[GB10ans] 5. Dix ans… et combien à venir ?
Le 30 janvier 2015 ouvrait le blog Grise Bouille. Pour fêter ces 10 ans de blog, un livre best of a été publié, accompagné d'un site-anniversaire et d'une série d'articles spéciaux pour vous raconter les coulisses du blog.
Voici la conclusion de cette série d'articles qui fait le bilan… artistique comme financier. Et parle des perspectives pour l'avenir…
Un verre à moitié vide…
Un truc que je n'ai pas encore vraiment évoqué dans cette série d'articles, et qui est pourtant une problématique majeure pour un auteur à plein temps, c'est la question du financement. En l'occurrence, ce n'est pas un hasard si un appel aux dons est placé en pied de page de chacun de mes articles : comme une grande majorité d'auteurs et autrices (publiant sous licence libre ou pas), j'ai beaucoup de mal à me payer un revenu correct.
J'ai commencé à essayer de vivre de mes activités artistiques en septembre 2021, c’est-à-dire il y a 3 ans et demi. À l'époque, je partais d'un emploi d'ingénieur en informatique bien payé, après 1 an et demi de multiples confinement dus à la crise du Covid et où j'avais, comme pas mal de gens dans ma situation, mis beaucoup de côté.
Trois ans et demi après, mon épargne, qui a évidemment servi à compléter mes revenus, a fondu comme neige au soleil, et malheureusement, je continue à taper dedans chaque mois. Moins qu'au début, heureusement. Mais en moyenne, sur les douze derniers mois, mes revenus d'auteur s'élèvent à un peu moins de 1 000 € mensuels. Ce qui, par rapport à la réalité économique de pas mal d'artistes, est assez honorable ; en revanche, on reste en dessous du seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian…
J'amortis un peu la chute en donnant quelques cours dans un IUT à côté de chez moi, mais ça ne tombe pas tout seul : c'est aussi des heures de travail en moins passées sur l'art libre.
Au-delà de la question des thunes, je sais que j'ai un gros problème de visibilité et de reconnaissance qui, clairement, n'aide pas, puisque sans accroître le lectorat, il semble difficile d'accroître les revenus. Un truc tout con, mais sur 10 ans, je n'ai aucun souvenir d'avoir vu le moindre article dans un média un peu professionnel — même peu important – parlant du blog, d'un de mes livres ou d'un de mes jeux. Les rares trucs dont je peux me souvenir sont :
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un encart dans Linux Pratique lors de la sortie du premier tome de Grise Bouille ;
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quelques bonnes reviews de Sortilèges & Syndicats et Une Auberge dans la tempête dans des blogs persos ;
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quelques reviews de Superflu Riteurnz, principalement sur des petits blogs anglophones.
C'est à peu près tout. Si quelqu'un tentait de faire une page Wikipédia sur Grise Bouille ou un autre de mes projets actuels, elle se ferait probablement virer dans l'heure pour manque de sources.
Bref, ça m'amuse toujours de voir, dans les milieux libristes, des gens s'imaginer que je suis très connu ou que j'ai mes entrées partout : en dehors de ce cercle, je suis à peu près aussi connu que ton tonton qui fait de la guitare dans son cover-band des Rolling Stones au fin fond de la Creuzère.
Lors des rares festivals hors-milieu-libriste que j'ai pu faire, je me suis souvent retrouvé dans des grands moments de solitude à vendre péniblement deux bouquins dans un week-end entier, à voir défiler des milliers de gens voir d'autres stands mais pas le mien : que ce soit à la Japan Touch HARU en 2015, aux Geek Faëries en 2022, à Animasia ou Art to Play en 2023, au Festival du film grolandais en 2024 (où Sortilèges & Syndicats était nommé pour le prix littéraire, mais ne l'a malheureusement pas eu)… c'est encore et toujours la même conclusion qui s'impose : à peu de chose près, personne n'a entendu parler de mon boulot. Il n'y a qu'au Capitole du Libre et aux JDLL que je peux rencontrer du monde qui me connaît.
Et je le dis souvent : je vous aime beaucoup, les libristes, mais vous n'êtes pas beaucoup.
La moindre instagrammeuse de troisième division qui fait du unboxing est suivie par 100 voire 1 000 fois plus de gens que moi ; quand je sors un bouquin, en général, si j'en vends une dizaine le premier mois, je peux m'estimer heureux ; quand quelqu'un comme Ploum (qui n'est pas à proprement parler une rockstar non plus) parle d'un de mes projets, je vois mes courbes de visite faire un saut notable ; sur les médias sociaux, si un de mes messages n'est pas partagé par quelqu'un d'un peu plus connu, il ne fera généralement que très peu de vues et de partages.
Je sais que je ne suis pas très bon en com', ce n'est pas mon métier, mais je fais le maximum de ce dont je suis capable… c'est parfois assez désespérant d'avoir l'impression de s'agiter et de parler dans le vide, avec la tentation de chercher le buzz pour le buzz (ce qui n'a, en réalité, pas beaucoup d'intérêt).
Surtout que je ne pense pas produire des trucs nuls et sans intérêt : j'ai systématiquement des bons retours sur tout ce que je fais, quasiment tous les gens qui ont lu Sortilèges & Syndicats l'ont adoré, toutes les reviews de mes jeux sur Steam sont bonnes… bref, tout le monde aime ce que je fais. C'est juste que ce « tout le monde », c'est probablement pas plus d'un millier de personnes, et ça stagne depuis pas mal de temps…
… ou bien un verre à moitié plein ?
Bon, j'ai commencé cet article par la moitié qui fâche, mais tout est loin d'être tout noir pour autant. Quand je fais le bilan de ces 10 ans de Grise Bouille, je ne peux pas m'empêcher d'être fier du travail accompli : près de 600 articles, une douzaine de bouquins publiés dont 2,5 romans, deux jeux vidéos, plus de 20 de chroniques radios et encore plein de trucs que j'oublie… et encore une fois, avec toujours d'excellents retours. Maigres, certes, mais excellents.
Côté visites, même si ça évolue plus lentement que ce que je voudrais, mine de rien, ça avance quand même. Je n'ai plus les chiffres des premières années car j'ai changé de moteur (de Wordpress à un site statique généré à la main), mais en 2019, le blog totalisait 76 000 pages vues ; en 2024, ce nombre avait plus que doublé avec 158 000 pages vues.
Même au niveau des finances, si je fais abstraction des valeurs absolues dont je parlais précédemment, je peux voir une évolution plutôt enthousiasmante saison après saison :
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3 900 € gagnés sur la saison 2021-2022, soit 325 € par mois ;
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11 200 € gagnés en 2022-2023, 930 € par mois ;
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12 261 € gagnés en 2023-2024, 1 020 € par mois.
Donc évidemment, les choses évoluent positivement, même si rien n'est encore gagné pour que la saison 2024-2025 continue dans ce sens.
Au niveau des commandes aussi, même si je n'ai pas forcément envie que ça devienne mon cœur de métier (car ça veut dire bosser sur des projets d'autres gens), ben ça se développe petit à petit :
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360 € de commandes en 2021-2022 ;
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850 € en 2022-2023 ;
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1 415 € en 2023-2024.
Le financement participatif / mécénat populaire reste ma principale source de revenu, mais c'est assez sécurisant de savoir que j'en ai d'autres. D'autant plus que les commandes ont l'avantage de m'offrir un revenu horaire correct puisque sur devis, là où je cours toujours après les dons et les ventes pour « rembourser » les heures passées sur le blog, les jeux, les livres…
L'avenir
Je ne vais pas vous mentir : j'ai très régulièrement des passages à vide où ça me démange de tout plaquer, d'arrêter les frais, de fermer Grise Bouille et tout le reste, et de retourner bosser dans l'informatique où je sais que je pourrais être bien payé sans me prendre la tête avec tout ça…
Et en même temps, je sais que je ne trouverai jamais un travail aussi épanouissant et utile que celui que je fais depuis bientôt 4 ans à temps plein sur ce blog et sur mes autres sites. Alors pour l'instant, je m'accroche. Côté thunes, je me démerde, je donne des cours à côté. Possible que je retente quelques missions de dév pour renflouer un peu les caisses, à un moment donné. Une sorte de compromis entre « tout plaquer pour regagner de l'argent » et « être auteur à 100 % en galérant financièrement ».
Ça fait quelque temps que je ne fais plus vraiment de promesses sur l'avenir, parce que je ne sais moi-même plus exactement si je serai en mesure de faire ce que je fais très longtemps. L'expression qui revient toujours, c'est « on verra bien ». Je n'ai pas non plus épuisé toutes mes cartouches : l'idée d'un crowdfunding pour un projet précis (une suite à Superflu Riteurnz, par exemple) n'est pas abandonnée.
En attendant, je ne peux que remercier du fond du cœur toutes les personnes qui m'ont soutenu pendant toutes ces années et me soutiennent encore : plus de 17 000 € de dons récoltés depuis septembre 2021, c'est à la fois insuffisant et pourtant déjà tellement énorme ! Je n'aurais jamais tenu aussi longtemps sans vous, alors un énorme MERCI pour tout ça, pour payer pour de l'art pourtant disponible gratuitement, librement.
Et évidemment, merci aussi à toutes les personnes qui n'ont pas les moyens mais me soutiennent différemment, en partageant mes articles, en m'aidant dans la communication (qui est à la fois le nerf de la guerre, et un domaine où je suis très insuffisant)… ou même juste en m'envoyant des mots sympas sur les médias sociaux. Ça aide. Toujours.
Je ne vous dirais pas « rendez-vous dans 10 ans », parce que j'ai aucune foutue idée de la suite. Déjà, rendez-vous demain. Après, « on verra bien ».
Et à bientôt, sur le web ou ailleurs.