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Plagiat involontaire & copies ratées

Publié le 30 décembre 2025 par Gee

Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.

Logo de l'émission Libre à vous !

Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.

Texte de la chronique

Salut camarades,

Aujourd'hui, on va parler d'art, et notamment des problèmes de plagiat. Alors le plagiat, si je cite Wikipédia, ça « consiste à copier un auteur, ou accaparer l'œuvre d'un créateur dans le domaine des arts, sans le citer ou le dire ». Du coup là, j'ai cité Wikipédia, ça n'est donc pas du plagiat puisque je ne prétends pas avoir écrit la phrase moi-même, vous voyez ?

Régulièrement, on a des petits scandales dans les milieux artistiques lorsqu'un plagiat est révélé, on peut par exemple penser à l'affaire CopyComic où Gad Elmaleh (notamment) s'était fait épingler pour avoir traduit des sketchs d'humoristes américains sans le dire.

Alors personnellement, j'ai le respect des artistes et de leurs créations, donc je ne fais jamais de plagiat. En tout cas, pas volontairement. Si vraiment, j'ai envie de reprendre une blague à quelqu'un, je cite toujours ma source… à condition de la connaître.

Bah oui, parce qu'en revanche, le plagiat involontaire, ça arrive à tout le monde d'en faire, et je n'y suis moi-même pas immunisé. Le plagiat involontaire, c'est quand vous pensez avoir eu une idée originale, avoir créé quelque chose de neuf, et que vous découvrez que quelqu'un a en fait déjà eu la même idée et a déjà produit la même chose.

La toute première fois où ça m'est arrivé, je m'en souviens encore, c'est quand j'étais ado. On jouait de la musique avec un copain, et à un moment donné, je lui dis « tiens, j'ai trouvé un chouette riff de guitare, écoute ». Là, je lui joue, et immédiatement, mon pote me dit : « Bah t'es con ou quoi, c'est le riff de Popular de Nada Surf. » Ah.

Alors ce pote en question écoutait Nada Surf, moi pas, et je devine donc ce qui a pu se passer : à un moment donné, j'ai dû entendre la chanson chez lui, sans trop faire gaffe, puis l'oublier, et elle m'est revenue en tête sans que je ne me souvienne de la source. J'ai donc supposé que c'était moi qui l'avais inventée. Évidemment, à partir du moment où j'ai compris que ce n'était pas le cas, j'ai laissé tomber ce riff, parce que comme je le disais, le plagiait volontaire, ça ne m'intéresse pas. En revanche, involontairement, ça m'est depuis arrivé plusieurs autres fois, et notamment dans mes publications en ligne où on me le signale en général assez rapidement.

Parfois, on peut même faire du plagiat involontaire sans avoir eu connaissance de l'œuvre d'origine : par exemple, dans ma BD « La Chaîne Météore », qui se passe dans un monde préhistorique anachronique, il y a un diplodocus qui travaille dans un journal, « Le Monde Diplo ». Bah oui, c'est rigolo, c'est un jeu de mots… et ça a déjà été fait dans « Silex and the City », une autre BD préhistorique… que je n'ai jamais lue ! Mais évidemment, « Le Monde diplomatique » est une référence commune, la similarité entre diplomatique et diplodocus est évidente, et donc on peut facilement tomber sur le jeu de mots sans qu'il n'y ait eu d'influence directe.

J'en deviens même souvent parano, et c'est pas rare que je cherche sur Internet si quelqu'un a déjà eu la même idée que moi avant de me lancer dans une réalisation.

C'est pour ça que je suis toujours sceptique quand j'entends certaines accusations de plagiat. Y'a quelques années, la chanteuse Adèle avait été accusée d'avoir plagié la partie de piano de Someone Like You sur quelqu'un d'autre : mais honnêtement, la partie de piano en question est un arpège franchement banal sur une grille d'accord archi-utilisée… est-ce que c'est vraiment du plagiat ou juste deux personnes qui sont tombées sur le même arrangement par hasard ? Ben moi qui fais pas mal de musique, la deuxième option me semble plus plausible : dans un style aussi codifié que la musique pop, on retombe très souvent sur les mêmes accords, les mêmes arpèges, etc. De toute façon, faire volontairement du plagiat à l'heure d'Internet en espérant que ça ne se découvre jamais, c'est un pari qui a peu de chance d'être gagnant, donc l'intérêt est très vite contrebalancé par les risques en termes d'image.

D'ailleurs dans certains styles hyper contraints, est-ce que la notion de plagiat a encore du sens ? Typiquement, 90 % des morceaux de blues utilisent l'exacte même grille d'accords, qu'on appelle d'ailleurs la « grille blues » : est-ce que tous les morceaux de blues sont tous des plagiats les uns des autres ? Ça n'a pas vraiment de sens.

Même chose pour le rock'n'roll qui utilise aussi cette même grille. Oui, si vous l'ignoriez, pour faire un morceau de rock'n'roll, c'est simple : vous prenez un morceau de blues, vous le jouez deux fois plus vite en poussant la distorsion sur la guitare, et paf, vous avez votre morceau de rock'n'roll. Donc si vous entendez un morceau de rock'n'roll et que vous pensez « oh, mais c'est un plagiat de Johnny B Good », bah non ! C'est juste un morceau de rock'n'roll !

C'est une des nombreuses raisons pour lesquelles, personnellement, je suis un ardent défenseur des licences libres, et je serais d'ailleurs partisan d'un assouplissement considérable du droit d'auteur. Droit d'auteur qui me semble très peu adapté à la réalité de la création, puisqu'il repose sur l'idée qu'un artiste est une sorte de génie dont émane la création pure ex-nihilo ; alors que la production artistique est toujours contextuelle, influencée par son époque, ses références communes, et que la fameuse « paternité » d'une œuvre devient difficilement attachable à une personne… mais bien à la conjonction de cette personne AVEC cet ensemble de contexte, d'époque, de références, etc.

On dit « j'ai une idée », mais on devrait dire « il me vient une idée », parce que cette idée est tout autant le produit de notre imaginaire que d'un remix de tout ce qui a construit cet imaginaire.

D'ailleurs, j'irai même plus loin : je pense que la grande majorité de l'art que nous produisons est une copie ratée de l'art que nous apprécions. Je m'explique.

Il y a une anecdote que j'aime bien raconter, et qui concerne la chanson Airbag, qui ouvre le cultissime OK Computer de Radiohead, un de mes groupes préférés. Dans une interview, Thom Yorke, le chanteur, expliquait qu'ils avaient essayé d'imiter le style de DJ Shadow pour donner une sonorité particulière à la batterie, mais qu'ils s'étaient lamentablement planté. Ils n'avaient pas réussi à imiter DJ Shadow… mais le résultat était intéressant, et finalement c'est devenu leur propre truc, donc ils l'ont gardé. Le son de la batterie d'Airbag de Radiohead, au final, c'est juste une copie ratée de DJ Shadow.

J'aime bien cette explication, parce que si je suis honnête avec moi-même, je peux analyser mes propres œuvres comme autant de copies ratées d'autres œuvres que j'aime bien : pas ratée dans le sens « c'est nul », mais plutôt dans le sens « je voulais pareil, mais j'ai tapé tellement à côté que ça n'est plus une copie mais un truc bien à moi ». Et en fait c'est logique, puisque c'est en regardant, en écoutant, en lisant d'autres artistes que j'ai eu envie de faire de l'art !

C'est en lisant Isaac Asimov que j'ai eu envie d'écrire de la SF ; en écoutant Linkin Park et Muse que j'ai eu envie de faire de la guitare ; en lisant Spirou, Kid Paddle, et bien d'autres que j'ai eu envie de faire de la BD ; etc. etc.

Ce n'est sans doute pas un hasard si mes personnages de BD sont trapus avec les mains en arrière comme ceux de Kid Paddle, si mon style d'écriture de roman est souvent descriptif et sans fioritures comme celui d'Asimov, et je pourrais continuer.

Pourtant, mes BD n'ont pas grand-chose en commun avec Kid Paddle, mes romans n'ont pas une parenté évidente avec Asimov, parce que malgré mes envies de « faire pareil », eh bien mes autres influences, ma propre histoire, mon identité en fait, tout cela a fait dévier la copie et a fait que mes œuvres ont pris leur propre chemin, sont devenues des œuvres à part entière.

Alors je sens qu'on pourrait me dire : « mais Gee, toi qui passes ton temps à critiquer l'IA générative, est-ce qu'en fait, ce n'est pas exactement ce qu'elle fait ? Copier tout un tas de trucs, de références communes, mais en faisant des erreurs pour créer quelque chose de nouveau ? »

Eh bien je ne suis pas d'accord. Quoi, ça vous étonne ? Non, je ne suis pas d'accord, principalement parce que la raison et le résultat de ces erreurs diffère radicalement, et j'ai même l'intuition que c'est le cœur de la différence entre l'art généré par IA et l'art humain : là où nos propres erreurs sont dues à nos singularités, à ce petit quelque chose qui nous rend toutes et tous uniques, les erreurs de l'IA viennent au contraire d'un moyennage statistique qui donne une uniformisation et lisse les différences et les singularités au lieu d'en ajouter.

Si je dois dessiner mon image de Paris, je ferais sans doute quelque chose de très lié à ma propre connaissance de la ville, les quelques lieux que j'ai beaucoup traversés, comme le chemin que je prends pour venir à ce studio depuis la Porte de Clignancourt, en longeant la ligne de tram. Alors qu'une IA générative sera infoutue de produire une image de Paris sans la Tour Eiffel, voire même en en mettant plusieurs, hein ; de même qu'elle affichera toujours 10h10 sur les horloges, parce que statistiquement, toutes les images des boutiques d'horlogerie montrent des horloges à 10h10.

Bref, mon point de vue sur l'histoire de l'art, c'est que c'est de copie ratée en copie ratée que nous avons fait vivre notre imaginaire collectif, depuis les premières légendes, les mythologies antiques, jusqu'à nos histoires modernes, nos séries télé, nos bouquins, nos BD. Chaque copie ratée étendant l'horizon des imaginaires en ajoutant à chaque fois les petites particularités des époques, des lieux, les singularités des hommes et des femmes qui ont écrit, dessiné, sculpté, filmé… Là où l'IA générative rend notre horizon artistique toujours plus étroit, en moyennant tout vers le plus petit dénominateur commun, et produisant ces affiches aseptisées, toutes pareilles, lisses et sans singularité, et dont les erreurs ne sont que statistiques. Avec, il faut bien l'avouer, un gigantesque biais vers la culture occidentale des 30 dernières années, celle qui domine sur Internet.

Pour conclure, entre d'un côté, un droit d'auteur inadapté et incapable de prendre en compte les problématiques liées au plagiat involontaire de façon satisfaisante ; et de l'autre côté, le raz-de-marrée de l'IA générative qui uniformise les productions audiovisuelles… il y a une place à défendre pour un imaginaire libre, foisonnant, qui repose sur l'enrichissement des communs par chacune et chacun de nous. Et moi, cet imaginaire, auquel j'essaie modestement d'apporter ma pierre avec mes petits gribouillages et mes histoires rigolotes sous licence libre, je dois dire qu'il continue de me faire rêver et de me passionner.

Et j'espère que vous aussi.

Publié le 30 décembre 2025 par Gee
Les Humeurs de Gee

Chronique radio donnée mensuellement dans l'émission de l'April Libre à vous. J'y expose mon humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-internet de notre classe politique, je partage ce qui m’énerve, m’interroge, me surprend ou m'enthousiasme, toujours avec humour.

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