Une Auberge dans la tempête 11

Publié le 11 novembre 2021 par Gee dans La plume
Inclus dans le livre Une Auberge dans la tempête

Couverture de « Une Auberge dans la tempête »

Dans les épisodes précédents : Nathalie et Maryam sont tombées sur un étrange homme en fuite à l’air terrifié. Rejointes par Augustin, elles se lancent à sa poursuite mais Nathalie et Augustin tombe dans une cave de la ferme. Ce dernier explique à Nathalie que plusieurs personnes ont disparu dans cette forêt et qu’il soupçonne les aubergistes d’être derrière cela…

Chapitre 11

Autant la soirée avait été riche en rebondissements, autant le matin suivant se déroula de façon si prévisible qu’il en fut presque barbant.

Tout d’abord, Laura et Luka offrirent à Nathalie un de ces réveils tonitruants dont ils avaient le secret. Elle fut forcée de reconnaître qu’ils mettaient du cœur à l’ouvrage : elle aurait juré qu’ils s’entraînaient pour le cent-dix mètres haies juste devant la porte de sa chambre. Une fois tirée de son coma par ce concerto en « brolom » majeur exécuté avec virtuosité, ce qui la frappa, ce fut la sécheresse extrême de l’intérieur de sa bouche. En se redressant, elle eut le plaisir de constater que cette sécheresse était immanquablement due au fait qu’elle avait bavé l’intégralité de sa salive sur l’oreiller qui, en retour, lui avait trempé la joue gauche. Enfin, un mal de crâne qui partait de la racine de ses cheveux jusqu’au nerf optique lui remémora avec espièglerie la quantité déraisonnable de bière qu’elle avait ingurgitée la veille. Ma pauvre, t’as plus vingt ans. Quelle idée de picoler comme ça ?

Puis elle se rappela que Jérôme, qui était probablement né sous Napoléon III, buvait du whisky comme du petit lait sans broncher. Et en même temps, est-ce que j’ai vraiment envie de ressembler à ce pochtron ?

Lorsqu’elle tenta de se mettre assise dans son lit, la chambre lui donna l’impression de valser autour d’elle. Elle réprima une soudaine envie de dégobiller, se prit la tête entre les mains et ferma les yeux. Son alcoolémie était redescendue à un niveau convenable, peu à peu remplacée par une bonne vieille gueule de bois. Elle tentait malgré tout de mettre de l’ordre dans ses idées. Les événements de la veille ressemblaient à un cauchemar, et pourtant elle s’en souvenait avec trop de précision pour qu’ils ne soient réels.

Avec une prudente lenteur, elle s’extirpa du lit et marcha jusqu’au lavabo de la salle de bain. Là, elle se passa de l’eau sur le visage. La fraicheur lui picota la peau et fit tambouriner son mal de crâne. Les enfants continuaient leur raffut matinal. Cette fois, elle décida ne pas s’en préoccuper, trop perturbée par les dernières évolutions de sa situation. Elle farfouilla dans sa trousse de toilette et en tira une plaquette de paracétamol. Un cachet d’un gramme englouti avec un bon demi-litre d’eau plus tard, elle regagna son lit et essaya de faire le point.

Après leur libération de la cave par M’ame Jocelyne, Augustin et elle avaient rejoint les autres dans le hall de l’auberge. Lui s’était au moins trompé là-dessus : on ne les avait pas laissés moisir, on n’avait pas saisi l’occasion de les capturer. Comme prévu, Maryam avait averti les propriétaires qui avaient assez rapidement localisé la cave, accessible par un couloir souterrain non loin de là où M’ame Jocelyne s’était rendue pour réactiver le disjoncteur.

La coupure de courant était extérieure au bâtiment et l’électricité n’était pas revenue. Le reste de la soirée s’était déroulée à la lumière des bougies. La conversation que Nathalie avait eu avec Augustin ne fut pas évoquée. Quand bien même s’était-il trompé sur leur propre destin à court terme, Nathalie avait jugé que le reste de sa théorie ne s’en trouvait pas pour autant invalidée. En tout état de cause, il valait mieux ne rien laisser paraître devant le Taulier, M’ame Jocelyne et Jérôme. Pour ce qui était de Maryam, elle attendrait d’être seule avec elle pour lui exposer les dernières révélations.

L’étrange individu en fuite s’était volatilisé. Maryam avait perdu sa trace en allant prévenir les aubergistes de la chute de Nathalie et Augustin. Depuis, on n’avait plus entendu de cris et plus aperçu d’intrus dans les environs. De retour au bar, le sujet fut bien sûr mis sur la table. Comme Nathalie s’y était attendue, les habitants de l’auberge avaient de bonnes explications. Vraisemblablement trop bonnes.

C’était le Taulier qui avait ouvert les hostilités :

— ’Core ces foutus hippies… Sont toujours dans le coin, font du camping sauvage, fument des joints avec leurs guitares autour du feu et viennent claquer leurs bad trips dans notre cour…

M’ame Jocelyne avait enfoncé le clou :

— C’est pas la première fois qu’on en voit un… ils sont pas méchants, hein, mais quand ils se paument, complètement stones, c’est jamais joli-joli.

Et évidemment, ce fut Jérôme qui porta le coup de grâce :

— J’les aime bien moi… sûr, c’est des petits branleurs… mais généreux… et leur beuh est mortelle.

La tablée avait ri à cette remarque, tant le vieux était crédible en fumeur invétéré. Nathalie avait croisé le regard d’Augustin qui lui confirma, sans surprise, qu’il ne croyait pas un mot de ce qui venait de se dire. Elle nota un scepticisme similaire dans les yeux de Maryam. Scepticisme qu’elle comprenait… et partageait.

La mélodie que leurs hôtes chantaient donnait une impression de naturel, les voix étaient harmonieuses et cohérentes entre elles. Pourtant, plusieurs fausses notes venaient troubler la musique.

Tout d’abord, l’individu ressemblait à tout sauf à un hippie. Il ne faisait aucun doute que pour un australopithèque comme le Taulier, le mot « hippie » désignait n’importe quel zigoto un peu dépeigné, mais l’homme-mystère évoquait plutôt un voyageur spatial ou un visiteur du futur.

Ensuite, il semblait difficile de croire qu’un groupe de campeurs eût planté sa tente dans les environs, étant donné la météo cataclysmique des derniers jours. Certes, Nathalie avait elle-même manqué d’être réduite à passer une nuit de bivouac dans la tempête. Sauf que, quand bien même des campeurs imprudents se seraient retrouvés piégés là, il était peu crédible qu’ils en eurent alors profité pour faire tourner un pétard au coin du feu en pleine averse. Surtout si, comme le prétendait le Taulier, ces campeurs étaient des habitués du coin et connaissaient donc l’auberge où ils auraient pu facilement venir s’abriter.

Enfin, le point qui clochait le plus était le comportement de l’individu : Nathalie avait déjà vu des gens en plein bad trip, et aucun ne s’était comporté comme lui. Derrière son expression de pure terreur et sa panique apparente, il semblait désespérément lucide sur sa situation. C’était bien cela qui était inquiétant. « Je veux rentrer chez moi », gémissait-il…

Non, les explications des aubergistes et de Jérôme semblaient avoir été soigneusement élaborées pour correspondre à la mésaventure que leur avait rapportée Maryam lorsqu’elle était venue les appeler à l’aide. Nathalie tenta bien timidement d’exposer quelques-unes de ses objections, mais de nouvelles explications tout aussi bien ficelées vinrent systématiquement les étouffer dans l’œuf. Augustin et Maryam ne semblaient pas pressés d’exprimer leurs propres questionnements, aussi Nathalie décida de faire mine d’accepter, pour l’heure, la version de ses hôtes.

Éreintée et passablement éméchée, elle avait fini par regagner sa chambre sans avoir trouvé l’occasion de parler à Maryam de l’affaire des personnes disparues. Le sommeil s’était quasiment immédiatement emparé d’elle, et elle n’en avait été tirée que par les déambulations de Luka et Laura dans le couloir.

En poussant un grognement et en maudissant sa faiblesse face à l’appel des apéros bien arrosés, elle tendit le bras pour appuyer sur l’interrupteur de sa lampe de chevet. La pièce resta plongée dans l’obscurité : le courant n’avait toujours pas été rétabli.

Elle se leva de son lit une bonne fois pour toutes et commença à s’habiller. Il fallait qu’elle parle à Maryam. Quel que fût le niveau d’exactitude des hypothèses d’Augustin, il était maintenant clair pour elle que quelque chose de malsain se tramait dans cette auberge. Faute de pouvoir s’en échapper, elle avait bien l’intention de tirer cela au clair… ne serait-ce que pour savoir à quoi s’en tenir quant à sa propre sécurité.

En écartant les épais rideaux rouges qui masquaient la fenêtre, elle fut assaillie par l’éclat du jour qui raviva le mal de tête que le paracétamol avait à peine commencé à atténuer. Les précipitations ne faiblissaient toujours pas, même si une nouvelle accalmie avait temporairement interrompu les éclairs.

Pendant quelques minutes, elle resta plantée là à observer l’environnement. Si le couloir donnait sur la cour du corps de ferme, sa chambre offrait en revanche une vue sur la bordure de la propriété, délimitée au bout d’une centaine de mètres par la forêt où elle s’était perdue l’avant-veille. Sans se l’avouer totalement à elle-même, elle cherchait du regard quelque chose qui aurait pu ressembler à un cimetière de fortune… « Une fosse commune », avait imaginé Augustin.

Rien, dans ce qu’elle voyait, ne semblait correspondre à cette description. L’herbe s’élevait à près d’un demi-mètre de hauteur, la végétation était dense et la terre ne donnait pas l’impression d’avoir été retournée. Aucun camping de fumeurs de joint en vue non plus, pensa-t-elle sarcastiquement. Même si, bien entendu, elle n’avait qu’une vue très partielle des environs.

Quelque chose, néanmoins, finit par attirer son attention. Un mouvement dans la forêt. Elle ouvrit la fenêtre pour mieux voir et un courant d’air frais vint caresser sa gueule de bois. Sous le doux bruit de la pluie qui clapotait sur le sol en contrebas, il était impossible de s’y tromper : c’était le murmure d’un moteur qu’elle entendait.

Elle vit alors un véhicule surgir d’entre les arbres. C’était un petit fourgon tout terrain, une sorte de jeep ou de 4×4, qui roulait en cahotant sur le chemin de randonnée qu’elle avait elle-même emprunté lorsqu’elle était tombée sur l’auberge. À son bord, elle aperçut un conducteur et une passagère.

Le véhicule disparut de l’autre côté de l’auberge. Nathalie se dépêcha d’achever de s’habiller. L’arrivée de ces voyageurs impliquait deux bonnes nouvelles : premièrement, si le Taulier, M’ame Jocelyne et Jérôme fomentaient un complot, ils allaient se retrouver en infériorité numérique, ce qui avait quelque chose de rassurant ; deuxièmement, si la jeep avait réussi à atteindre l’auberge par les bois, cela voulait dire qu’elle pourrait également en repartir. Une potentielle porte de sortie venait de s’ouvrir pour Nathalie.

Bilan du NaNoWrimo

  • Avancement théorique : 37%, soit 18333 mots

  • Avancement réel : 42%, soit 20953 mots

  • En avance de 2620 mots

Graphique montrant l'avancement du NaNoWrimo en fonction du jour

Publié le 11 novembre 2021 par Gee dans La plume

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