LHDG07. GNU/Linux, c'est trop compliqué ?
Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.
Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.
Texte de la chronique
Salut à toi, public de libre à vous,
Aujourd'hui, j'ai décidé de m'attaquer à un cliché qui a la peau dure : GNU/Linux, c'est compliqué, et le logiciel libre en général, c'est réservé aux experts et aux gens qui maîtrisent l'informatique.
Alors, dans un souci de précision, je ne vais pas dire Linux tout court, hein, car Linux n'est pas le nom du système d'exploitation mais seulement du noyau du système. Mais comme GNU/Linux, le vrai nom, c'est un peu trop long, je vais pour cette chronique l'appeler Gnunux. Je trouve que c'est plus court et c'est aussi plus mignon, ce qui ne gâche rien.
Gnunux, donc, serait trop compliqué pour le commun des mortels. En tout cas, plus compliqué que ses concurrents, les mastodontes Windows de Microsoft et macOS de Apple. Pareil, par extension, pour l'ensemble des logiciels libres, de Firefox à VLC en passant par Gimp ou LibreOffice.
Bon, reconnaissons tout d'abord qu'il y a une part de vérité dans tout cela. Qui est de moins en moins importante hein : même installer Gnunux sur un ordinateur, de nos jours, ça se fait quand même relativement les doigts dans le pif. Oui alors je sais, ça resterait complètement hors de portée pour M. et Mme Tout-le-monde, mais en même temps je doute qu'installer un Windows leur soit plus accessible : ce qui est simple avec Windows, c'est que c'est directement installé sur les PC vendus. Ah bah la vente liée, qu'on appelle racketiciel par chez nous, c'est dégueulasse, mais faut reconnaître c'est pratique. Bon, c'est aussi très pratique pour les profits de Microsoft, Apple ou même Google, mais passons.
En ce qui concerne la prétendue plus grande difficulté des logiciels libres, elle est souvent due à une qualité de design et d'interface utilisateur moindre. Oui, les logiciels libres sont souvent visuellement moins jolis que leurs équivalents propriétaires, et leurs interfaces graphiques ne sont pas toujours évidentes à prendre en main. Même si encore une fois, ça va plutôt de mieux en mieux et ça reste une grosse généralité : des logiciels libres comme Ardour pour la musique assistée par ordinateur ou Inkscape pour le dessin vectoriel ont des interfaces à la fois jolies et pratiques.
Mais c'est vrai, reconnaissons que ces faiblesses dans les interfaces et le design existent. Elles s'expliquent entre autres par le fait que pas mal de logiciels libres sont gérés par des bénévoles, et qu'il est toujours plus simple de dégager du temps de bénévolat quand tu es ingénieur avec un gros salaire que quand tu es graphiste freelance en galère. De fait, les logiciels libres sont souvent faits exclusivement par des gens qui développent et écrivent du code, et qui assurent donc les parties de design et d'interface utilisateur sans avoir de qualification sur ces sujets. Ben oui, de fait, on fait ce qu'on peut.
Ceci étant dit, je trouve qu'on a tendance à surestimer la simplicité des logiciels propriétaires. Je dirais même que dans pas mal de cas, les logiciels libres sont beaucoup plus simples et beaucoup mieux foutus.
Un exemple : personnellement, je suis passé à Gnunux en 2007, en remplaçant mon Windows XP par un Ubuntu 7.04. Eh bien une des choses qui m'ont frappés à l'époque, c'était la façon dont était géré le menu pour lancer des logiciels, l'équivalent du menu « Démarrer » des Windows de l'époque.
Vous voyez, sur Windows XP, quand vous installiez un logiciel et que vous vouliez ensuite le lancer : il fallait cliquer sur Démarrer, puis Applications, puis trouver le dossier avec le nom de l'éditeur du logiciel – par exemple Adobe pour Photoshop – puis enfin le nom du logiciel.
Alors que sur Ubuntu, bah quand j'installais Gimp, l'équivalent libre de Adobe Photoshop, pour le trouver dans le menu, je devais cliquer sur Logiciel, Graphismes. Et Gimp. C'est dingue. Et attendez, hein, quand j'installe un logiciel de bureautique, pareil : je le trouve dans Logiciel, Bureautique. Ceci est une révolution.
Eh oui, mais c'est un exemple typique de comment une différence de philosophie fondamentale peut changer quelque chose qui a l'air trivial et qui pourtant rend un système plus ou moins complexe : sur Windows, l'important, c'est que l'éditeur du logiciel puisse afficher sa marque ; sur Gnunux, l'important, c'est que vous retrouviez facilement votre logiciel.
La réalité, c'est que les Windows et compagnie ont des parts immenses de complexité que les gens ont tout simplement intégré et que les GAFAM font passer pour normale et acceptable.
Autre exemple, les grosses plateformes en ligne comme YouTube ou Facebook sont blindées de pub, c'est chiant, ça perturbe la lecture, mais tout le monde trouve ça normal, parce que faut bien financer les plateformes alors mêmes si ça complexifie l'expérience utilisateur, bah ça va. Alors que sur Peertube ou Mastodon, d'accord y'a pas de pub, mais, rolalah, y'a plusieurs domaines différents, y'a pas qu'un seul site, c'est compliqué, pfff.
Tiens, une petite anecdote : il y a quelques années, je m'étais mis en tête de faire du dessin en direct, en streaming. À l'époque, y'avait pas d'alternative libre, alors j'avais jeté un œil à Twitch : aaah, mais quelle horreur. Non mais l'interface côté vidéaste, c'est un arbre de Noël, y'a des boutons partout, ça clignote, t'as des trucs pour la monétisation, pour gérer la communauté, pour les abonnements, pour les… aaaaah, mais je veux juste lancer une vidéo en direct. C'est quoi ce boxon. Il est où le bon bouton.
Bon, et en vrai ça m'a tellement gonflé que j'ai laissé tomber. Quelques mois plus tard est sortie une mise à jour de Peertube, le logiciel d'hébergement de vidéos libre et décentralisé, grâce à laquelle la diffusion en direct était devenue possible. Chouette ! Alors là je tente, et c'est le jour et la nuit : y'a UN bouton « Lancer une vidéo en direct ». Peertube me file une adresse et une clef à copier dans le logiciel de streaming. Tu copies, tu lances, ça marche. Le bonheur !
Et après on va me dire que le logiciel libre est plus compliqué que le logiciel propriétaire ?! Alors peut-être que les logiciels libres sont parfois moins jolis et un peu moins intuitifs… mais au moins ils te font pas chier ; ils se mettent pas constamment en travers de ton chemin ; quand tu veux faire un truc simple, t'as une interface simple.
Le truc, c'est que la complexité imposée par les logiciels propriétaires pour des raisons de rentabilité ou de contrôle est devenue tellement naturelle qu'elle en devient invisible. Ça n'est que quand on en est sortis, en passant par exemple sur un système Gnunux, qu'on se rend compte des trucs insupportables qu'on acceptait sans broncher avant. Et qu'on se rend compte aussi de tous les domaines où le propriétaire fait moins bien ou est complètement à la bourre par rapport au logiciel libre.
Par exemple, moi ça m'avait fait doucement marrer quand Spotify avait annoncé avec une fierté non dissimulée qu'il était désormais possible d'afficher les paroles pendant qu'une chanson passait ! Ouahou, encore une fois, quelle révolution ! Bon, moi ça m'avait bien fait marrer, parce que sur les lecteurs audios libres sur Gnunux, ça devait faire à peu près 10 ans qu'on avait des plugins pour afficher les paroles, mais bon. C'était pas une fonctionnalité qui impliquait des accords bien juteux avec les majors, ou qui permettait de faire de la pub pour vendre des abonnements donc… bah c'était pas une innovation, voilà. Une innovation, c'est quand y'a du pognon. Sinon c'est juste des lubies de gauchistes.
Eh bah moi, quand même, je trouve qu'on est pas mal sur nos outils libres, un peu moches parfois, un peu rugueux, mais dans lesquels on se sent bien. Un peu comme dans un café associatif : les tables, c'est de la récup, les boissons sont servies dans des écocups un peu moches, le local ressemble plus à un hangar qu'à un salon de thé… mais les gens sont cools, on discute, on rigole, pi c'est des produits locaux et c'est pas cher, voire à prix libre. Alors que dans le bar lounge branché d'afterwork de Microsoft et Apple, d'accord c'est joli et raffiné, mais alors vas-y comme on te prend de haut, tenue correcte exigée, oh le nul il a pas de chemise ; et vas-y comment tu paies ton cocktail 15 balles pour te faire encaisser directement par un serveur sous-payé et hautain qui te fait pas suffisamment confiance pour te garder une ardoise plus de 20 secondes.
Je ne peux donc que vous conseiller de passer outres d'éventuelles mauvaises premières impressions sur des logiciels libres ; ayez de l'indulgence – encore une fois, des fois on fait ce qu'on peut –, persévérez un peu, et vous verrez : Gnunux et les logiciels libres, en vrai, ça vous complique vachement moins la vie que les logiciels propriétaires.
Allez salut !