Les zextrêmes

Publié le 23 juin 2022 par Gee dans La fourche

Parce que dans le confusionnisme ambiant, il est bon de rappeler deux trois petites choses, faisons le point sur ce que sont « les zextrêmes » et la réalité politique qu'ils représentent (ou pas).

Les zextrêmes

À l'occasion des législatives, on a de nouveau beaucoup entendu cette expression devenue très commune : « les zextrêmes se rejoignent ».

Un hémicycle est représenté avec deux flèches sur les bords qui le complétent en un cercle. En dessous, un mec tout content de lui dit : « Mais oui ! Regardez, je prends les deux bouts de l'hémicycle… et hop ! » Gee, blasé : « Bon, vous êtes fortiche en géométrie, d'accord. Et sinon, en analyse politique ? »

Vous noterez qu'avant, on parlait surtout de « l'extrême droite », mais maintenant on parle de « les zextrêmes ».

« TOUS les zextrêmes », même.

Au cas où y'en aurait plus que deux, on sait jamais…

Le smiley commente : « Genre l'extrême centre ? » On voit un profil Twitter, celui de Jean-M, (@jmenmarche), un mec avec un avatar en forme d'œuf : « Républicain convaincu, progressiste franc parleur, ouvert au débat. Contre tous les extrêmes. #LREM #NoLFI #NoRN »

En effet, on comprend assez facilement que le terme permet l'opprobre de « l'extrême gauche », par association avec « l'extrême droite ». Ce qui, dans un pays avec l'histoire de la France, demande quand même une certaine gymnastique intellectuelle.

Une image scindée en deux. À gauche, l'extrême gauche au pouvoir. Ambroise Croizat, communiste, ministre du travail entre 45 et 47, dit : « On va faire une grande Sécurité Sociale, les comités d'entreprise, la médecine du travail, réguler et mieux payer les heures sup', doubler les allocations familiales… » À droite, l'extrême droite au pouvoir. Robert Ménard, maire de Béziers soutenu par le RN : « On va armer la police municipale, supprimer un centre social, empêcher la construction de HLM, instaurer un couvre-feu pour les moins de 13 ans, interdire de pendre son linge sur le balcon… » Le smiley représentant un centriste éclarié : « Je ne vois absolument aucune différence… »

Gymnastique intellectuelle d'autant plus complexe lorsqu'elle consiste à placer la France Insoumise à l'extrême gauche…

LFI qui a un programme keynésien quand même pas bien violent et un discours autrement moins bourrin que celui du PS des années 70.

Une télé montre François Mitterrand en meeting : « Celui qui n'accepte pas la rupture avec l'ordre établi, avec la société capitaliste…  celui-là, je le dis, il ne peut être adhérent du Parti Socialiste* ! » François Hollande regarde en transpirant et dit : « Euuuuh…  extrémiste ! »

Citation authentique de Mitterrand au congrès d'Épinay de 1971. Oui, je sais, après y'a eu le tournant de la rigueur, tout ça, mais quand même.

L'extrême gauche, ça consiste en général à renverser le capitalisme sans trop d'égards pour les règles de la République : expropriation des grands patrons, réquisition des logements inoccupés, révolution — si besoin par la lutte armée…

Pas franchement le programme de LFI, donc (sans parler de celui de la NUPES, groupe qui contient quand même les restes du PS…).

Une centriste implorante : « Ah non mais moi, je suis progressiste, contre tous les zextrêêêêmes… » Gee, encore blasé : « Ouais, bah vu que le NPA et Lutte Ouvrière sont à 1 % et que l'extrême droite est à 32 %, vous devriez peut-être vous concentrer sur la menace principale, non ? »

Bref, l'extrême gauche étant marginale et ayant un programme assez diamétralement opposé à celui de l'extrême droite, pourquoi donc cette expression des « zextrêmes qui se rejoignent » est-elle si utilisée ?

Gee indique des images en disant : « Ah bah faut reconnaître que c'est pratique… » La première image montre un podium avec LREM en 1, RN en 2 et LFI en 3, LREM disant : « Amis gauchistes, faites barrages à la haine !  On a des valeurs communes, non ? » La deuxième image montre LREM en 1, LFI en 2 et RN en 3, LREM disant : « Amis de droite radicale, faites barrage à la menace rouge et aux khmers verts ! L'intérêt suprême de la nâââtion ! » La troisième image montre LFI en 1, RN en 2 et LREM en 3, LREM disant : « Euuuh… joker ! »

C'est-à-dire que le fameux « barrage républicain » a l'air quand même principalement exigé de la gauche, et très peu de la droite…

Et franchement, c'est pas nouveau.

1986. Une femme lit le journal : « T'as vu ? Jean-Claude Gaudin, le candidat UDF aux régionales ? » Son mari : « Ouais, quoi ? » Elle : « Bah il s'allie avec le FN pour battre la gauche. » Lui : « Oh ? » Elle : « Ouais. »

(C'est le même Jean-Claude Gaudin qui sera tour à tour ministre sous Juppé en 1995, vice-président de l'UMP en 2002 et président du groupe UMP au Sénat en 2011. Ça a pas franchement freiné sa carrière à droite, quoi…)

1987. À la télé, on entend : « Rompre les alliances entre la droite et le FN dans les conseils régionaux serait une absurdité !  C'est un piège tendu par les socialistes ! » Une femme sur son canapé, stupéfaite : « C'est Jean Lecanuet ? » Un homme : « Ouais. » Elle : « Le président de l'UDF, ancien ministre de Raymond Barre ? » Lui : « Tout juste. » Elle : « Eh béh. »

On pourrait aussi parler de Philippe de Villiers ou de Christine Boutin, ministres ou secrétaires d'État chez Chirac ou Fillon et qui soutiendront tranquillou Le Pen ou Zemmour ensuite.

Interviewé, un politicen encravaté dit, l'air surpris : « C'est à n'y rien comprendre, des gens pourtant si polis et bien éduqués.  Un peu d'homophobie et d'intégrisme catho-tradi, d'accord, mais franchement, c'était fait dans le respect des institutions.  Qui aurait pu croire que ces deux-là vireraient extrémistes ?! »

On ne compte pas non plus les anciens du GUD (orga étudiante violente d'extrême droite), d'Occident ou d'Ordre Nouveau (mouvements nationalistes néofascistes) qui ont fait leurs carrières pépouze côté RPR/UMP/etc. par la suite.

(Alain Madelin, Patrick Devedjian, Gérard Longuet, Hervé Novelli, Alain Robert…)

Un skinhead avec une barre-à-mine : « Non mais c'est un parcours classique : quand on est jeunes, on tabasse du gauchiste. On est fougueux, on casse des gueules. » Un vieux politicien encravaté : « Quand on est vieux, on défonce leurs conquêtes sociales.  On est devenus raisonnables, on pète juste des services publics. »

Le fameux « progressisme macroniste » n'est pas épargné, on se souvient de Nathalie Loiseau, ministre sous Édouard Philippe et ancienne membre de l'Union des Étudiants de Droite, une autre orga d'extrême droite.

À la télé, on entend Nathalie Loiseau : « C'était une erreur de jeunesse, je n'avais pas perçu la couleur politique de ce mouvement… » Gee qui regarde : « De deux choses l'une : ou bien Nathalie Loiseau est une conne, et ça m'étonnerait tout de même un peu ; ou bien Nathalie Loiseau n'est pas une conne, et ça m'étonnerait quand même beaucoup. » Le smiley, hilard : « Insulter la droite en citant du Desproges, c'est un coup à faire faire un AVC aux “progressistes anti-zextrêmes”… »

Même Robert Ménard, dont je parlais plus haut, déclarait préférer « 1000 ans de Macron à 3 ans de Mélenchon ».

La Geekette, feignant la surprise : « C'est dingue, vous voulez dire que les fachos et les néolibéraux auraient des intérêts communs ?! » Un mec en uniforme militaire : « Je suis Augusto Pinochet et j'approuve ce message. »

Côté RPR/UMP/LR, ça se lâche de plus en plus, avec un Ciotti qui déclarait qu'en cas de second tour Macron/Zemmour, il voterait Zemmour.

Ciotti : « Je suis quand même pas rancunier, tu m'avais déjà piqué mon slogan “Pour que la France reste la France”. » Zemmour : « T'sais, moi et l'droit d'auteur… »

Tandis que la théorie raciste du « Grand remplacement », idéologie des tueurs de Christchurch, d'El Paso et de Poway, est reprise sans pression jusqu'à l'aile « modérée » (LOL) de LR.

Précresse : « Attendez, moi j'ai fait 4 %, si c'est pas du Grand remplacement de LR par LREM, je sais pas c'que c'est… »

Pour finir, aujourd'hui, par une roue libre totale du côté de la majorité présidentielle…

Sur un ordinateur, on entend : « On a besoin d'une majorité, on va aller chercher les voix du Rassemblement National. » Gee, stupéfait : « C'est une députée LREM, ça ? » La Geekette : « Hélas…  “Plutôt Hitler que le Front Populaire”, encore et toujours… »

Position confirmée par Dupont-Moretti qui veut « avancer » avec le RN et par la volonté générale de la droite de refiler la Commission des Finances au RN…

Le smiley, paniqué : « Ah nan mais on va quand même pas permettre à la gauche de faire des contrôles fiscaux, non ?! »

Bref, dans les faits, c'est pas « les zextrêmes » qui se rejoignent.

C'est juste les droites.

Bisous.

Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 22 juin 2022 par Gee.

Sources :

Publié le 23 juin 2022 par Gee dans La fourche

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