LHDG05. Le Métavers
Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.
Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.
Texte de la chronique
Salut à toi, public de Libre à Vous,
Si je t'avais causé de Métavers — ou Metaverse dans sa version anglaise – il y a de cela tout juste 2 ou 3 ans, tu n'aurais sans doute pas eu la moindre idée de ce dont je te parlais. Pas parce que le mot n'existait pas encore hein – il est documenté sur le Wiktionnaire depuis plus de 10 ans — mais il était encore peu utilisé jusqu'à très récemment.
C'est sans doute principalement à Facebook que l'on doit ce soudain intérêt pour le Métavers. Une impression confirmée si l'on regarde les statistiques de Google sur la popularité du mot-clef : cette popularité est très faible jusqu'en octobre 2021 où elle explose littéralement. Octobre 2021, c'est le moment où l'entreprise qui gère Facebook prend le nom de Meta et annonce son intention de se concentrer sur le développement d'un « Métavers ».
Bon, là, tu te dis peut-être, « oula, Gee qui commence sa chronique en nous parlant de Facebook et de Google, keskis'passe ? Il s'est fait racheté par les GAFAM, ce pourri ? ». Alors, déjà, reste poli, s'il te plaît. Et non, je ne me suis évidemment pas converti aux GAFAM pendant la nuit, et si je te parle de Métavers, ce n'est certainement pas pour en faire la promo.
Alors remettons les points sur les I : pour commencer, c'est quoi, le Métavers ? Eh bien le Wiktionnaire dont je parlais plus tôt nous dit que c'est un « univers virtuel ». Point. Moui, bon, c'est un peu léger, comme définition. Des univers virtuels, y'en a des tonnes. N'importe quel jeu vidéo se déroule dans un univers virtuel, sans que ce ne soit un Métavers pour autant. Au sens large, on pourrait même considérer que n'importe quelle œuvre de fiction se déroule dans un univers virtuel : même la plus ancienne légende de la plus primitive des civilisations humaine, elle décrit souvent un univers virtuel, au sens « fictif ».
Mais le Métavers, c'est bien plus que cela : c'est la contraction de « méta » et « univers », et « méta » ne signifie pas « virtuel ». C'est un préfixe qui signifie « profond » ou « au-delà » : quand Facebook nous promet le Métavers, elle nous promet un univers qui étend le nôtre, un univers virtuel, certes, mais qui rivalisera avec notre univers physique, et dans lequel on pourra se mouvoir et… vivre, en fait. Avec la technologie des casques de réalité virtuelle, on pourrait fréquenter des amis à des kilomètres de là comme si les distances n'existaient plus ! Dans une réalité plus vraie que nature que l'on pourrait modeler comme on le voudrait, libérés des contraintes du monde bassement physique.
Ah. Ça vous fait pas rêver, ça ? Bah c'est marrant, moi non plus.
Et pas juste parce que les quelques exemples de Métavers qu'on a vus jusqu'à maintenant nous ont plutôt fait pleurer de rire : oui parce que si c'était pour nous pondre des remake complètement pétés de Second Life, avec des graphismes qui feraient honte à la Playstation 2, c'était vraiment pas la peine de se la raconter avec des expressions nébuleuses comme « Métavers », hein.
Non mais surtout, parce que les casques de réalité virtuelle, quand c'est appliqué au jeu vidéo, ça peut être rigolo – j'en ai moi-même déjà testés, et oui, c'était chouette. Mais un casque de réalité virtuelle pour accéder à des mondes factices auxquels confier nos vies… eh bien ça n'évoque pas un imaginaire très positif, en général.
Je m'explique : on aime souvent dire que la réalité dépasse la fiction, et que la technologie d'aujourd'hui rappelle parfois la science-fiction d'hier. Par exemple, on s'émerveillait toujours de voir les personnages de SF communiquer par visiophone quand nous étions bloqués sur nos bêtes téléphones audios. Et la visio a fini par être développée et a plutôt été adoptée avec enthousiasme. Alors certes, elle n'a pas du tout remplacé le téléphone comme la SF nous le prédisait, mais elle existe et est couramment utilisée.
Alors que le Métavers… ben je pense que pour beaucoup de monde, ça évoque Matrix, un blockbuster assez furieusement dystopique, où le monde virtuel est une véritable prison pour l'esprit des êtres humains, qu'on garde occupés dans leur Métavers, la Matrice, pendant qu'on les utilise comme combustible pour alimenter des machines.
Moi, ça me rappelle aussi un bouquin que j'avais lu quand j'étais ado, un truc qui s'appelait Slum City, écrit par le français Jean-Marc Ligny. Dans Slum City, si je me souviens bien, l'humanité vivait principalement dans un Métavers, branchée en quasi-permanence à leurs casques de réalité virtuelle, l'univers réel étant devenu considéré comme une sous-réalité. Et autant vous dire qu'à 14 ans, j'avais été assez marqué par l'histoire d'un des personnages principaux : un personnage qui finit par découvrir que ses parents sont en fait morts depuis plusieurs semaines dans le salon, bien installés dans leurs fauteuils de réalité virtuelle, parce qu'ils s'y étaient tellement perdus qu'ils avaient fini par oublier leur réalité physique, jusqu'à ne plus jamais se déconnecter pour se nourrir ou dormir.
Bon. Ça, c'est mon souvenir personnel, mais des histoires comme ça, la SF en regorge, et c'est pas un hasard : c'est qu'on sent quand même assez bien que, derrière toutes les belles promesses de mondes idéaux et de libération, le Métavers a tout le potentiel pour devenir une véritable prison. Dorée, peut-être, mais une prison quand même.
Et il ne faut pas se leurrer, les expériences de confinement liés au Covid19 n'ont rien fait pour arranger ce sentiment : je parlais de la visio tout à l'heure, et autant la visio a été salutaire pour entretenir un semblant de relations sociales pendant les confinements, autant ça a été l'occasion d'en découvrir les limites. La visio pour le télétravail c'est pratique, mais ça remplace difficilement une soirée canapé entre amis.
Même quelqu'un comme moi, qui suis plutôt très casanier, geek, introverti, qui aime bien être seul, qui n'aime pas trop la foule… bah j'ai fini par me surprendre à dire des choses incroyables comme : « bon, euh, on sort, on va voir des gens ? »
Alors c'est peu dire que l'idée de me poser un casque sur le museau pour voir des avatars en 12 polygones de mes proches ne m'attire pas du tout. Surtout dans un monde qui sera, à n'en pas douter, blindé de publicités et entièrement conçu pour exploiter toujours plus nos comportements, nos données personnelles, etc.
Ah bah oui. Quel intérêt aurait Facebook à balancer des milliards dans un projet de Métavers, sinon pour ça ? Ah, autant te dire qu'aller aux toilettes pendant la pub au milieu du film, je doute que ça soit possible dans le Métavers. Non, le Métavers, tu seras dans la pub. Je te laisse imaginer le niveau de liberté que t'autorisera un univers entièrement façonné et contrôlé par Facebook.
Fort heureusement, il semblerait que je ne sois pas le seul à faire un rejet assez viscéral à l'idée de Métavers. Sans même parler des bad buzz sur la qualité risible des graphismes présentés ou les prix encore assez rédhibitoire des casques de réalité virtuelle, c'est peu dire que les projets de Métavers n'attirent pas les foules. Ainsi, Horizon Worlds, le fameux Métavers de Facebook, ne compte qu'environ 200 000 visites par mois. Alors certes, c'est beaucoup, mais cela reste ridicule par rapport au 3,5 milliards de visites des autres applications du groupe, Facebook et Instagram en tête. L'action de l'entreprise Meta a d'ailleurs perdu les 3/4 de sa valeur depuis le lancement de ce Métavers.
C'est d'ailleurs un des points qui me rend parfois optimiste sur l'emprise des GAFAM sur nos sociétés : des fois, les GAFAM se plantent. Rappelez-vous des smartwatchs, les montres intelligentes, qui étaient appelées à prendre la suite des smartphones dans la grande révolution des objets connectés, avant de faire un flop plutôt retentissant. Même chose pour les Google Glass, des lunettes connectées avec affichage de réalité augmentée et qui n'ont jamais suscité beaucoup d'enthousiasme.
Alors restons prudents sur les prédictions hasardeuses, peut-être que le Métavers finira par s'imposer, j'en sais rien. Ne sous-estimons jamais la puissance des multinationales à nous faire avaler des choses dont nous ne voulons pas, à « créer des besoins », comme on dit.
Pour l'instant en tout cas, au-delà de Facebook, même d'éventuels Métavers publics – dont on pourrait espérer qu'ils ne soient pas au service de la captation de données et de la publicité – peinent à convaincre les gens : ainsi, la Commission Européenne a balancé 387 000 € dans un Métavers gratuit, accessible à tout le monde, et qui a rassemblé pour sa soirée d'ouverture un nombre record de 5 personnes. Pas 5000 hein, cinq.
Bref, pour le moment, le Métavers n'a pas l'air d'intéresser grand monde à part les quelques technobéats qui continuent à penser qu'il faudrait s'échapper vers d'autres mondes – sur Mars pour Elon Musk ou dans la réalité virtuelle pour Zuckerberg – au moment où de plus en plus de gens s'inquiètent du fait qu'il serait sans doute préfèrable de ne pas totalement flinguer le nôtre, de monde.
Est-ce qu'un Métavers adopté massivement serait compatible avec les objectifs de limitation du réchauffement climatique ? Personnellement j'ai des doutes, mais je vous laisse y réfléchir et je vous dis : salut !