LHDG19. Dites adieu aux kilos en trop
Préambule : je participe à Libre à vous !, l'émission de radio de l'April, diffusée en région parisienne sur la radio Cause Commune (93.1 fm) et sur Internet dans le reste du monde. J'y tiens une chronique humoristique mensuelle intitulée Les humeurs de Gee.
Un grand merci à l'équipe de l'April pour l'accueil, l'enregistrement, et tout le boulot d'édition des podcasts ! Vous pouvez aussi retrouver le reste de l'émission en ligne.
Texte de la chronique
Salut à toi, public de Libre à vous,
Après ma chronique du mois dernier sur l'IA, chronique un chouia énervée, je me suis dit que j'allais terminer cette saison, puisque ce sera je crois ma dernière chronique avant la pause estivale, sur une note plus légère.
Voilà, c'est l'été dans quelques jours – enfin ça saute pas aux yeux vu le temps de chiotte – mais c'est l'été dans quelques jours, et ça me semble le bon moment pour t'offrir mes recettes minceurs : tu vas pouvoir dire adieu aux kilos en trop !
Alors non, cher public, ne change pas de fréquence tout de suite, je te rassure : je ne suis pas en train de céder au diktat de la minceur et de la chasse aux bourrelets. Non, évidemment le titre de cette chronique n'est qu'un bon mot, car on ne va pas parler de kilogrammes mais de kilooctets. Aaah, je t'entends pousser un soupire de soulagement : été ou pas, chronique légère ou pas, on va parler d'ordinateur. Ouf.
Je vais commencer par préciser que cette chronique est une adaptation d'une vieille BD que j'avais publié en 2015 sur mon blog, le lien sera sur la page du podcast. Oui, je recycle, c'est mon côté écolo. Et cette blague sur le fait que je recycle parce que je suis écolo, je l'ai aussi déjà recyclée des dizaines de fois, c'est dire si je sais de quoi je parle.
BREF. Après cette longue intro, entrons dans le vif du sujet avec une petite mise en situation. Tu as un nouveau téléphone. Alors, il est tout beau, tout propre, il est reconditionné parce que toi aussi, tu es écolo, seul problème : il a une mémoire riquiqui. Qu'à cela ne tienne, te dis-tu : je m'en vais de ce pas aller acquérir une carte microSD, mon beau téléphone étant pourvu d'un emplacement idoine.
Je sais, je sais, c'est palpitant comme aventure.
Tu te rends donc dans un magasin d'informatique – ou sur un site d'e-commerce – et tu choisis une carte de 64 gigaoctets à 10 €. Et tu es content, car 64 gigaoctet à 10 €, ça fait à peine 0,000015 centimes le kilo, vachement moins cher que des fruits et légumes. Pour votre santé, manger cinq clefs USB et carte SD par jour. Non, je plaisante. De toute façon, suffit de manger du poisson pour bouffer tout le microplastique des océans, mais on va arrêter de parler d'écologie ou cette chronique va finir par être beaucoup moins détendue.
Bon, donc, lorsqu'enfin, tu es en possession de ta fabuleuse carte microSD de 64 gigaoctets, tu l'insères dans ton ordinateur pour copier tes photos sur ton téléphone, et là, stupeur… elle ne pèse en fait que 59,6 giga au lieu des 64 annoncés. Et ça c'est quand même la loose, ça fait donc 0,000017 centimes le kilo au lieu de 0,000015 centimes le kilo comme tu le croyais !
Enfer et damnation, te dis-tu, ça m'apprendra à commander sur Amazon, et ils sont où mes 5 gigas que j'ai payé, non mais dis donc, c'est quand même de l'arnaque !
Eh bien en fait, non. Le truc que tu ignores peut-être, c'est que les fabricants de supports numériques et les systèmes d'exploitation comme celui sur ton ordinateur n'utilisent pas toujours la même définition des préfixes « kilo », « méga », « giga », etc.
Enfin, du coup… Oui, en fait, c'est un peu de l'arnaque, puisqu'on joue volontairement sur l'ambiguïté de termes techniques. Je t'explique.
Il se trouve qu'en informatique, on a cette manie de compter en base deux et de tout grouper par puissances de deux. On est vachement manichéens, quoi. Euh, binaires, pardon, on est vachement binaires. Du coup, quand on a voulu faire des gros groupes d'octets, il a paru plus naturel de les grouper par puissances de deux au lieu de puissances de dix : au lieu de mettre 1000 octets dans un kilooctet (103), on a décidé d'entre mettre 1024 (soit 210).
Sur le coup, on s'est dit : « boarf, ça va, ça fait une erreur de 2 %, on va pas en chier un processeur ». Sauf qu'évidemment, à l'époque, c'était les années 60 hein, autant le kilooctet avait le vent en poupe, autant le mégaoctet semblait loin et le gigaoctet encore inimaginable. Le problème, c'est que cette « petite » erreur sur les kilos va se multiplier : eh oui, car au lieu de faire 1000 fois 1000 fois 1000, etc. pour atteindre les préfixes supérieurs, on va faire 1024 fois 1024 fois 1024. Ce qui fait qu'autant la différence entre un kilo ordinaire et ce qu'on pourrait appeler un « kilo binaire » n'est que de 2 %, autant elle passe à 5 % pour les mégas et à 7 % pour les gigas.
Et comme on parle de quantité de données de plus en plus grosses, cette erreur porte aussi sur des quantités de plus en plus grosses : ainsi, un kilo binaire, 1024 octets, contient 24 octets de plus qu'un vrai kilo, ce qui correspond en gros à une toute petite phrase de 24 lettres. C'est léger. Alors qu'un giga binaire contient 74 mégas de plus qu'un giga normal, ce qui correspond à peu près à 20 fois l'intégralité des trois tomes du Seigneur des Anneaux, quand même.
Bref, comme cette ambiguïté est devenue de plus en plus gênante, on a fini par régler le problème en 1998 (oui, on a mis le temps) avec l'introduction des préfixes binaires : ainsi, un kilooctet fait bien 1000 octets, et c'est le kibioctet — kibi pour « kilo binaire » – qui fait 1024 octets. De même, on a un introduit le mébi, méga binaire, le gibi, giga binaire, etc. Évidemment, si vous n'en avez jamais entendu parler, c'est normal : personne ne les utilise.
Du moins, pas à l'oral : parce qu'en vrai, moi, sur mon petit GNU/Linux personnel, si je regarde mes fichiers, je vois que leurs poids sont donnés en kio, Mio, Gio, ce qui signifie bien kibioctet, mébioctet et gibioctets.
Et les fabricants de carte mémoire, dans tout ça ? Eh bien ils utilisent la norme classique en base 10, et lorsqu'ils vous vendent 64 gigaoctets, ils parlent bien de 64 GIGAoctets, et non gibi, soit 64 milliards d'octets tout pile. Bah oui, parce que c'est la norme qui vous permet d'afficher le chiffre les plus gros, bien sûr ! Sauf que si votre système compte en binaire, eh bien il va vous afficher des gibioctets, et donc pour afficher une taille lisible, diviser vos 64 par 1024×1024×1024, et donc vous afficher… 59,6 gibioctets.
Donc en fait, lorsqu'un fabricant vous vend 64 gigas et que votre système d'exploitation vous en affiche 59,6, ils ont tous les deux raisons… Sauf que le fabricant ayant bien pris soin de choisir une puissance de deux, 64, tout en comptant en décimal, on peut légitimement le soupçonner de se payer nos tronches et de chercher purement et simplement à nous tromper sur la marchandise. Faire joujou avec les normes, pour l'environnement comme pour l'informatique, c'est la base : tous les moyens sont bons pour faire du pognon. Oui, je veux bien faire des chroniques détendues, mais ça finira quand même toujours par « c'est la faute au capitalisme », hein, c'est comme ça.
Pour finir, notons que dans la catégorie des normes foireuses et complètement pétées, on ne fera jamais mieux que la regrettée disquette, la rigide de 3 pouces et demi qu'on a connu jusqu'à la fin des années 90 : en effet, celle-ci utilisait carrément un mix des deux normes, en prétendant faire 1,44 mégaoctets, en prenant 1 mégaoctet = 1000 kibioctets. Soit 1000×1024 octets. Sérieusement, mais c'est quoi, leur problème ?
Voilà, donc pour conclure, si tu veux dire adieu aux kilos en trop, passe au kilo binaire : moi qui pèse mes 72 kilogrammes au réveil, je ne pèse qu'à peine plus de 70 kibigrammes, c'est dire si ça change tout. Allez, je vous souhaite un bon été, je vous fais des kilos de poutous, et je vous dis à la saison prochaine ! Salut !