Violences policières

Publié le 10 décembre 2019 par Gee dans La fourche
Inclus dans le livre Grise Bouille, Tome IV

Ça faisait quelque temps que je me disais qu’il fallait que j’en parle… C’est une petite compilation assez horrible trouvée sur Reddit qui m’a fait sauter le pas. Et comme aujourd’hui encore, il y a grève et manifs au menu, j’ai bien peur de voir cet article à nouveau confirmé…

Voilà, aujourd’hui ça ne va pas être très rigolo : on parle de violences policières.

Violences policières

Depuis quelque temps – et c'est devenu particulièrement visible depuis un an avec la répression du mouvement des gilets jaunes – nous assistons en France à une dérive inquiétante vers l'usage systématique d'une violence brutale dans le cadre du maintien de l'ordre.

David Dufresne, « observateur de la boucherie », dit : « 2 morts, 25 victimes d'éborgnement, 5 mains arrachées, 2448 blessés dont 115 journalistes…  19071 tirs de LBD, 1428 tirs de grenades lacrymo, 5420 tirs de grenades de désencerclement… » Emmanuel Macron, « chef-boucher » : « “Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de Droit.” » Le smiley, « fan de Frédéric Lordon » : « Ce ne sont pas ces mots, ce sont ces actes qui sont inacceptables… »

Les scènes scandaleuses – tabassages de manifestants au sol, tirs tendus, gazages systématiques, acharnement sur des personnes âgées ou en fauteuil roulant – captées par les caméras et téléphones s'enchaînent à tel point que cela est en train de devenir la norme, et c'est sans doute ce qui est le plus inquiétant.

Un manifestant avec le bras dans le plâtre, un pansement sur le visage et l'air amoché : « On s'est encore bien fait défoncer à la manif… » Une femme lui dit, l'air fataliste : « Ah bah ça c'est le risque, hein, c'est normal aussi… » Le manifestant s'énerve : « Mais… NON C'EST PAS NORMAL ! » Le smiley commente : « C'est la version luttes sociales de “elle l'a bien cherché, elle portait une jupe”… »

L'IGPN, dont le boulot consiste entre autres à sanctionner les bavures chez les policiers, a été saisie des centaines de fois sans que n'aboutisse jamais la moindre sanction.

La saisie de l'IGPN lors d'une nouvelle vidéo de flagrant délit de violence policière est devenue un gag, un mème Internet, comme une nouvelle mise en examen de Balkany ou une nouvelle apparition de Xavier Dupont de Ligonnès.

Une femme et un agent de l'IGPN regardent l'Empire Contre-Attaque à la télé, on voit la scène du combat entre Vador et Luke. La femme s'exclame : « Oh la vache ! Il lui a coupé la main ! » L'agent de l'IGPN : « Franchement, c'est pas clair. On va faire une enquête.  Ça m'étonnerait qu'on arrive à identifier un coupable éventuel… »

Nous en arrivons à une situation où la population a peur de sa police et où le choix d'aller ou non manifester se fait désormais avec la conscience que la probabilité d'en revenir avec une blessure grave (infligée par un agent assuré de son impunité) est devenue trop conséquente pour être ignorée.

On jugera sévèrement – et à raison – un pays qui se targue d'être une démocratie mais où les gens vont voter avec la peur au ventre.

Que dire d'un pays qui se targue d'être une démocratie mais où les gens vont manifester avec la peur au ventre ? Voire s'abstiennent même de manifester par peur des forces de police ?

Macron est représenté en train de tabasser un manifestant à la matraque, le manifestant est en sang et Macron dit : « Ne parlez pas d'État de Droit, ces mots sont inacceptables dans le cadre de la répression et des violences policières. »

Alors je sais ce qu'on va me dire…

Oui, mais et les violences des manifestants, hein, hein, hein ?

Pour commencer, la différence majeure, c'est que le manifestant n'est pas assermenté ni payé avec mes impôts.

Du coup, ses violences à lui me concernent déjà beaucoup moins…

On voit une voiture explosée qui a dû faire des tonneaux. Un homme s'exclame, en la voyant : « Mais t'as fait quoi à ma bagnole ?! » Un autre mec, l'air autain, répond, bras croisés, sûr de lui : « Bah y'avait un con qui roulait à 200 sur la route, du coup j'ai fait la course avec lui. ET SES BÊTISES À LUI, ÇA T'EN PARLES JAMAIS, HEIN ! » Le premier : « Mais j'm'en tape de lui ! C'est pas à lui que j'ai prêté ma bagnole ! »

La police est un service public et à ce titre, il me semble qu'on devrait avoir notre mot à dire sur son fonctionnement.

Les violences d'un manifestant, elles concernent en premier lieu la justice : d'ailleurs, lorsqu'un manifestant se fait gauler en flagrant délit, bah en général, il est condamné, LUI.

Et souvent, c'est de la comparution immédiate et c'est pas tendre.

Du coup, vu que dans ce cas de figure, la justice a l'air de fonctionner correctement – voire avec un peu trop de zèle – je ne vois pas bien de quoi je devrais m'indigner.

On reparle de l'IGPN ?

Un mec lambda s'indigne : « Ouais maiieuuh ils ont cassé des abribus, hein ! Et le Fouquet's, hein ? Ils ont brulé le Fouquet's ! » Gee, la main sur le front, répond, énervé : « Bordel mais c'est juste des dégâts matériels ! Ça se répare, oui ça coûte un peu de pognon, mais MERDE, vous pouvez pas mettre ça sur le même plan qu'un œil en moins ou une mâchoire pétée ! » Le smiley, blasé : « Ah bah que l'intégrité physique d'un prolo vaille moins qu'un store du Fouquet's, ça reste assez raccord avec l'époque… »

Quand bien même infliger des blessures graves à des manifestants qui cassent du mobilier urbain serait acceptable (moi je trouve déjà que non mais passons), on a vu pléthore de vidéos de manifestants parfaitement pacifiques voire carrément passifs se faire exploser la tronche… et pléthore de vidéos de black blocs dont la police est absente, bizarrement.

Un mec encagoulé est en train de défoncer un abribus. Un policier, à côté, défonce le crâne d'une manifestante pacifique en disant au mec encagoulé : « Mais vous allez arrêter d'être violents et de tout casser ?! »

Alliance, le syndicat majoritaire des policiers (qu'on peut difficilement soupçonner de gauchisme), a déjà dénoncé le fait que des consignes de ne pas agir face à des casseurs identifiés étaient données…

Un caméraman de BFM commente : « En même temps, faut admettre que ça fait de belles images.  On va montrer quoi, nous, si ça castagne pas un peu dans les manifs ? »

À côté de ça, on a cet éternel argument qui me les brises encore plus qu'une grenade de désencerclement :

Deux piliers de comptoir en train de picoler un gros rouge qui tâche discutent. Le premier dit : « Ah ouais, ça crie “tout le monde déteste la police”, mais vous étiez bien contents quand ils sont venus vous libérer au Bataclan, hein ! » Le deuxième : « Ouais, ça gueule mais quand y'a des attentats, là on est bien contents d'avoir des policiers, hein ! »

Je ne comprends pas cet argument.

Ou plutôt, je ne comprends pas ce que vous ne comprenez pas, du coup, je vais essayer de vous expliquer la situation de la manière la plus claire possible :

Gee, qui essaie de rester calme et clair : « Alors attention, ça va être un peu technique mais tâchez de suivre.  En fait, quand les policiers nous aident et nous protègent, on est contents et du coup on les applaudit. Quand les policiers nous cassent la gueule, on est moins jouasses, du coup on gueule.  Je m'excuse si c'est un raisonnement un peu complexe, hein. » Le smiley se gratte la tête : « Je suis désolé, c'est totalement abscons pour moi. »

Ensuite, c'est quoi le message ?

En gros, sous prétexte que la police a effectivement fait du bon boulot et protégé efficacement la population pendant ce genre d'événement, on devrait accepter de se faire défoncer en manif en retour ?

Et en disant merci, en prime ?

Une femme est assise à table devant une assiette qui n'a pas l'air très appétissante. Un mec, en face, les mains sur les hanches, dit d'un air agacé : « Ouais ouais ouais, là tu chiales parce que j'ai chié dans ton assiette, mais quand j't'ai fait des crêpes, l'autre jour, t'étais bien contente ! »

Ou alors c'est autre chose : c'est un package, les services policiers sont fournis avec la violence policière, c'est indissociable, « ne peuvent être vendus séparément » ?

Le Geek au comptoir d'un fastfood : « J'voudrais un McProtection avec supplément Anti-Terrotatoes. » La serveuse répond : « Et en dessert, ce sera un McPoingDansLaggle. » Le Geek : « Euuh non, pas de dessert, merci. » La serveuse : « Ah si, c'est le menu, vous ne pouvez pas avoir l'un sans l'autre. »

Enfin, ce serait aussi bien de savoir de qui on parle, exactement, quand on dit « police ».

Gee lit le journal : « C'est le RAID qui a lancé l'assaut contre Merah, le RAID avec la BRI pour le Bataclan et l'Hyper Cacher, et le GIGN pour les assassins de Charlie Hebdo.  J'me trompe peut-être, mais il me semble pas qu'on ait affaire à eux en manif, non ? Par contre j'ai beau chercher, je ne trouve pas à quel moment les CRS nous ont protégé contre les terroristes… » Le smiley : « Tu chipotes, là. Les manifestants, c'est quasi des terroristes, non ? »

Donc non seulement le raisonnement « gueulez pas sur les violences policières parce que vous êtes bien contents quand la police vous protège des attentats » est débile en soi, mais en plus on ne parle même pas de la même police dans les deux cas !

Une femme se prend une balle de LBD dans le visage et crie : « Violences policières ! » Le CRS qui a l'arme à la main répond, blasé : « Là tu gueules, mais t'étais bien contente quand un mec qui n'a rien à voir avec moi donnait l'assaut contre les terroristes ! » Le smiley commente : « En fait cet argument est fractalement con : quel que soit le niveau de détail qu'on considère, ça reste aussi con… »

Bref, ces arguments bancals ne doivent masquer le problème de la radicalisation d'une partie des forces de police bien contente d'avoir l'occasion de casser du gauchiste…

Gee, derrière son PC, est en train de lire : « Plus de 50 % des membres de la police déclarent voter Front National et aspirent donc à l'avènement d'un pouvoir autoritaire d'extrême-droite… » Le manifestant avec son bras dans le plâtre, un bandeau sur l'œil, des dents en moins, le nez ensanglanté, etc. : « Ouais, bah qu'est-fe que fe ferait fi on était goufernés par un goufernement autforifaire… »

… radicalisation qui est acceptée et même encouragée par un pouvoir politique aux abois. Une enquête du Monde révèle qu'un des ordres donnés aux CRS en décembre 2018 était : « allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter ceux qui sont à votre contact, à proximité… ça fera réfléchir les suivants. »

Un bandeau de CRS protège Édouard Philippe et Emmanuel Macron. Philippe : « Nan mais allez-y, cognez, on garde votre régime spécial de retraite ! » Macron rigole : « Qu'ils viennent me chercher derrière ma police militarisée…  Ksss ! Ksss ! »

Cette stratégie de gestion de la contestation sociale par la terreur ne pourra que mal se terminer.

Une partie grandissante de la population (même habituellement modérée) s'est mise à détester la police au cours de cette dernière année, et les choses ne vont pas en s'arrangeant.

Un gamin demande : « Mamie, c'est toi qui a tagué ACAB dans la rue ? » Sa grand-mère en chaise roulante, s'exclame, en tremblotant : « Ouais ! Police nationale = milice du capital !  CRS = SS !  Mort aux vaches ! » Le gamin, surpris : « Ah ouais, quand même. »

Le problème, c'est que tout indique que le pouvoir politique préférera aller fleurter tranquillement avec les prémices d'une guerre civile que d'opter pour une stratégie de désescalade ou de faire le ménage dans une police gangrenée par des individus à la brutalité parfaitement décomplexée et encore une fois impunie.

Gee, l'air soucieux, conclue : « À suivre aux prochaines manifs qui s'annoncent encore nombreuses vu la brutalité et la rigidité du pouvoir politique…  Et faites bien gaffe à vous et à vos proches si vous y allez… » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 8 décembre 2019 par Gee.

Publié le 10 décembre 2019 par Gee dans La fourche

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