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Non, rien… euh… c’est sans danger ? Enfin, j’veux dire, vous avez fait la révision annuelle ? Pas de problème mécanique ?

— Pourquoi ? T’as peur que les pâles patinent ? Allez monte là-dedans et arrête de flipper comme un hamster. On sera chez ta mère en un rien de temps.

Et nous nous envolâmes. Le premier des trois soleils de la planète se levait à peine. La mère de Mathéo habitait sur la côte dans un quartier sacrément huppé. Étrange car je ne me souvenais pas d’elle comme d’une femme d’argent. Elle était mère célibataire quand je l’avais connue et avait tout juste de quoi payer son loyer, sa nourriture et la baby-sitter de son fils. Je me demandais si elle avait regretté d’avoir Mathéo. Moi, j’aurais regretté en tout cas.

Celui-ci passa le trajet à se ronger les ongles. Au moins, lorsqu’il avait peur, il oubliait de se comporter en maniaque sexuel, c’était toujours ça de pris.

Nous arrivâmes et je décidai de me poser sur la plage. Je n’étais pas certaine que la pratique fût autorisée, mais j’étais sénatrice après tout. Quel était l’intérêt de faire de la politique si l’on ne pouvait pas bénéficier d’une justice particulièrement clémente et de passe-droits un peu partout ? L’argent ? Oui, certes. Le pouvoir ? Bon, d’accord. Mais pouvoir se garer n’importe où et faire sauter ses prunes, c’était ça le bonheur.

À peine descendu de l’hélico, Mathéo commença à se plaindre. Je n’arrivais pas à y croire.

— J’ai du sable dans mes chaussures !

— Oui Mathéo, ça s’appelle une plage. Tu vas survivre ou j’appelle les urgences ?

— J’aime pas le sable…

— On dit « je N’aime pas le sable » quand on sait causer.

— Oui, eh bien je-n-aimeuh-pas-le-sable. C’est nul le sable. Le sable, c’est méchant. JE LE DÉTESTE !

— T’as vraiment un grain, mon pauvre… Avance donc et boucle-la. Je suis déjà bien sympa de me farcir un balade chez ta mère parce que t’as peur du noir, je ne vais pas en plus supporter tes jérémiades.

Il marmonna quelque chose que je ne pris pas la peine d’essayer de comprendre et nous nous mîmes en marche. J’avais eu une bonne intuition : le logement de la mère de Mathéo était une sacrée belle baraque. Une grande villa blanche avec un réseau universet haut débit branché dans le jardin et une piscine verticale contre un mur. Le jardin donnait directement sur la plage.

La mère de Mathéo était déjà en train de venir à notre rencontre, sans doute alertée par le bruit de l’hélicoptère.

— Bonjour Mme Schmitt ! dis-je en lui faisant un signe de la main.

— Amanda, ma petite ! Cela me fait bien plaisir de vous revoir.

— Je vous ramène votre fils, comme au bon vieux temps.

— Et qu’est-ce qu’il a encore fait, le petit monstre ? me demanda-t-elle d’un air mi-impatient mi-amusé.

— Mère, vous êtes en danger ! s’écria Mathéo d’un ton dramatique. Vous allez mourir si je ne vous aide pas.

— Voilà, dis-je en soupirant. Vous voyez le genre.

— Ses cauchemars qui le reprennent, hein ? Mais entrez donc, on va voir ça à l’intérieur. Vous voulez un café ?

— Volontiers, nous n’avons pas eu le temps de prendre le petit déjeuner…

Nous entrâmes dans la grande demeure de Mme Schmitt. On pouvait dire qu’elle ne s’embêtait pas : c’était le grand luxe ! Et je vous dis ça en qualité de sénatrice qui se vautre dans le luxe le plus indécent payé tout aussi indécemment par le contribuable. C’est dire si je sais de quoi je parle.

— Mère, je vous en prie ! s’écria l’autre débile. Vous devez m’écouter !

— Alors vous voyez, me dit Mme Schmitt en ignorant Mathéo, c’est son nouveau truc ça. Il me vouvoie et il m’appelle « mère ». Ça lui a pris comme ça, un jour. Et pas moyen de lui faire entendre raison.

— Je veux bien vous croire… Tenez, moi c’est pareil : pas moyen de lui faire dire « madame » et pas « Amanda ».

— Tsss ! Mathéo ! Alors, qu’est-ce que c’est que ces manières ? Tu es poli avec Amanda, hein ! Si elle te dit de l’appeler « madame », tu l’appelles « madame » !

— Mère ! Arrêtez un peu de me prendre pour un enfant ! Je suis indépendant maintenant, et j’aimerais que vous m’écoutiez quand j’essaie de vous dire…

— Non mais dis-donc ! Ce ne sont pas des manières de parler à ta mère, jeune homme.

Ce n’était pas moi qui avait invectivé Mathéo comme cela mais un homme qui venait de faire irruption dans la pièce. Une sorte de dandy, un homme très fin, ibiocéphale, bien habillé et en qui tout criait « classe et distinction ».

— Amanda, voici Clint, mon nouveau mari. Dis bonjour à Clint, Mathéo.

Je compris soudain la villa, le bord de mer, le luxe. Mais Mathéo ne dit rien et fixa Clint d’un regard venimeux.

— Bonjour monsieur, dis-je en lui tendant la main. Amanda Laxigne. Je suis l’ancienne baby-sitter de Mathéo.

— Et vous êtes aussi sénatrice, je vous ai vu à la sensodorareliefotélévision. J’adore votre déodorant.

— Mmh, merci.

C’était gênant mais c’était le jeu de l’odorama à la télé…

— Mathéo, dit Mme Schmitt en montrant qu’elle se faisait violence pour être patiente. Je ne t’ai pas entendu dire bonjour à Clint.

— Bonjour Mathéo, dit Clint en souriant.

— Non je ne dis pas bonjour à Clint. C’est pas mon père. Il est méchant ! ET JE…

— Et tu le détestes ? finis-je à sa place.

— PARFAITEMENT ! ET JE LE DÉTESTE !

Et il courut dans ce que j’imaginais être sa chambre et claqua la porte.

— Oh non ça va pas recommencer, dit sa mère. MATHÉO ! OUVRE CETTE PORTE TOUT DE SUITE !

— Non, mère ! Vous ne voulez même pas m’écouter quand je vous dis que vous êtes en danger !

— Rah, eh bien vas-y, fit-elle en levant les yeux au ciel, explique nous ! On t’écoute.

— Vous êtes en danger de mort ! dit Mathéo à travers la porte close. Je l’ai vu dans un rêve prémonitoire. Vous finissiez tuée dans un camp de travail !

— Un camp de travail ? m’écriai-je. Mais ça n’existe plus depuis longtemps, les camps de travail ! Mathéo, tu débloques sec !

— C’était dans le futur, la République était devenue une dictature.

— Une dictature ? s’étonna Mme Schmitt.

— Je note au passage qu’on parle d’un danger de mort dans un futur relativement lointain, fis-je remarquer. Ça valait le coup de nous faire venir ici en urgence…

— Qu’est-ce qui te fait croire qu’il y aura une dictature ? Et des camps de travail, Mathéo ? dit Mme Schmitt.

— Parce que notre coup d’état aura réussi !

Il y eut un silence.

— Quel coup d’état ?

— Celui que nous fomentons avec la Confrérie pour l’Hégémonie Gaélique et Brittonique ! s’écria Mathéo comme s’il énonçait l’évidence.

Il y eut un autre silence, plus long cette fois. Je n’en croyais pas mes oreilles. Ou Mathéo délirait, ou il… non. Ce n’était pas possible.

— Attends une seconde, dit sa mère. Tu es en train de nous dire que tu es membre d’un complot ?

— Oui.

— Et que ce complot vise à prendre le pouvoir sur la galaxie pour imposer la culture celte partout ?

— Gaélique et Brittonique. C’est ça.

— Et c’est cela qui va mener à ma mort ?

— Tout juste.

— Et tu ne vois pas une solution pour que ça n’arrive pas ? Comme mettre fin à ce complot ?

— Euuuh…

Mme Schmitt se tourna vers moi et murmura.

— Ça, à tous les coups, c’est ce grand benêt de Mark Renton qui lui a mis ces idées dans la tête. Vous saviez qu’il était écossais ?

— Mathéo, dis-je soudain, j’ai une question idiote… Ta confrérie, là… ce ne serait pas elle qui essaierait de me tuer ? Entre mon korrigan breton et mon leprechaun irlandais, il y a comme une cohérence, non ?

Il y eut un très, très long silence. Je pouvais sentir Mathéo se décomposer derrière la porte. Quel con. Mais quel con. Et il n’avait rien compris. Bien sûr qu’un complot contre la République impliquerait d’éliminer des sénateurs ! Surtout quelqu’un comme moi qui n’avait pas spécialement de sympathie pour les cultures terriennes ! Qu’est-ce qu’il s’imaginait, l’ahuri ?

— Tiens, il est moins prolixe, d’un coup, fit remarquer Clint. Vous avez tapé juste, je crois, madame Laxigne.

— TAIS-TOI CLINT, TAIS-TOI ! T’ES PAS MON PÈRE ! fit Mathéo en tambourinant contre la porte.

— Je vais peut-être dire une bêtise, dit Mme Schmitt, mais serait-il possible qu’on ait engagé mon petit Mathéo pour vous atteindre, Amanda ? Grands dieux, quelle pensée horrible.

— Mathéo, poursuivis-je, est-ce qu’on t’a demandé de me tuer ?

— Mais non ! se lamenta celui-ci derrière la porte. Jamais je ne vous ferais de mal ! C’est Mark Renton qui m’a embauché pour vous protéger !

— Mathéo, il est fort possible que Renton soit précisément le commanditaire de tous mes attentats… qu’est-ce qu’il t’a dit exactement ?

— Eh bien, de vous coller au train en toute circonstance. Et aussi de ne jamais me séparer de mon Épée Vectorielle à Impulsion Lumineuse. Que ce serait elle qui me garderait en vie. Mais vous étiez là pour ça, non ?

— Ton Épée Vect…

— Oui ! Celle que j’ai là ! Attachée à ma ceinture ! Écoutez, je l’allume et…

L’abruti. La triple andouille. L’ectoplasme. Le bachi-bouzouk. Mathéo n’était pas l’assassin. Mathéo était l’arme du crime. L’idiot utile du complot de domination celtique de la galaxie. Et je m’étais faite avoir. Les murs volèrent en éclat autour de nous et une dernière pensée traversa mon esprit : gast !

Conclusion

En espérant que cette nouvelle vous ait bien fait marrer. Voici les résultats du sondage :

  • Genre du personnage : féminin (76%), masculin (23%)

  • Âge : entre 21 et 35 ans (37%), plus de 71 ans (24%), entre 8 et 13 ans (13%), entre 51 et 70 (10%), entre 36 et 50 ans (10%), entre 14 et 20 ans (6%)

  • Narrateur : personnage (71%), personnage (29%)

  • Genre : science-fiction (29%), horrifique (18%), réaliste (18%), fantastique (13%), heroic fantasy (11%), historique (11%)

  • Ton : humoristique (47%), épique (37%), dramatique (16%)

  • Univers : inédit (50%), Et l’enfer était si froid (18%), L’enfant sans bouche (8%), Chaîne 43 (8%), Mars bipolaire (8%), La planète éteinte (5%), Steve/Le grimoire de l’éternité (3%), Terrés (0%)

  • Mots imposés : bachi-bouzouk, parangon, vectoriel, ibiocéphale, ithyphallique, chevalier, zététique, orchidoclaste, vache, prolixe

Et les phrases imposées sont celles au début des chapitres 🙂

Publié le 4 juillet 2016 par Gee dans La plume

🛈 Si vous avez aimé cet article, vous pouvez le retrouver dans le livre L'Enfant sans bouche.

Soutenir

Ce blog est publié sous licence libre, il est librement copiable, partageable, modifiable et réutilisable. Il est gratuit car financé principalement par vos dons. Sans inscription, vous pouvez très simplement me soutenir :

Pour la saison 2024-2025, 3 842 € ont pour l'instant été collectés sur un objectif annuel de 21 200 € (SMIC brut), soit 18 % de l'objectif :

Sources de revenu

La saison étant entamée à 26 %, il y a actuellement un retard de 1 618 € sur l'objectif.

Avancement de la saison

Vous pouvez également, si vous le souhaitez, passer par une plateforme de financement participatif :