Parlons d’art contemporain
Bon, aujourd’hui je vais crever un abcès de taille : bonjour, je m’appelle Gee et je suis un art-contemporanophobe anonyme.
Parlons d'art contemporain
💡 Il y a peu de temps, une oeuvre d'art contemporain a fait des remous : l'emballage de l'Arc de Triomphe dans du polypropylène, un projet de (feu) Christo. Les remous ont, comme souvent, opposé deux camps :
Alors bon, que la droite réac s'indigne, ça va pas nous faire tomber de notre chaise… c'est les mêmes qui chialent quand on met un F à « nénufar » ou qui saignent du nez quand on suggère que les LGBT devraient avoir les mêmes droits que les autres.
⚠️ En revanche, j'aimerais voir un peu moins d'adhésion aveugle de principe et un peu plus d'esprit critique à gauche. Il me semble en effet qu'il y a aurait pas mal de choses à analyser socialement sans se vautrer dans l'indignation réactionnaire et les cris d'orfraie de bas étage.
▶️ Au-delà de l'aspect spéculatif sur lequel je ne vais pas m'étendre, on pourrait critiquer un des principaux usages qui est fait de l'art contemporain : distinguer socialement celles et ceux qui ont le niveau intellectuel nécessaire pour apprécier la subtilité de l'art contemporain… des ploucs.
✷ J'invente rien, je cite Wikipédia.
Personnellement, j'ai longtemps feint la position intellectuelle, pas parce que j'appréciais réellement l'art contemporain, mais parce que j'avais bien compris que c'était ce qu'il fallait dire pour briller en société.
Et je pense que je suis loin d'être le seul.
(Je suis même assez persuadé que c'est le cas de la majorité des gens qui défendent l'art contemporain, mais bon, ça je ne peux pas le prouver…)
On va me dire : mais qui es-tu pour décider de ce qui est l'art qui vaut qu'on s'y attarde ?
Ben… personne, mais justement, il semble qu'on devrait toutes et tous pouvoir le faire.
💡 Vous voyez, quand j'étais un ado fan de Linkin Park, j'avais régulièrement ce genre de débat avec des camarades :
(Oui, j'avais les cheveux en piques à l'époque, QUOI KESKYA ?)
Je ne dis pas que ces débats étaient d'un grand intérêt, mais ils avaient le mérite d'exister : oui, l'art est discutable.
⚠️ Sauf que l'art contemporain provoque chez ses adeptes la gymnastique intellectuelle la plus acrobatique : continuer de prétendre que l'art est subjectif tout en rendant indiscutable la forme d'art la plus discutable.
C'est-à-dire que si vous trouvez l'urinoir bouleversant, grand bien vous fasse, mais prière de me laisser trouver ça navrant sans supposer d'emblée que je n'ai juste pas compris.
J'ai tendance, pour ma part, à considérer que l'art doit être quelque chose qui provoque une émotion qu'on ne pourrait pas avoir par un autre moyen, ce qui en général requiert la mise en œuvre d'un certain talent ou savoir-faire.
▶️ On en arrive au nœud du problème. Ce qui fait que des œuvres d'art contemporain comme l'urinoir de Duchamp sont considérées comme art, ce n'est pas qu'elles soient intéressantes, belles, moches, choquantes ou inédites : c'est principalement la position sociale de l'artiste, validée par les autorités culturelles.
En cela, l'art contemporain, dans sa conception comme dans sa réception, repose essentiellement sur des déterminismes sociaux purement arbitraires (et participe même à les essentialiser).
À ce titre, je trouve ça assez dingue que certaines personnes se réclamant de la gauche continuent à le défendre aveuglément.
▶️ Vous allez me dire : admettons, mais est-ce que ça n'est pas la même chose pour le reste de l'art ? Oui, après tout combien « d'artistes » de renom produisent des daubes qui passent en boucle à la radio ? À l'inverse, combien de talentueuses musiciennes et de talentueux peintres vivent grâce un job alimentaire et ne connaîtront jamais le succès ?
Alors oui, les aléas du succès et le fonctionnement du star system jouent sans doute plus que le talent dans la reconnaissance de telle ou tel artiste.
Pourtant, l'art, celui « qui mérite qu'on s'y attarde », comme je le désignais, j'y suis sensible même en l'absence de position d'autorité de l'artiste.
Je ne dis pas que je vais devenir fan et acheter tous les disques de ce type – j'admets en effet la part d'aléatoire du star system et des déterminismes qui font que je réserve ce traitement à des Radiohead et cie –, mais je peux reconnaître une interprétation ou une composition brillante indépendamment de la position sociale de l'artiste.
⚠️ Alors que, pardon, mais si on voyait un type envelopper des trucs dans du cellophane dans la rue en clamant à qui veut l'entendre que c'est une œuvre d'art, on aurait probablement ce genre de réaction :
Oui, on en rigolerait un bon coup et on passerait son chemin.
On devrait peut-être s'autoriser à faire la même chose même lorsque « l'œuvre » émane d'une position d'autorité.
🛈 Si vous avez aimé cet article, vous pouvez le retrouver dans le livre Grise Bouille, Tome VI.